Mouhamadou Mbodj a vécu ! Un homme d’Etat, hors de la sphère de l’Etat (Par Elimane H. KANE)
Mouhamadou Mbodj n’est plus ! C’est la nouvelle qui m’a ébranlé ce samedi 10 Mars de l’année 2018 au petit matin…
Le Sénégal et la société civile internationale ont perdu une valeur sure. Un brillant esprit aux capacités intellectuelles redoutables qui a su laisser sa marque dans sa société, à travers son engagement puisé dans une primo-formation politique solide aux cotés des grands hommes de la gauche internationale, mais aussi très tôt abreuvé à la source nationaliste de Cheikh Anta Diop. Mouhamadou Mbodj est membre fondateur du Forum civil, une organisation créée en 1993, à qui le Sénégal doit rendre un grand hommage, compte tenu de sa contribution décisive dans la marche de la démocratie dans ce pays. Il était coordonnateur de cette association de la société civile depuis 2004.
J’ai connu Mbodj en 1998, lorsque avec d’autres camarades jeunes étudiants – dont certains l’ont précédé dans l’au-delà (paix à leurs âmes !) – nous organisions l’implantation de l’association dans le campus universitaire de Dakar. Mbodj faisait partie de ceux –là qui manifestaient plus de disponibilité et de sollicitude à notre égard. Il se faisait déjà remarquer par sa courtoisie, la pertinence dans les propos, la singularité de son approche, sa capacité à convaincre son auditoire et à mobiliser, mais surtout son humilité dans l’assistance.
En 2004, quand il accédait à la fonction de coordination du Forum civil, il nous avait remobilisés autour de lui pour impulser une nouvelle dynamique à l’association qui était déjà un aiguilleur de l’opinion et une véritable force de proposition pour des réformes incisives. Sa vision était claire et ambitieuse. Il fallait aller au-delà de la mission d’alerte et de « watchdog » dédiée à la société civile pour impulser les vrais changements à travers des programmes à concevoir et mettre en œuvre avec les populations, se rapprocher des populations et assurer un véritable maillage sur l’étendue du territoire sénégalais. Ainsi nous avons commencé à sillonner le pays jusqu’à implanter plus de 80 sections entre 2007 et 2012 (année à laquelle j’ai quitté la direction exécutive du forum civil), dans toutes les régions du Sénégal. Nous avions aussi réussi à mobiliser des ressources pour mettre en œuvre plusieurs projets d’éducation citoyenne et de consolidation de la démocratie locale, tout en poursuivant les activités de plaidoyer pour lutter contre la corruption, promouvoir les principes de bonne gouvernance et initier des débats pour la refondation politique, économique et sociale. Sa disponibilité à recueillir les doléances des populations victimes d’injustices avait fini par faire de la salle de réunion du Forum civil, une véritable table d’écoute active. Par son travail acharné et sa capacité à rassembler et fédérer des initiatives, mais aussi à rassurer les décideurs à s’engager aux côtés des organisations de la société civile pour porter un certain nombre de réformes, il a su favoriser des synergies décisives comme lors de la formulation des assisses nationales, et différentes plateformes nationales et coalitions locales de la société civile,… Sa méthode était de construire des consensus d’intégrité autour d’arguments objectifs tirés de la production de la connaissance. Mbodj était aussi un théoricien de la « zéro-structure » pour veiller à ce que nos associations restent proches des citoyens pour leur offrir des cadres d’expression démocratiques, et ne deviennent pas des bureaucraties oligarchiques. Sa propre rigueur dans les relations professionnelles n’a pas manqué de créer des frictions entre lui et certains de ses différents collaborateurs. De ces frictions et des divergences parfois feutrées sur les choix et décisions dans la gestion, il a toujours su faire le discernement et entretenir l’affection que presque tout le monde lui vouait.
Aujourd’hui me reviennent tous ces moments passés ensemble, dans presque tous les coins du Sénégal, sa façon intrigante de se tenir devant ses interlocuteurs, sa capacité à toujours percevoir l’essentiel dans un débat de hauteur. Assurément, il s’était révélé à moi, comme un brillant esprit, alerte et structuré ; un homme courageux et stratège, d’une intelligence rarement égalée et d’une discrétion infaillible. Un patriote avec un sens élevé de l’intérêt général, intransigeant devant l’inacceptable. Ces qualités lui ont valu beaucoup d’oreilles attentives et de hautes responsabilités dans la société civile sénégalaise et internationale. Le coordonnateur, comme l’appelait ses collaborateurs, Doudou pour ses proches, était surtout un véritable influenceur, écouté des pouvoirs publics, des guides religieux, du secteur privé, avec une empreinte réelle dans les luttes citoyennes nationales et africaines, particulièrement dans ce qu’étaient les assises nationales, à l’époque. Il avait le courage d’assumer ses positions et de les argumenter. On pouvait être en accord ou en désaccord avec lui, mais on ne peut pas ne pas lui reconnaitre le courage de ses propres choix.
Mouhamadou Mbodj était un homme d’Etat qui avait choisi de servir son pays en restant en dehors de la sphère de l’Etat. Il était à la fois sentinelle et influenceur !
Par devoir et pour notre compagnonnage utile, mon hommage et mes prières l’accompagnent pour le repos de son âme.
Qu’Allah pose sur lui le manteau de Sa Miséricorde !
Elimane H. KANE
Ex-Directeur exécutif du Forum civil.
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