Liberté d’expression: les surnoms donnés aux chefs d’Etat, offense ou pas?

Une jeune femme a été incarcérée début août au Sénégal après avoir traité de « lézard » le président Macky Sall. S’en est suivi un tollé sur la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. Les chefs d’Etat sont souvent affublés de surnoms empruntés à l’histoire, aux croyances, à la culture populaire. Certains s’en offusquent, d’autres s’en amusent.

Le président du Sénégal n’en est plus à sa première réaction d’humeur face à la critique. L’ancien ministre de la Justice, Amadou Lamine Sall, lorsqu’il avait traité Macky Sall de « féticheur », dans le cadre du procès de Karim Wade en 2013, s’est retrouvé derrière les barreaux pour offense au chef de l’Etat. La chanteuse Amy Collé Dieng a subi le même sort, le 3 août dernier, pour avoir traité le président de « ounk » (salamandre) sur un message sonore posté en groupe restreint sur l’application Whatsapp, puis diffusé sur internet.

« Dans la tradition wolof, quand on aperçoit ce lézard on ne dit pas son nomon l’appelle de manière détournée saï-saï, c’est-à-dire « coquin, bandit, libertin », ou au sens figuré et péjoratif « hypocrite, machiavélique, sournois », explique un internaute dakarois. La croyance veut que si l’on prononce le nom de cet animal malfaisant, dont les sécrétions abîment la peau humaine, il s’enfuit et on ne peut pas l’éliminer. » Le chef de l’Etat s’en est offusqué et la chanteuse a passé dix jours en prison, avant d’être libérée.

Alioune Tine, directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, à Dakar, est intervenu dans le tollé qui a suivi. Il a appelé à la suppression de l’article 80 du Code pénal qui fait de l’insulte au président un délit passible d’une amende et d’une peine de prison, voyant dans la « censure un facteur puissant d’impulsion et de motivation » et dans « l’imagination des Sénégalais une réelle consolidation de la culture démocratique ».

Au Bénin, les chefs d’Etat ne bronchent pas

Au Mali voisin, le président Ibrahim Boubacar Keïta est surnommé « Mandé Massa » (Prince du Mandé) par la presse, de façon ironique. Car il est originaire de Sikasso et non du Mandé, même s’il se réclame de la lignée de Soundiata Keïta, empereur mandingue.

Au Bénin, les chefs d’Etat ne bronchent pas face à leurs surnoms. Mathieu Kérékou était appelé « le Caméléon », pour son don d’adaptation au contexte politique, « le grand K », pour camarade de lutte, « Kékéréké », un slogan pour son retour au pouvoir en 1996, et, de façon moins sympathique, « Ya Agbannon », la vieille propriétaire de l’étalage au sens littéral du terme.

Nicéphore Soglo, lui, a été surnommé « Quand j’étais à la Banque mondiale » en raison de ses nombreuses allusions à son ancien poste, et Yayi Boni « Yinwè », ( c’est moi ) en fon, une formule qu’il répétait souvent lui-même, pour souligner sa propre importance. L’actuel président Patrice Talon, à son tour, est surnommé « Agbonnon », ( le propriétaire du souffle ) en fon, autrement dit le Tout-Puissant. « Certains trouvent ce surnom blasphématoire, mais c’est à l’image du pouvoir que veut avoir Patrice Talon, riche et capable de tout », explique le journaliste béninois Marcus Boni Teiga.

Des surnoms pas toujours désobligeants pour les hommes forts

On trouve la même mansuétude à l’égard du président ivoirien, surnommé « Brave Tché » (« homme fort », « tché » signifiant garçon ou homme en dioula) ou « Prado », un acronyme de « Président Alassane Dramane Ouattara », sans rapport avec le grand musée de Madrid qui porte le même nom. Rien à voir non plus avec « le boulanger d’Abidjan », le surnom de son prédécesseur Laurent Gbagbo, inspiré par son art de rouler ses adversaires dans la farine.

Plus loin, en République démocratique du Congo, le président Joseph Kabila n’a pas d’autre surnom que « Rwandais ». « Ce mot signifie à la fois « illégitime », « étranger », ou encore« marionnette de Kigali » », selon un journaliste congolais.

Paul Kagame, réélu le 4 août avec plus de 98 % des voix, est pour sa part surnommé « Pilato » par ses détracteurs qui se trouvent hors du Rwanda, personne n’osant critiquer ouvertement le président dans le pays. Une référence religieuse à ses méthodes dures de chef militaire, tirée du nom latin de Ponce Pilate, le préfet romain qui a ordonné la crucifixion de Jésus.

Dans les régimes les plus autoritaires ou discrédités, les chefs d’Etat n’écopent pas toujours de surnoms désobligeants. Jacob Zuma reste appelé « Msholozi », son nom de clan, de manière affectueuse, comme l’était Madiba, alias Nelson Mandela en son temps. Au Zimbabwe, « The Old Croc » s’amuse de son surnom. Robert Mugabe a soufflé ses 88 bougies en 2012 sur un lourd gâteau d’anniversaire en forme de crocodile.

AFP

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