CPI : 20 ans de justice à deux vitesses ?
La Cour pénale internationale (CPI) a eu 20 ans, le mardi 17 juillet 2018. Deux décennies pendant lesquelles cette juridiction a essuyé de vives critiques de la part de l’Union africaine (UA) qui lui reprochent de faire une fixation sur le continent. Paradoxalement, ces Etats africains sont les premiers à faire appel à ses services, en cas de troubles graves.
«Si aujourd’hui, la CPI ne poursuit que des Africains, c’est parce que c’est nous les Africains qui avons porté plainte au niveau de la CPI», a expliqué à Ouestaf News, Babacar Ba, président du Forum du justiciable (ONG basée à Dakar).
La CPI est une institution juridique qui mène des enquêtes et, le cas échéant, juge les personnes accusées des crimes «les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime d’agression», note-t-elle sur son site web.
«Il faut reconnaître que la CPI, le plus souvent, ne s’autosaisit pas. Ce sont nos dirigeants qui portent plainte, défèrent l’affaire devant la CPI», a insisté le président du Forum du justiciable. Le traité de Rome compte 123 Etats signataires dont 33 pays africains.
Trois condamnations africaines
Et depuis la création de la CPI en 2002, trois personnes ont été condamnées, toutes d’origine africaine.
Le 10 juillet 2012, la Cour a condamné à 14 ans de prison ferme, l’ex-chef de guerre congolais, Thomas Lubanga, reconnu coupable de crime de guerre pour avoir enrôlé des enfants de moins de 15 ans dans ses troupes.
En 2015, Germain Gatanga a été condamné à 12 ans de prison pour des meurtres et pillages commis lors d’une attaque d’un village en République démocratique du Congo (RDC).
En 2016, un jihadiste malien, Ahmad Al Faqi Al Mahdi, a été condamné à neuf de prison pour destruction des mausolées de Tombouctou, classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
En juin 2018, l’ex vice-président congolais, Jean-Pierre Bemba, a été acquitté en appel. Deux ans auparavant, il avait été condamné en première instance à 18 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République Centrafricaine entre 2002 et 2003. L’acquittement de M. Bemba est un argument de plus pour les contempteurs de la Cour.
Pour l’avocat spécialiste de la justice internationale, Nicolas Tiangaye, l’un des reproches qui est fait à la CPI est que l’ensemble des accusés poursuivis, «sont des Africains et cela porte atteinte à son universalité».
«Ce caractère sélectif des personnes africaines qui sont accusées constitue à mon avis des talons d’Achille de la CPI», a indiqué M. Tiangaye par ailleurs ancien Premier ministre centrafricain, cité par RFI.
Vingt ans après sa création, la CPI a instruit 26 affaires, la plupart encore en phase de procès. Elle a délivré 32 mandats d’arrêt dont 15 ont été exécutés et six individus faits prisonniers.
En attendant, Gbagbo et Blé Goudé
La CPI garde quelques personnes en détention. L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est en détention depuis le 30 novembre 2011 dans un quartier pénitentiaire de la CPI, accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire.
Son ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, est également en détention depuis mars 2014 pour les mêmes chefs d’accusation.
Depuis décembre 2016, Dominic Ongwen, ancien commandant de l’armée de résistance du seigneur (LRA, sigle en anglais), est en détention à la CPI, poursuivi pour crime contre l’humanité et crime de guerre en Ouganda. Le chef de la LRA, Joseph Kony est aussi dans le collimateur de la CPI depuis juillet 2005, date à laquelle un mandat d’arrêt international a été émis contre lui.
D’autre part, le mandat d’arrêt international émis en 2009 contre le président soudanais (dont le pays n’a pas signé le statut de Rome), Omar El Béchir, est toujours de rigueur. Le président El Béchir, suspecté par la CPI de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide lors de la guerre du Darfour.
L’actuel président kenyan, Uhuru Kenyatta, avait aussi été ciblé par la Cour après les violences post-électorales de 2007. Cette démarche de la CPI contre des chefs d’Etat en exercice, à un moment donné, a ulcéré les dirigeants de l’Union africaine.
Faut-il quitter la CPI ?
Visé par une enquête sur de présuposés crimes contre l’humanité qui auraient engendré 1.200 morts, le Burundi est devenu en octobre 2017 le premier pays à quitter la CPI.
L’Afrique du Sud a annoncé en 2016 son retrait. Elle a aussi été suivie par la Gambie. Tous ces deux pays invoquent une «justice à deux vitesses».
Le conseiller spécial du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Adama Dieng, précise toutefois que le retrait d’un pays de la CPI n’empêche pas des poursuites en cas de commission de crimes internationaux conformément l’article 6 du traité de Rome.
Et pour le président du Forum du justiciable, Babacar Bâ, «si nous voulons sortir de la CPI, il va falloir qu’on ait une institution sous-régionale, c’est-à-dire une Cour pénale africaine internationale».
De son côté, le président nigérien, Muhammadu Buhari, a estimé que la Cour pénale internationale est une «institution mondiale vitale».
«Je dis «vitale» parce que le monde a plus que jamais besoin de la CPI (avec) la prolifération alarmante des crimes les plus graves à travers le monde», a précisé le chef de l’Etat nigérian, lors d’une cérémonie organisée, à La Haye, à l’occasion du 20è anniversaire de la ratification du traité de Rome.
En phase avec les propos du président nigérian, Babacar Bâ a souligné que «pour l’instant, le continent gagnerait à rester dans le giron de la CPI».
Ouestaf
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