Où sont enterrés les dictateurs?

En Espagne, la dépouille de Franco, installée depuis 40 ans dans le colossal monument aux morts de la guerre civile, va peut-être devoir se trouver une nouvelle demeure. La dernière demeure des despotes, autocrates et autres présidents indéboulonnables fait souvent l’objet de tractations et de polémiques.

Le 11 mai dernier, les députés espagnols ont voté une motion qui demande au gouvernement de déplacer la dépouille de Francisco Franco. L’ancien dictateur, qui gouverna l’Espagne pendant près de quarante ans, est enterré depuis sa mort en 1975 au Valle de los Caidos, littéralement « la Vallée des Tombés ».

Ce gigantesque monument avait été imaginé par Franco pour rendre hommage aux « héros et martyrs de la croisade » que le Caudillo disait avoir menée pour remporter la guerre civile (1936-1939).

Promu par le Parti socialiste, le texte appelle à donner un nouveau sens au mausolée pour qu’il ne soit « plus un lieu de mémoire franquiste et national-catholique » mais un espace favorisant la réconciliation. L’écrivain Manuel Vicent a récemment estimé, dans le quotidien El Pais que « la transition ne s’achèvera que lorsque Franco sera retiré de El Valle de los Caidos et c’est à la droite de le faire ».

Le cercueil de Staline exhumé en pleine nuit

 Les dépouilles des dictateurs sont régulièrement confrontées à ce type de déplacement en fonction de l’évolution du contexte politique après leur décès. A sa mort en 1953, Joseph Staline est ainsi d’abord inhumé aux côtés de Lénine dans le mausolée élevé à la gloire du fondateur de l’URSS sur la place Rouge de Moscou.

Son aura est encore grande : il ne sera question de le déplacer que quelques années plus tard. En 1956, son successeur Khrouchtchev met le pays face aux crimes du stalinisme qui ont causé la mort de plusieurs millions de personnes, victimes des purges, des arrestations arbitraires ou des déportations.

Lors du 22e Congrès du parti, il est décidé de déplacer le corps de Staline « en raison de ses graves violations des principes léninistes, ses abus de pouvoir et les répressions massives à l’encontre d’honnêtes citoyens ». L’opération a lieu le lendemain même, de nuit. Khrouchtchev pense d’abord enterrer Staline au cimetière du monastère de Novodiévitchi à Moscou, dernière demeure de la femme du dictateur et de nombreuses personnalités russes et soviétiques.

Il change finalement d’avis de crainte que des Géorgiens fanatiques ne volent la dépouille de Staline, lui-même géorgien d’origine. Staline est aujourd’hui enterré entre le mur du Kremlin et la place Rouge, dans la « nécropole du mur du Kremlin » qui abrite d’autres dignitaires soviétiques – sous une surveillance constante.

Qui a tranché les mains du squelette de Juan Peron?

Car une fois morts, les corps des anciens despotes ne sont plus à l’abri des outrages, qu’ils soient l’œuvre d’admirateurs ou d’opposants avides de revanche. Resté dans l’histoire – notamment – pour le glamour de sa première épouse Eva « Evita », Juan Peron dirige l’Argentine pendant neuf ans à partir de 1946 avant d’être renversé par un coup d’Etat en 1955. Après un exil au Panama, il ne revient aux affaires qu’en 1973 pour mourir moins d’un an plus tard.

D’abord inhumé dans la crypte de la résidence présidentielle de Olivos, son corps en est retiré après la chute de sa troisième femme Isabel, écartée par une junte militaire. On l’installe alors à la Chacarita, dans le plus grand cimetière de Buenos Aires, la capitale.

Mais en 1987, des vandales, jamais identifiés, ouvrent la tombe et lui scient les deux mains. Le corps de l’ancien dictateur sera finalement transféré en 2006 au sud de Buenos Aires, à San Vicente, dans une propriété où il avait vécu, transformée en musée en son honneur à cette occasion.

La question des funérailles se pose avec d’autant plus de force quand un despote, après un règne, a dû prendre la poudre d’escampette et a passé les dernières années de sa vie en exil. Après avoir perdu les élections face à sa rivale Cory Aquino, Ferdinand Marcos quitte les Philippines en 1986 pour s’installer à Honolulu, sur l’archipel américain d’Hawaï. Selon les historiens, environ 30 000 personnes sont mortes en raison des exactions de l’ancien président, qui avait imposé la loi martiale à son pays entre 1972 et 1981.

En 2016, soit dix-sept ans après sa mort, il est rapatrié dans son pays natal avec la bénédiction de l’actuel président, Rodrigo Duterte, connu pour la guerre très controversée qu’il mène contre la drogue. Ferdinand Marcos est inhumé dans le « cimetière des héros », le Panthéon philippin, réservé aux grands hommes de la patrie.

L’ancien président y reçoit les honneurs militaires et son cortège funèbre est salué de 22 coups de canon. Les préparatifs de cet évènement, qui ont eu lieu en catimini, suscitent la colère des opposants, qui qualifient Marcos de « Hitler philippin ».

Comme d’autres, son voisin indonésien, le général Suharto est mort sans avoir eu à répondre de ses crimes, dont la disparition de près d’un demi-million de personnes lors de son règne de trente ans. Le régime du « dirigeant le plus corrompu du monde » (dixit Transparency International), n’a pas survécu à la contestation populaire qui a suivi la crise asiatique de 1997.

En raison de son grand âge, Haji Muhammad Suharto, né en 1921, échappe aux commissions d’enquête dans les années qui suivent son départ et meurt en 2008 dans un hôpital de Jakarta, la capitale. Il est lui aussi inhumé avec les honneurs militaires non loin de là, à Karanganyar.

Mobutu, en exil même dans la mort

Scénario différent en RDC : après l’arrivée des troupes de Laurent-Désiré Kabila à Kinshasa en 1997, l’ancien dictateur Mobutu quitte le navire après trente-deux ans d’un règne sans partage. Mort d’un cancer de la prostate à Rabat peu de temps après, il est alors enterré au cimetière chrétien de la capitale marocaine, dans un modeste mausolée au milieu des tombes des soldats français des deux guerres mondiales.

Ce n’est que près de quinze ans après, en 2013, que Joseph Kabila, le successeur de son tombeur, s’engagera à rapatrier le corps de l’ancien président dans son pays natal. Le fils de Laurent-Désiré Kabila suivait en cela les recommandations des « concertations nationales » destinées à renforcer la cohésion du pays et doit aussi rapatrier dans la foulée la dépouille de Moïse Tshombe, accusé de haute trahison par Mobutu et mort en Algérie en 1969. Pourtant, aux dernières nouvelles, le corps de l’ancien président Mobutu n’avait toujours pas retrouvé son pays natal.

Même destin pour Idi Amin Dada, sanguinaire président d’Ouganda entre 1970 et 1979 et « dernier roi d’Ecosse » auto-proclamé, entre autres titres fantaisistes. Après avoir quitté le pouvoir à cause d’un conflit malheureux avec le voisin tanzanien, Idi Amin se réfugie d’abord en Libye puis en Arabie saoudite, son ancien allié, qui pourvoit à ses besoins en lui fournissant une maison et un chauffeur. En 2003, l’ancien dictateur décède à l’hôpital du roi Fayçal et est enterré dans le cimetière de Ruwais de Djeddah, le grand port saoudien sur la mer Rouge.

Jusqu’au bout, l’artisan de sa chute qui lui avait succédé au pouvoir, Yoweri Museveni, se sera montré intraitable. Alors qu’Idi Amin est tombé dans le coma à la suite d’une insuffisance rénale, l’une de ses épouses, Madina, supplie le président ougandais d’autoriser son mari à rentrer. Réponse de Museveni : même malade, Idi Amin « aura à répondre de ses fautes à l’instant même où il sera ramené en Ouganda ».

RFI

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