SOURIRE D’HIVERNAGE ET BEAUTE DE LA NATURE: LE MIL DANS TOUTE SA SPLENDEUR

La belle saison. L’hivernage 2017 suit son cours et se termine tranquillement avec des pluies bien espacées dans le temps et une belle montée des plantes qui ne trahissent pas tous les espoirs d’une saison pleine de promesses. Sur le littoral, l’heure semble au premier bilan pour l’arachide, le niébé et le mil. Une situation bien différente de ce qu’on a connu, il y a deux ou trois ans quand les épis de mil étaient si maigres que le paysan se demandait s’il fallait s’investir à ce point en bravant la chaleur et la pluie. Pour cette année, tout est différent. Le mil est dans ses états. Plante peu exigeante en eau, la céréale la plus cultivée au Sahel montrer toute sa beauté, la vigueur des épis et la beauté des champs.

Exubérance, vitalité et une belle splendeur… Ces mots, à eux seuls qui associent la vie et les couleurs du moment, ne sauraient résumer toute la beauté des espaces de verdure qui caractérisent en cette saison, la finalisation de la saison des pluies pour une céréale loin d’être ordinaire : le mil. Au cœur des différentes thématiques de l’agriculture dite de subsistance, il est une céréale à part au Sahel. Plante exotique pour les profanes, céréale de première importance parce que de soudure pour les paysanneries africaines du Sénégal au Kenya, le mil est une culture de première importance sur le continent.

Au Sahel et un peu partout en Afrique, c’est l’une des céréales de base qui nourrit une bonne partie de la population urbaine et rurale. Dans ce document exceptionnel que vous offre votre journal dans ses pages vacances pour cette année 2017, l’idée est de vous faire voyager dans un univers exotique plein de surprises avec comme seule source d’inspiration, la beauté de ce produit de subsistance qui a permis de nourrir des générations d’humains et d’animaux un peu partout en Afrique.

Un véritable havre de bonheur dans les champs et les villages autour. A Sessène dans le fief sérère comme dans toute le zone de Sandiara, Thiadiaye et environs, mais encore au niveau du littoral proche du coté de Sarène, Sidibougou et encore, tout est au vert. L’herbe monte. Le mil aussi suit son évolution. La période des récoltes n’est pas loin. La terre ne ment pas, entend-t-on souvent dire, mais que ce fut dur au début de l’hivernage de mettre sous le sol sec et sans eau, ces quelques kilos de graines pour une surface parfois équivalente à un voire deux hectares. Le résultat est là avec ces beaux épis qui émergent en ce moment sous le chaud soleil d’hivernage.

Plante ordinaire pour les habitués, le mil (qu’il soit de la variété souna, sanio et sorgho) est aussi une espèce extraordinaire parce que pleine de charme.

Certaines personnes qui n’ont jamais aperçu ou touché une tige de mil en connaissent toutes les saveurs, du lakh au couscous en passant par le rouye et la bouillie de mil servies  à la femme qui vient de mettre au monde son bébé. La mil dans ses états, c’est aussi pour le grand bonheur des fils et enfants de paysans  qui ont tiré les animaux de trait derrière les machines jusqu’à cette période de la mousson qui pointe pour éviter que les herbes n’étouffent la plante.

La beauté de toutes les formes d’agriculture et leurs secrets sont plantés dans ce décor. Mais, le véritable secret pour arriver à faire «  exploser » la vitalité de cette plante, est bien connu des spécialistes : à savoir, la valeur des sols, le respect des périodes de semis et de labour, la propreté des champs et le suivi ; tout un système de management que le savoir traditionnel des gens de la terre, a permis de vulgariser dans les écoles, les fermes d’agriculture, de maraichage et d’élevage.

Dans ces villages et petites communes rurales autour de Mbour, de Thiadiaye, jusqu’à Fatick, Kaolack, la surconsommation du riz a aussi mis en exergue le niveau de pauvreté de systèmes de productions agricoles longtemps autosuffisants ; cela du fait de la production en quantité suffisante de la céréale pour l’époque. La tendance est dans une forme d’inversion près de 30 ans, après le changement de comportement qui a amené les ruraux, à se résoudre à la consommation de riz dont ils n’avaient ni les moyens encore moins les espaces de production. Le mil revient donc dans tous les terroirs où il avait progressivement disparu comme champ de case, mais encore autour des villages.

Au grand bonheur des oiseaux aussi qui s’en nourrissent dès l’apparition des épis et des graines. Céréale du bonheur, le mil est ainsi partout du Sénégal aux côtes indiennes, une des nourritures principales des gens de la terre, avec sa farine qui sert à faire du pain, du couscous, de la bouillie, des galettes et des gâteaux.

Une céréale sahélienne au cœur de la nourriture des terroirs

Généralement peu connu en Europe, le mil peut être confondu  avec du maïs. Comme cette céréale, il  présente des feuilles longues et larges et  une  tige  épaisse  formée par la base de feuilles enroulées sur elles-mêmes. Dès l’apparition des panicules, le doute n’est plus possible. Il présente une inflorescence allongée et resserrée, presque duveteuse. Les graines sont rondes, plutôt petites et très dures. Domestiqué au Sahel, le mil est capable de pousser  sous  des climats extrêmement chauds et secs. Le mil sauvage, descendant de l’ancêtre du mil cultivé pousse jusqu’ à  la  lisière  du désert. Le mil possède ainsi des  propriétés intéressantes pour l’adaptation de l’agriculture au changement climatique.

De par la taxonomie, le mil appartient ainsi au genre Pennisetum (famille des poacées, sous-famille des Panicoideae, tribu des Paniceae) dont la soixantaine d’espèces est répartie dans les régions tropicales et  subtropicales. Ce genre est ainsi divisé en cinq sections. Le mil 1 appartient à la section Penicillaria, qui se caractérise par la présence d’une touffe de poils sur l’apex des étamines.

Dans l’espèce P.glaucum, Van Der Zon (1992) reconnaît trois sous-espèces: P. glaucum subsp.glaucum, le mil cultivé; P. glaucum subsp. violaceum, la forme sauvage largement présente en Afrique dans la zone sahélienne, de l’Atlantique à la mer Rouge, dans des situations écologiques très variées ; l’espèce dite P. glaucum subsp. Sieberianum, qui rassemble les formes intermédiaires issues d’hybridations naturelles entre formes cultivées et formes sauvages.

Les cultivars traditionnels correspondent cependant, à une réalité paysanne et au choix délibéré d’un type plutôt que d’un autre. A titre d’illustration, on peut citer: pour le Sénégal et le Mali, les Sounas (variétés précoces), les Sanios (variétés tardives) et la variété Tiotandé spécifique de la vallée du fleuve Sénégal (mil de décrue); pour le Burkina, l’ensemble des Hainis (variétés précoces). Egalement présentes sur cette longue liste, l’ensemble des Kazouyas (variétés semi-tardives du centre) et l’ensemble des Doufouâs (variétés tardives de l’ouest).

Pour le Niger, on peut citer les groupes Haïni Kiré, Guerguéra et Zongo (variétés précoces de l’ouest), les groupes Ba-Angouré, Ankoutess et Boudouma (variétés précoces de l’est), le groupe Maïwa (variétés tardives rencontrées dans l’ouest et le centre), auxquels il faut ajouter les mils d’oasis cultivés dans le massif de l’Aïr.

Et, le voyage ne se termine pas ici pour ce produit d’exception.

Et si le mil remplaçait le riz dans les assiettes

Selon une étude des Centres de gestion et d’économie rurale de la Vallée du fleuve Sénégal (Cger), publiée en 2015, les terres cultivables au Sénégal sont estimées à 3,8 millions d’hectares,  soit 19% de la superficie totale du pays. Elles sont situées en majorité dans le Bassin Arachidier (57%), la Casamance (20%) et le Sénégal oriental (10%), la Vallée du Fleuve Sénégal (8%), la zone Sylvopastorale (4%) et celle des Niayes (1%). Parmi les terres cultivables, 2,8 Mha sont effectivement cultivés, soit environ 73%.

Pour la campagne agricole 2012/13, 1 248 507 ha ont été emblavés en céréales pour une production totale de 1.669,960 tonnes (t). Le mil vient en tête avec 40% du total de la production céréalière, suivi du riz (38%), du maïs (14%) et du sorgho (8%). En volume, la région de Saint-Louis domine avec 30% de la production céréalière, suivie de Kaffrine et de Kaolack avec respectivement 11% et 10% de la production du pays, souligne l’étude. Le mil est la céréale la plus cultivée au Sénégal avec 71% des superficies emblavées en céréales pour la campagne 2011/12 et 65% pour la campagne 2012/13.

Il représente en moyenne 42% du total des céréales produites, mais ne représente que 26% des céréales consommées par les Sénégalais. Au même moment, le riz est, en revanche, la céréale la plus consommée (42% de la consommation nationale) ; mais seulement 11% des superficies céréalières lui sont consacrés et le riz ne représente que 38% de la production céréalière nationale.

SANIO, SOUNA, BASSI… : Une sociologie et une histoire très rustique

Le mil a été domestiqué en Afrique de l’Ouest, il y a 8000 ans. Les dernières recherches à partir de données Adn suggèrent que cette domestication a eu lieu quelque part entre le Niger et le Mali actuel. Le   mil  a depuis été exporté sur les autres continents, principalement en Asie. Le  premier producteur de mil est actuellement l’Inde, loin devant  le Nigeria, le Niger et le Mali. Le Sénégal est situé un peu loin derrière du fait de sa superficie limitée à coté de ces pays géants qui dépassent le million de kilomètre carré.

Céréale des zones arides, le mil a été adapté à tous les sols  sur le continent. L’Afrique est ainsi le premier producteur mondial de ce produit-phare de la gastronomie rurale, consommée depuis la préhistoire, et qui se satisfait de terres pauvres et de faibles pluies. Consommée depuis les temps les plus reculés, on a trouvé des traces de sorgho – qui est l’une des variétés du millet – sur des grattoirs en pierre datant de 100.000 av. JC au Mozambique. En 2005, des archéologues ont également trouvé en Chine des nouilles fabriquées avec de la farine de mil, datant de 4.000 av. JC.

Dans l’Egypte pharaonique, ce voyage dans le temps s’est poursuivi ; et l’on fabriquait du pain plat, type pita, avec de la farine de mil, et l’on buvait aussi de la bière de mil. La Bible décrit des cultures de mil en Palestine en 600 av. JC, et dans ses voyages en Orient, Hérodote en observe en Perse en 400 av. JC. Pour dire que même présent, sur ces terres chaudes et sableuses du Sahel, le mil n’en demeure pas moins, une céréale de haute importance par la facilité de sa production et la qualité de ses épis et de sa graine.

Dans la Rome antique, les populations pauvres faisaient une grande consommation d’une bouillie de mil, appelée “puls” – le nom latin du mil est millium – peut-être parce que ses graines viennent par “milliers” ? Jusqu’au Moyen-âge, les populations d’Europe méditerranéenne consommeront cette bouillie de mil. Au XVIème siècle, avec l’introduction du maïs venu des Amériques, la “polenta” en Italie sera fabriquée avec cette nouvelle céréale. Le mil est une espèce annuelle, diploïde sexuée, hermaphrodite, préférentiellement allogame avec une protogynie fortement marquée. Sa pollinisation est anémophile. La longueur du cycle de culture-du semis à la récolte-peut varier de 60 jours, pour les variétés les plus précoces, à 180 jours, pour les plus tardives.

Le comportement photopériodique des variétés détermine le choix de leur implantation. Les variétés semi tardives et tardives restent les plus nombreuses dans la zone soudano-sahélienne; les formes précoces prédominent dans la zone climatique typiquement sahélienne (Clément et al., 1993). Le mil est adapté aux contraintes du milieu sahélien. Il se caractérise par une forte aptitude à mettre en place des mécanismes physiologiques qui lui permettent de tolérer la sécheresse : ralentissement des pertes en eau avec, au niveau des feuilles supérieures, maintien d’un niveau hydrique favorable au bon remplissage des grains (Winkel et Do, 1992; Winkel et al. 1997).

Produit presque exceptionnel, la leçon de tout cet argumentaire finit par ce constat d’experts et de spécialiste de la santé et de la nutrition selon lesquels « le mil est un produit naturel qui contient 11% de protéines, soit le même taux que le blé. Il est très riche en vitamines B, acide folique, calcium, fer, potassium, magnésium, et zinc. » Produit par excellence  de l’agriculture au Sahel, il est aussi un produit culturel. Et, traditionnellement, au Sénégal, lors de cérémonies et de certaines festivités comme les baptêmes ou les funérailles, on a l’habitude de préparer des plats à base de mil comme le « lakh » ou le nakk. Pour les férus de bonne nourriture, un baptême sans « lakh » (Bouillie) n’est pas imaginable au Sénégal comme au Mali. Dans beaucoup de foyers, on a aussi certaines habitudes alimentaires comme de manger du couscous les vendredis soir, ou encore du « thiacry » ou du « ngalax » les dimanches soir.

Sudquotidien

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