Secret bancaire : Kenya et Liberia, les champions africains de l’opacité

Le Kenya est le pays africain où le secret bancaire est plus renforcé, selon l’édition 2018 du rapport de l’organisation Tax Justice Network (TJN). Trois pays ouest africains figurent sur la liste de 112 pays étudiés par l’indice du secret bancaire.

Occupant le 27e rang, le Kenya, moteur économique de l’Afrique de l’Est, est le champion du secret bancaire sur le continent, indique l’indice 2018 de TJN (crée en 2003), une organisation internationale qui milite contre les flux financiers illicites.

A cette place, le Kenya a supplanté l’Ile Maurice. Régulièrement décrié comme un paradis fiscal, l’Ile Maurice était le pays africain ayant le plus fort taux de secret bancaire dans l’indice 2015 de TJN. En 2018, l’Ile Maurice se retrouve au 49è rang (23è en 2015).

Figurant pour la première fois dans ce classement, le Kenya doit son statut de champion africain du secret bancaire au Nairobi Financial Center (NIFC), un hub de services financiers que le gouvernement est en train de mettre en place sous la poussée des «lobbyistes de la finance internationale», relèvent les enquêteurs.

«L’indice classe toutes les juridictions en fonction de leur contribution au secret bancaire qui globalement s’avère nocif», explique TJN dans son rapport. Dans sa méthodologie, l’organisation considère que la position au classement de l’indice dépend du montant de fonds illicites qu’une juridiction peut faire circuler.

«Dans son acception la plus simple, le secret bancaire qui fait partie du secret professionnel est l’obligation que les banquiers ont de ne pas livrer à des tiers des informations sur leurs clients». Les spécialistes relèvent toutefois, le caractère variable de cette notion dont les applications diffèrent selon les pays.

Liberia, le champion ouest africain

Neuf pays africains ont été étudiés par le rapport 2018. Parmi ceux-ci, on retrouve trois pays d’Afrique de l’ouest.

Le rapport mentionne que le Liberia, qui vient de connaitre une nouvelle alternance politique, est le pays d’Afrique de l’ouest qui affiche le plus fort taux de secret bancaire. Il est suivi du Ghana et de la Gambie.

Placé au 38è rang mondial, avec un score de 79,70 sur 100, le Liberia vient après le Kenya et devance même l’Ile Maurice sur la liste des pays africains (Kenya, Liberia, Maurice, l’Afrique du Sud, Tanzanie, Seychelles, Ghana, Botswana, Gambie).

Dans un échange de courriels avec Ouestafnews, George Turner, chercheur à TJN, explique que le Liberia est devenu un « havre » du secret. « Sous l’instigation des Etats-Unis, la loi a été modifiée et elle permet aujourd’hui à quiconque de créer anonymement son entreprise », déplore M. Turner.

Dans le  dernier rapport de Transparency International sur la perception de la corruption publié en janvier 2017, le Liberia se classe au 90è rang sur un total de 170 pays.

Selon la méthodologie de TJN, «une juridiction avec un taux moyen de secret, mais un large marché de services financiers peut être classé en haut du classement, de même une place financière avec un taux de secret très élevé mais doté d’un marché restreint peut occuper un rang inférieur », indique l’ONG.

Plus la taille du marché et les services proposés sont importants, plus la probabilité est grande de voir des fonds illicites passer par les mailles, explique TJN.En guise d’exemple : le Kenya affiche un score de 80,5 sur 100 mais est mieux classé que la France qui affiche un score de 51,55 sur 100 et occupe la 25è place.

Aucun pays francophone d’Afrique ne figure sur la liste de pays et territoires étudiés par TJN.

«Actuellement nous ne pouvons pas étudier toutes les juridictions, raison pour laquelle nous nous focalisons sur celles qui dispose des plus larges marchés d’offres de services financiers offshore», a déclaré dans un échange de courriels avec Ouestafnews, George Turner, chercheur à TJN.

Suisse, Etats-Unis, les places fortes

A la lecture des indices 2015 et 2018, on constate que des pays et des territoires membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, qui regroupe essentiellement des pays développés) figurent en haut des classements.

Dans ces deux publications, c’est la Suisse qui occupe la tête. Et on retrouve les Etats-Unis et l’Allemagne dans le top 10.

«La Suisse, les Iles Caïman et les Etats-Unis sont les zones où l’on pratique le plus le secret bancaire, lequel est un facteur favorable pour le crime financier et la circulation des flux financiers illicites particulièrement le blanchiment, l’évasion fiscale», soulignent  TJN dans un communiqué accompagnant la publication du rapport.

Globalement, «l’indice du secret bancaire démontre que dix ans après la crise financière, tous les pays ont encore du chemin à faire en matière de coopération financière », estime TJN qui souligne aussi l’impact négatif du secret financier sur le développement économique.

Dans son rapport intitulé «Partager la richesse avec ceux et celles qui la créent », publié le 22 janvier 2018, Oxfam International évalue à 170 milliards de dollars par an, le manque à gagner causé par l’évasion fiscale dans les pays en développement.

La même source renseigne aussi qu’au moins 7600 milliards de dollars issus de l’évasion fiscale sont dissimulés dans les paradis fiscaux.

Critiques contre TJN

Définie par ses promoteurs comme l’étude la «plus complète au monde» en manière d’évaluation du secret bancaire dans les places financières, l’indice de TJN n’emporte pas l’adhésion de tous, notamment du point de vue de sa méthodologie.

«Force est de reconnaître que les analyses effectuées par TJN relèvent d’un travail très fouillé (…) Il ne s’agit là toutefois que d’une apparence de rigueur et de scientificité », soulignait Pierre-Marie Glauser, avocat et professeur de droit fiscal à l’Université de Lausanne après la publication de l’indice 2015.

Cité à l’époque par le site web du quotidien Le Temps à l’époque, Maître Glauser dénonçait un «parti-pris idéologique» de la part de TJN. «On peut distiller des accusations sans fondements mais nous tenons à rappeler que notre indice est utilisé par des agences de notations, des journaux académiques et notre méthodologie en matière de statistiques a été validée par le Centre commun de recherche de l’Union européenne», affirme M. Turner, en réponse à l’avocat suisse. Publié tous les deux ans depuis 2009, l’indice du secret bancaire est basé sur une vingtaine de critères et d’indicateurs.

ouestaf

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