DR DJIBRIL NDAW, DOCTEUR EN MEDECINE, CANCEROLOGUE: «JE DEFIE QUI QUE CE SOIT DU CORPS MEDICAL DE ME DIRE QU’ON FAIT UNE BONNE MEDECINE AU SENEGAL»

Il s’est raconté dans la première partie de cet entretien comme un enfant à qui on demande de dire les choses qu’il aime et préfère dans sa petite vie. De ses souvenirs d’enfance aux côtés de ses parents, dans la petite et belle ville de Sédhiou, de son passage au lycée à Ziguinchor, jusqu’à son arrivée à Dakar,  le bac en poche, avec ses rêves, envies, mais aussi ses déceptions, le voilà médecin et spécialiste finalement. Qui a dit qu’on n’est pas maître de son destin ? Dans cette seconde et dernière version de l’entretien que nous avons eu avec lui, le Dr Djibril Ndaw, puisqu’il s’agit encore de lui, entre dans le fond d’un autre sujet qui lui tient à cœur, celui de la connaissance et de la spécialisation en médecine. On parle du cancer bien évidemment. Sorti des questions personnelles et des rivalités qui ont failli ruiner sa carrière, le voilà qui nous plonge dans l’univers de cette maladie terrible qui a causé et cause encore comme le paludisme, les maladies du sang, beaucoup de misères aux familles dont un des siens en est affecté. Prostate, parkinson, drépanocytose, le cancérologue, spécialiste de l’oncologie médicale et encore, passe en revue  toutes ces infections graves sans oublier d’aborder des équations vitales comme la bonne gouvernance du système santé, les incohérences au niveau du management des hôpitaux dans un pays comme le Sénégal. Il va terminer cet échange par  une autre question centrale : celle de la relève et de la formation au sein d’une grande école de médecine plus ambitieuse. ENTRETIEN
Djibril Ndaw, des gens comme vous, évoquez la question de la formation qui vous tient tant à cœur, et vous posez un problème de fond aujourd’hui qui touche la vitalité de nos systèmes universitaires. Et dans ce fouillis, il y a  forcément la question de la relève qui revient et qui n’a rien à voir avec le relèvement d’un plateau technique défaillant. Il nous faut des hommes et des femmes bien formés, çà on le sait.  Au Sénégal, les cadres (l’infrastructure s’entend),  existent comparés à d’autres pays proches. Et on l’impression qu’on crée des structures d’excellence, sans y mettre les gens qu’il faut. Vous me direz peut-être que je me trompe, docteur. 
Mais, récemment, le problème s’est posé. Le Gouvernement a dit, « Je vais amener trois machines de radiothérapie » (suite à la défaillance de celle qui était à l’hôpital A Le Dantec). Et j’ai eu l’opportunité de commenter ce problème sur la chaîne Tfm, et je disais à M. Kane, « Ecoutez, à moins qu’on soit dans un autre système, mais la connaissance que j’ai de la radiothérapie, un an est insuffisant pour mettre sur place une unité de radiothérapie. » Deux ans, trois ans minimum. Je ne comprends pas pourquoi cette crise pousse l’Etat du Sénégal à annoncer des solutions impossibles à court terme. Par contre, le bunker de cobalt  existe, oui, on peut y adapter un appareil de type d’accélérateur linéaire fabriqué en Suède du nom d’Elekta avec des rendements excellents.
 Le cobalt, n’est presque plus utilisé aujourd’hui à cause de ses contraintes d’utilisation mais aussi de la difficulté à bien focaliser  son rayonnement. Nous utilisons aujourd’hui des accélérateurs linéaires (1). Ils produisent de très haute énergie pour tuer les tumeurs, au moment où vous les utilisez avec très peu d’actions sur les tissus sains entourant la tumeur. Dès que vous arrêtez la machine, il n’y a plus d’énergie rayonnante, ce qui n’est pas le cas pour le Cobalt. Je crois que cette option est la plus sure et efficace mais aussi la plus onéreuse. En effet un accélérateur linéaire est d’un coût excessivement élevé. Et encore autour de cet instrument, il y a toute une exigence logistique de ressource humaine et technique très spécifiques. En effet, Il exige d’abord un plateau technique assez important que ce sont des machines de mesures biologiques, des machines de stimulation et d’imagerie comme l’Irm (Imagerie par Résonance Magnétique) ou la Tdm (Tomodensitométrie ou scanner) assez spécialisé et exclusivement destiné à l’usage de l’accélérateur de particules
Et à côté de cela, un personnel hyper spécialisé. Et quand toutes ces exigences ne sont pas réunies, aucun accélérateur ne peut fonctionner. Le rôle du radiothérapeute est de planifier le traitement du patient qui est le plus souvent initialement vu par le chirurgien ou très souvent par l’Oncologue médicale. Mais, ceux qui vont exécuter l’essentiel les taches, ou encore ceux qui vont lui donner les éléments de sa décision, ce sont les radio physiciens/biologistes entourés de techniciens hautement spécialisés. Aujourd’hui à Dakar l’essentiel de ce personnel est absent du service de radiothérapie du Chu A. Le Dantec.
 Il y a peu de chirurgiens réellement spécialisés (dans mon expérience de l’Onco-chirurgie). Je citerai le Dr Raymond Diouf ou Silly Touré qui ont fait un séjour à l’institut Gustave Roussy à Paris (3) pour la sphère Orl et maxillo-faciale ; le Dr Abdul Aziz  Kasset qui a fait un séjour à Montpellier. Il y a aussi une équipe très performante  à l’hôpital Universitaire de Grand Yoff, avec les Professeurs Babacar Fall et Papa Saloum Diop (avec un séjour de formation au service de transplantation hépatique référentiel européen du Professeur Bismuth au Chu Hôpital Paul Brousse, Villejuif) qui maitrisent parfaitement la chirurgie du tube digestif, du foie et  du pancréas. Cela veut que nous pouvons guérir beaucoup malades atteints de cancer même métastatique si une bonne collaboration multidisciplinaire s’instaure autour de chaque cas.
Alors vous avez vu que j’ai fait exprès d’éviter de vous parler tout de suite de la longue panne de cet appareil de radiothérapie de l’Hôpital Le Dantec. Je sais qu’on allait y arriver forcément, mais ce n’est pas le sujet principal de cet entretien. Mais, est-ce que les autorités au plus haut niveau ont compris les enjeux, (vous avez parlé du ministre qui est du sérail) ; mais comment dans ce contexte laisser mourir tranquillement un appareil vital qui a presque fait son temps quand on parle de gouvernance dans le domaine système de santé au Sénégal ? Et, vous me dites que pour le remettre en marche, il faut encore deux voire trois ans. Simplement docteur, qu’est-ce que des gens comme moi, n’ont pas compris dans cette histoire ? 
Ecoutez vous savez, nous devons tous assumer avec responsabilité notre rôle/fonction dans la société, surtout dans le domaine de la santé pour abréger et atténuer la souffrance des populations  liée à la maladie. Je pense qu’aujourd’hui, nous avons tout intérêt à faire en sorte que nous soyons tous bénéficiaires de ce que cette société peut produire. Nul n’est à l’abri du cancer ou d’autres maladies graves. Maintenant, il faut qu’on évite de sélectionner des « privilégiés » pour bénéficier des traitements très onéreux en Europe et dont le coût est évalué à plus de trois milliards de francs Cfa par an pour le Sénégal.
Je suis persuadé que dans un excellent partenariat d’enseignement et de politique de formation professionnelle continue, il est possible de faire une médecine performante au Sénégal voir dans la sous région en mutualisant nos moyens financiers et humains. Il suffit d’une certaine patience et de beaucoup de détermination pour que les médecins sénégalais relèvent le défi de pratiquer une médecine de pointe.  Donc, c’est possible. On peut ne plus transférer de patients en Europe. C’est beaucoup de gâchis car beaucoup malades reviennent pour mourir au Sénégal avec le messager suivant du médecin traitant d’Europe : « Nous ne savons pas pourquoi votre dossier médical a été transféré à nos compétences.” Non non ! Je crois qu’il faut qu’on redevienne pragmatique et maître de notre destin. Le bonheur collectif est très facile à partager et à l’inverse le malheur ou les difficultés des individus peut s’assumer aussi de manière collective, c’est juste un problème d’organisation. C’est l’argent du peuple après tout.
Vous avez battu en brèche beaucoup de bonnes choses qu’on pensait acquises ici au Sénégal ; à commencer par la qualité de notre médecine. L’idée de bons médecins sénégalais a fait un peu le tour de l’Afrique du monde. Mais, qu’est ce qui manque à l’Ecole de Dakar,  pour devenir l’école d’excellence qu’elle veut être, même si l’Etat ne joue pas toujours le jeu en laissant pourrir la situation. Vous avez parlé également de la formation au rabais des étudiants dans les facultés. Parce que quand même, l’Ecole de médecine Dakar, Rfi avec la journaliste Claire Hédon lui a consacré une émission pour son excellence et sa place reconnue sur le continent aux côtés d’autres pays de grandes universités en Afrique subsaharienne ou encore l’Afrique du Sud.
Mais, peut-être pas aujourd’hui parce que nous avions des équivalences avec la France qui n’existent plus. Dans l’histoire de la Faculté de médecine de Dakar, l’histoire de l’enseignement de la médecine remonte à 1919. En tant que faculté, je crois qu’elle date de 1946 restée longtemps sous académie française. Cela veut dire que si les acquisitions ont été maintenues et relativement améliorées, nous serions à un niveau d’excellence ; nous n’aurions rien à envier ni de l’Europe, ni des  Etats unis ou encore  de la Chine. Parce que, je le redis, l’intelligence est là. Alors, comment voulez vous que, comme le dit un proverbe japonais, une vision sans action est un rêve du jour, l’action sans vision est un drame. Quand vous regardez la télévision, écoutez la radio ou encore lisez les journaux de tous les jours, on ne parle que de politique avec son marché riche en transhumants, d’assassinats, de viols exécrables ; mais ce sont tous les indicateurs d’une société  en pleine crise.
Comment voulez-vous que dans une telle atmosphère sociale que l’enseignement puisse  être un facteur de développement ? Et pourtant, c’est primordial car tous les  pays au monde qui se sont développés l’ont fait par l’enseignement. Au Sénégal, on note de plus en plus une proximité dangereuse entre les pouvoirs politique et spirituel mais surtout quelles conséquences sur la qualité de vie des citoyens, cette collusion va-t-elle produire ?
Est-ce qu’on ne se leurre pas en pensant encore qu’on a une très bonne médecine ? Vous l’avez dit, effectivement, on  peut le faire ; mais dans quelles conditions ? 
Je défie qui que ce soit du corps médical de me dire qu’on fait une bonne médecine au Sénégal. C’est moins la compétence des médecins mais c’est plutôt le cadre institutionnel et social  d’organisation et de plateau technique déficients de la pratique médical. La bonne pratique médicale marie deux choses fondamentales: l’éthique et la connaissance.  L’éthique c’est la passion pour ce qu’on fait ; et on ne peut pas avoir l’éthique, s’il n’y a pas la connaissance derrière et malheureusement la connaissance n’est plus possible sans la technologie. Or ce qu’on constate au Sénégal, c’est que l’éthique n’est plus une préoccupation des acteurs sociaux et la connaissance est le produit d’un enseignement est en crise.
Ce que vous dites est terrible encore une fois et cela nous ramène à une autre question encore plus sensible. C’est de savoir est-ce qu’on dépiste dans ces conditions là, les bons cancers ? Bon dans le sens de vrai,  s’entend.
On voit les cancers quand ils sont à un stade avancé, quand on ne peut plus faire grand-chose pour eux ; c’est grave. Nos ressources sont limitées, les patients gravement malades et finalement la MORT abrège la vie et consomme les ressources. Donc aujourd’hui, nous devons privilégier le dépistage et la prévention à l’image de se qui se passe dans certains pays comme nous le voyons à Cuba.
Est-ce qu’on en a les moyens ? 
On a des moyens limités certes, l’intelligence et la connaissance mal organisées donc nous avons besoin d’une approche rationnelle que des hommes et femmes résolument engagés et éclairés doivent engager et conduire une véritable politique de développement intégré tout en luttant contre l’obscurantisme qui gangrène tous les jours notre société avec son cortège de désolation. Le dépistage guérit définitivement les maladies et la prévention évite à la maladie de survenir. Le choix est évident. Il y a tellement de marabouts et de guérisseurs dans le paysage social que l’acte médical s’en trouve retardé. Vous vous rendez compte, on fait leur publicité dans tous les médias de ce pays: télévisions, radios, certains même sortent même des bouquins à grand bruit.
Le mysticisme a tellement envahi aujourd’hui la société sénégalaise que nous entendons des profanations de cimetières, des enlèvements d’enfants en particulier les enfants des rues ou des albinos et tout çà pourquoi. In fine l’acte médical rational ne peut plus se faire correctement. C’est tout aussi difficile quand nous n’avons ni les moyens ni la formation pour accompagner les malades en fin de vie, on leur dit au dernier moment « gnibilèn », (rentrez chez vous en Wolof).
Et l’autre mythe, c’est autour de la chimiothérapie. Quand les gens arrivent ; on les reçoit ; on les rassure tout de suite qu’il faut faire la chimio comme on dit, comme s’ils allaient s’en sortir. A quoi elle sert finalement la chimio? 
Oui ! la chimio pour diminutif  chimiothérapie, parce que finalement quand le malade arrive à l’hôpital, sa maladie est avancée localement ou à distance qu’on appelle métastase. Et, la seule chose à faire, c’est un traitement systémique qui va agir partout dans le corps. Donc, la chimio dans ces conditions, malheureusement, guérit rarement. Cependant les progrès dans la connaissance du processus de la  naissance du cancer (cancérogenèse) ont permis de guérir de plus en plus de patients. Chez nous, après la chimio, l’argent ne sera plus dans les caisses et dans les poches et malheureusement la vie non plus. Oui, il y a un choix à faire. Le choix pour tous les pays sous développés en particulier le Sénégal que je connais bien,  de provoquer une concertation sociale sous l’égide du pouvoir publique pour collectivement dessiner les voies et moyens du développement.
J’ai parlé tantôt de la mutualisation des moins sur le plan régional dans l’éducation et la santé. C’est aussi valable pour les autres secteurs du développement des pays ; or ce qu’on constate aujourd’hui, c’est la pénibilité de la mise en place de ces fondamentaux qui préludent au développement. Et, quand on entend certaines déclarations dans les médias, les slogans politiques, on est vraiment déçu. Qu’un ministre dise que les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts, c’est très grave. En effet, si on est capable de sacrifier la qualité de son enseignement pour un intérêt financier et politique d’un pays soit disant ami, l’avenir des générations futures peut en être compromis.
Nous arrivons à la fin de cet entretien passionnant. Mais une question ne peut pas ne pas être abordée ; celle des médicaments, leur efficacité et leur coût. Aujourd’hui, nous savons que le prix des médicaments pour soigner ou guérir certaines affections, n’est pas à la portée de tous surtout pour les malades graves comme le cancer, le diabète, le Parkinson, l’Alzheimer etc. Et la prise en charge, elle n’existe pratiquement pas pour le grand nombre. Comment faire quand on n’a plus le choix ? 
M. Konté, il y a des choix à faire. En Arabie Saoudite où j’ai exercé pendant 15 ans, comme chef de service, j’ai eu le privilège d’avoir été un des rares étrangers à faire partir du comité médical qui est en fait le conseil d’administration, et qui naturellement pilote la politique de fonctionnement et de développement d’un centre hospitalier. Notre hôpital à lui seul a un budget de 500 milliards FCFA par année. Dans ce pays, la santé est gratuite pour tous les Saoudiens. C’est normal, ils en ont les moyens.
Mais, à Cuba aussi la santé est gratuite ; on n’y entend jamais de scandale sanitaires malgré la présence de toutes les maladies répertoriées de l’espèce humaine. Notre profil de développement économique est calqué sur celui des pays très développés  en particulier d’Europe, malheureusement, nous n’avons, ni la même histoire sociale, ni les mêmes potentialités organisationnelles malgré souvent l’existence de ressources énormes. Nous étions des esclaves et ensuite des colonisés de ces mêmes peuples, et aujourd’hui, force est de constater que nous nous identifions très mal dans le concert des nations souveraines; mais, en tout cas, je ne suis pas sûr que nous soyons des nations libres. Sinon que nous sommes dans une nouvelle forme de néo-colonialisme.
La politique d’accès aux soins sanitaires peut être relativement maîtrisée. En effet, tous les produits pharmaceutiques qui sont mis sur le marché, en particulièrement pour le cancer de manière spécifique, ont des génériques. Ils coûtent jusqu’à trois fois moins chers que le médicament correspondant en spécialité. Nous pouvons en faire une loi, qui stipulera qu’au Sénégal, nous n’allons utiliser que des médicaments génériques en toute liberté et exceptionnellement les spécialités jusqu’à ce que les prix deviennent raisonnables. Par définition, le médicament générique a la même structure que la molécule originale de la spécialité. L’Oms l’a décrit comme çà et l’accepte comme tel. Le fait de grosse commande du générique peut également faire baisser le prix de revient de l’unité. Cette option est intéressante pour la pharmacie nationale d’approvisionnement qui fournit les produits médicaux aux structures hospitalières.
Mais, le problème n’est pas seulement qu’ils soient moins chers, mais faut-il que le malade arrive relativement tôt à l’hôpital au stade où sa maladie est réversiblement curable. C’est le lieu de redire combien il important de privilégier la prévention et le dépistage mais aussi l’éducation des citoyens. Tous les cancers meurtriers peuvent être prévenus et/ou dépistables. C’est le cas du cancer du col et du sein que nous connaissons très bien, les cancers liés au tabagisme qui font des ravages (le poumon, cavité orale et pharynx et peut être même pour le pancréas et cofacteur pour le col utérin sans parler des pathologies cardiovasculaires et pulmonaires chroniques). Pour le financement de ces politiques de prévention ou de dépistage, il suffit de rendre l’accès difficile à la cigarette et à l’alcool  en majorant les taxes pour financer les caisses de la santé et réduire leur accessibilité.
On est entrain de conclure. Et, je reviens à vous parce que c’est vraiment courageux et tout ce que vous dîtes. On entend le chercheur, l’homme de l’hôpital qui parle. Ce que vous avez raconté autour de l’institut du cancer ne peut laisser et ne laissera sûrement pas indifférent certains (membre du corps, comme les administratifs, l’Etat et les malades). Aujourd’hui, mettant de côté de toute cette vie de mépris et d’injustices dont vous avez été victime, vous voilà de retour chez vous à la tête d’une unité que vous avez-vous-même construite à Yoff. Quel sens donnez à cet acte ?
D’abord, de prouver qu’il est possible de s’insérer dans la lutte contre le cancer, surtout pour moi aussi contre certaines maladies du sang comme la drépanocytose. Parce que vous n’êtes pas sans savoir que la drépanocytose peut être combattue par la prévention. Je vais vous donner un exemple. J’ai fait adopter le conseil marital en Arabie Saoudite qui impose à tous les jeunes couples du royaume depuis une dizaine d’année de faire le test de l’électrophorèse de l’hémoglobine et la numération formule sanguine entre autres tests, vu que c’est un pays à haute prévalence de la maladie. L’objectif c’est de dire au couple, voici votre profil génétique et vous avez par exemple 25% de chance de faire des enfants qui seront drépanocytaires  homozygotes ( 4 ) et qui n’arriverons jamais à l’âge adulte et qu’ils auront une qualité de vie rarement compatible avec la normale à cause de fréquentes manifestations douloureuses de la maladie, obligeant à de fréquentes hospitalisations.
Et le choix est laissé aux postulants et le plus souvent l’union ne se fait pas. Aujourd’hui, de manière trèss significative, l’incidence de la drépanocytose est entrain de baisser en Arabie saoudite. Donc moi dans la pratique privée du cancer et des maladies du sang, je suis vraiment fier de mettre à la disposition des patients une structure bien équipée comme vous l’avez constaté. Pour répondre aux besoins des malades. L’investissement  est justifié car ma pratique antérieure s’est toujours déroulée dans des conditions de facilité en termes de ressource humaine et du plateau technique. J’entends des sommes faramineuses demandées aux malades pour leur prise en charge thérapeutique et je peux vous assurer que beaucoup de ces collègues  ont une formation une formation insuffisante. Finalement la peur de venir à l’hôpital inabordable s’installe. Dés lors, la sollicitation des tradi-praticiens devient facilitée avec son cortège de souffrance.
Au niveau de mon centre médical, nous serons accessibles à toutes les catégories sociales avec la particularité que la Catégorie I (100 % de prise en charge) puisse aider au financement des catégories II et III avec des protocoles de traitement adaptés. Le principe est de pouvoir faire profiter les malades de mon expertise  sans distinction sociale. Je vous donne l’exemple de deux jeunes filles qui sont passées me voir récemment, je venais juste de finir de monter l’appareil  de colposcopie (5) pour le dépistage du cancer du col. Elles me disent, « Nous sommes venues pour demander si vous faites le dépistage du cancer du col utérin» ? J’ai dit oui, nous allons  le faire bientôt, le temps d’avoir les prix officiels des actes médicaux. En effet la colposcopie est indiquée à la dernière étape du diagnostique de dépistage précoce du cancer du col après une première consultation avec possibilité de faire le test de l’acide acétique et du lugol. Toutes ces étapes sont payantes et finalement le protocole de dépistage de masse, devient une médecine sélective et n’atteint pas ses objectifs. En réalité, la prévention et le dépistage des maladies doivent toujours être des prérogatives des pouvoirs publiques.
Vous avez touché une question sur le renouvellement des générations et la formation continue des médecins et membres du corps médical. De plus en plus, on voit arriver, à coté des ténors que vous êtes, de jeunes médecins qui ont tendance à s’installer à leur propre compte. Est-ce qu’on ne court pas le risque de voir des médecins avérés et trèss compétents, mais tous frustrés comme vous, refuser finalement d’intégrer définitivement le système hospitalier, en choisissant, malgré eux, de partir ailleurs ou simplement pour d’autres de monnayer leur talent aux établissements les plus offrants ici à Dakar ? 
En, fait, c’est plus sérieux que çà. Il y a une pratique médicale privée dont vous ne pouvez même imaginer l’implication dans la crise actuelle que connait la santé. Un collègue médecin universitaire me disait que même les étudiants en fin de formation se livrent à ces pratiques privées. Le même phénomène se passe dans l’enseignement avec la floraison des écoles surtout de formation. M. Konté, il est temps que l’état sévit pour ramener le comportement des individus vers des pratiques plus saines gage d’une société stable et prospère.
Djibril Ndaw, vous êtes de Sédhiou, vous l’avez dit au début de cet entretien. Depuis le début de cet entretien, toute la médecine et les maux dont on parle se sont limités aux grands hôpitaux, mais encore à la ville de Dakar. Comment regardez-vous nos centres secondaires de santé appelés aujourd’hui hôpital régional ? Cela soulève des questions de gouvernance, de management, de la qualité de l’offre de service etc. Comme va l’hôpital de région et de la petite ville ? 
Pendant ma jeunesse, je me rappellerai longtemps qu’à Sédhiou bien avant les indépendances, il y avait toujours un médecin-chef chirurgien qui faisait des interventions chirurgicales. Il y avait un groupe électrogène autonome qui permettait de travailler en toute tranquillité et sécurité. Oui les  temps ont passé et puis les indépendances sont arrivées et puis progressivement la « crise sanitaire » s’est installée pour aujourd’hui nous plonger dans un dysfonctionnement permanent malgré tous les efforts consentis par l’Etat. Le premier niveau de la crise est endogène  au corps médical. Les causes sont multiples et entre autre le conflit d’intérêt  entre la pratique libérale et publique. La deuxième raison est l’incapacité du ministère de la santé à gérer avec autorité les structures de soins. On peut faire de grandes choses avec de petits moyens mais faut-il que ceux qui ont en charge ce challenge soient déterminés à le faire. Toutes les conditions médicales pathologiques sont bien codifiées par ce que l’on appelle « les recommandations » ou guidelines des anglo-saxons et leur application simple permet de restaurer très rapidement les santés défaillantes au prix de peu de mortalité et de morbidité c’est à dire les séquelles que peuvent parfois laisser les maladies après leur guérison.
Pour en revenir à Sédhiou, nous sommes depuis un an et demi entrain de mettre sur pieds, une convention citoyenne de la région en dehors de toute considération politique. L’objectif est de nous mêler aux populations pour créer une dynamique d’auto-développement dans le cadre du plan directeur général de l’Etat. Conceptuellement, ce sont toujours de très bons plans, mais c’est dans l’application  que les ressources humaines et les volontés qui doivent les exécuter posent problèmes. Et tout récemment dans le cadre ce projet, nous avons eu le plaisir de distribuer quelques 22 millions de Fcfa de matériel médical remis à la région médical de Sédhiou. Ce matériel médical vient du Canada, sur don  de Collaboration Sante Internationale(Csi) à Casa Espoir qui est une Ong de sénégalais, casamançais installés là-bas  et c’est une autre Ong basée au Sénégal, appelé Mapcol qui reçoit la dotation et qui nous associe à  l’initiative en participant aux frais de transport  et de livraison du matériel dans les différentes structures participantes. Un second lot de matériel est en instance d’être livré et le troisième lot est en cours d’arrivage. L’objectif est de participer au rehaussement du plateau médical de la région de Sédhiou pour que l’essentiel des actes médicaux de d’investigations et de traitement se fassent sur place, et éviter les déplacements des patients vers Ziguinchor ou vers Kolda. Les centres de santé sont aussi concernés par nos actions. Pour la ville de Sédhiou, nous avons le sentiment qu’elle est oubliée de l’Etat depuis qu’elle est érigée en région. Nous avons appris avec beaucoup de plaisir que les travaux de bitumage du tronçon Sédhiou-Marsassoum avec pont sur le fleuve, ont débuté courant mai 2017 avec pour objectif de relier la capitale régionale à la route nationale 6 pour un accès facile vers Ziguinchor par Bignona. Mais globalement, ce que nous sommes entrain de faire n’aura de conséquence directe sur les populations  que si l’Etat gère tout cela de façon rationnelle et autoritaire.
Dernière question Djibril ; elle est d’ordre sentimental. Sortons de Sédhiou pour parler de l’ensemble sénégalais, quel est le regard que le cancer que vous êtes, posez sur la société, pour définir un avenir, à travers un discours qui peut accrocher les gens en les aidant à mieux savoir ce qu’est aujourd’hui le cancer et à aller vers un dépistage précoce contre toutes ces infections. 
Oui, une note positive, je voudrais bien. Mais, il y a deux jours j’ai fait un rêve bizarre, j’étais dans un Congrès à l’étranger entouré que de blancs ( comme dans le passé). Et, il y avait une assistante de recrutement qui me suivait et disait docteur Ndaw, donnez-moi vos papiers pour qu’on signe votre contrat de travail. Et je lui disais, mais écoute, je suis très embêté car  les documents sont mon téléphone et je ne sais où je l’ai mis. Et elle me suivait un peu partout et puis soudainement je me suis réveillé de mon sommeil. Je me suis rappelé que la veille, j’étais tellement empêtré dans la recherche des solutions que pose la prise en charge des malades que ce réveil était l’option de facilité pour encre quitter le Sénégal. Et puis dans la journée, l’esprit complètement d’aplomb, je me suis dit, non, plus jamais je ne repartirais. Rien ne sera facile car les difficultés sont tellement complexes que les patients eux-mêmes ne s’y retrouvent plus avec une perte totale de confiance au système. Et moi, non plus, je ne me retrouve plus. Mais,  je pense que la seule chose que je devrais faire toute ma vie, c’est de ne jamais laisser les autres imposer leurs solutions. Le Sénégal est un pays qui peut résolument tourner le dos à la pauvreté à condition que tout le monde y mette du sien à commencer par ceux qui nous gouvernement. Allons-nous vivre les calamités des richesses fossiles qui se profilent dans un avenir très proche ? Les conflits politiques augurent un tel avenir à moins que s’invite de manière inattendue

Propos recueillis
par Mame Aly KONTE, Sud quotidien

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