Lutte de l’opposition sénégalaise depuis la deuxième alternance: Des analystes mettent a nu les impairs d’une stratégie
Des coalitions et plateformes de lutte de l’opposition contre le régime du président Macky Sall se font et se défont, depuis la seconde alternance. Aujourd’hui encore, des initiatives sont entreprises pour bouter hors du pouvoir le régime. Quid, cependant de toutes ces initiatives de 2012 à nos jours ? Quels ont été les impacts réels de ces stratégies ? Sur quels leviers pourraient s’appuyer l’opposition pour secouer le régime qui semble faire la sourde oreille à toutes ses revendications et actions ? Des analystes, en l’occurrence l’expert en communication politique, Momar Thiam et le journaliste formateur, Ibrahima Bakhoum livrent, dans cette interview croisée, les différents impairs de la stratégie de lutte mise en place par l’opposition sénégalaise, depuis 2012.
MOMAR THIAM EXPERT EN COMMUNICATION POLITIQUE : «C’est une opposition prospective et non une opposition constructive»
Comment trouvez-vous les stratégies développées par l’opposition entre 2012 et 2018 pour faire face au régime du président Macky Sall en matière de démocratie, de transparence, de gouvernance, de liberté d’expression… ?
Mon constat est très simple, depuis 2012 et cela n’a pas commencé d’ailleurs en ce temps, cela a commencé bien avant, j’ai constaté comme souvent que l’opposition est dans la protestation, dans la dénonciation. C’est ce que j’appelle une opposition prospective et non une opposition constructive. C’est quoi une opposition constructive, c’est à dire on dénonce des dérives, on met en lumière certaines failles du système en place, on pointe du doigt des incohérences mais on ne fait pas de propositions. Ce qui, à mon sens, n’est pas le cas de l’opposition au Sénégal, fusse-t-elle depuis 2012. Évidemment aujourd’hui, avec la floraison des candidats, il y a une distinction à faire entre l’opposition classique, qui est issue en général des chapelles politiques, qui est toujours dans la contestation, dans la dénonciation tous azimuts, et une opposition qui est souvent issue de la société civile, de la société entrepreneuriale, qui est plus dans ce qu’on appelle, une opposition constructive, c’est-à-dire une opposition suivie de propositions. C’est tout le mal à mon avis qui gangrène l’opposition au Sénégal. Raison pour laquelle sa communication contient des faiblesses. Cela veut dire que devant l’opinion publique nationale, vous pouvez dénoncer certains choix de politiques de développement, vous pouvez dénoncer la mise en mal de la liberté d’expression, la gouvernance mais il ne s’agit pas seulement de dénoncer. Il s’agit aussi d’être dans la proposition. Le citoyen lambda, ce qu’il attend des hommes politiques, au-delà de la gestion de la chose publique, c’est d’être capable de mettre en place ou de faire des propositions dans le bon sens qui cadre ou qui impacte sur les préoccupations des sénégalais. Malheureusement, l’opposition politique politicienne, issue des chapelles politiques classiques est toujours dans cette protestation systématique, alors que l’opposition de la société civile ou ce que j’appelle «entrepreneuriale» est dans une opposition constructive, c’est à dire fait des propositions.
IBRAHIMA BAKHOUM, JOURNALISTE FORMATEUR «La stratégie de l’opposition n’est pas définie dans le long terme»
«Il faut d’abord contextualiser. Vous avez bien parlé de 2012. Macky Sall est devenu président de la République en 2012, appuyé par un ensemble de partis, d’organisations, de personnalités, de coalitions, tous ces gens-là mis côte à côte pour dire simplement ceci : «il faut que Wade dégage !». Alors ceux qui ont aidé à son départ se sont retrouvés ensemble. Il ne restait alors, en ce moment-là, que le Pds et quelques-uns de ses alliés plus ou moins réguliers, plus ou moins représentatifs. A quelque trois ou quatre exception près, tout le reste était fini ou plus ou moins était en léthargie. Je parle des anciens compagnons de Wade dans l’alliance Cap 21. Ces gens n’ont plus le cœur à l’ouvrage pour continuer le combat aux côtés de Wade. Wade lui-même, plus ou moins groggy, a eu besoin d’un autre camp pour se remettre. Donc les rangs étaient dégarnis de ce côté. Il restait juste une situation de règlement de compte et tous ceux qui étaient dans la mouvance «tout sauf Wade», évidemment, ont continué dans logique de désormais «tout sur Wade, tous contre Wade». Et progressivement les rangs ont commencé à se disloquer du côté de Benno Bokk Yakaar : Cheick Bamba Dièye qui s’en va, d’autres qui ne se retrouvent plus, certains qui se sont tus. Il faut comprendre que le président Macky Sall n’avait pas encore de parti, mais il est à la tête du pays et il avait besoin d’un parti. Le temps qu’il structure son organisation, évidemment, il y en a qui été des compagnons qui ne se retrouvaient plus et qui sont partis. D’autres sont restés pour une raison bien simple : alors que certains avaient des arrières pensées même n’étant plus dans Benno Bokk Yakaar, ils avaient quand même des arrières pensées en terme de «si nous continuons à être avec Wade qu’est-ce que cela peut nous apporter ou qu’est-ce que cela peut nous coûter ?». Mais il y a à côté d’autres qui ne conjuguaient leur avenir qu’au passé, ils n’avaient plus d’avenir politique : c’est Moustapha Niasse qui décide que, de toute les façons, il n’est pas question de quelques manières que se soit de se présenter à une présidentielle. Tanor était sur la même logique, Amath Dansokho…
Ces gens étaient déjà amortis politiquement. Ils ont commencé à conjuguer leur avenir politique au passé, tandis que les plus jeunes avaient commencé à envisager un certain avenir mais ils se disent «cette avenir là on ne peut pas le construire avec celui que nous avons si férocement pendant des années», en l’occurrence Abdoulaye Wade. Puis la donne change, Wade rentre au Sénégal, les gens se rendent compte qu’il n’est pas fini. Puisqu’il n’est pas fini, ils se sont dit «contre mauvaise fortune, faisons bon cœur» et ils vont avec lui. Et ceux qui décident d’aller avec lui ils y vont avec des arrières pensés aussi en se disant «si nous continuons à aller avec Wade, il est tellement fort du point de vue de son charisme qu’il risque de nous effacer. Donc nous avons besoin également d’exister, même au côté de Wade». Cette existence était rapporté a ceci : «nous sommes provisoirement avec lui mais c’est juste provisoirement parce qu’on ne lui voit pas d’avenir». On est encore en 2014. Ils font des stratégies mais en étant extrêmement prudents, parce que si le pouvoir chancelait dans des conditions comme cela c’est Wade qui se positionnerait. Même si, effectivement, il ne peut pas être candidat, c’est toujours quelqu’un de chez lui et le quelqu’un de chez lui qu’on voit c’est Karim. Les gens ayant combattu Wade et Karim, même en ayant quitté la barque Benno Bokk Yakaar parce qu’ils ne s’y retrouvaient plus, ne pouvaient pas tout de suite venir faire allégeance à Abdoulaye Wade parce que, par ricochet, ils donneraient peut-être l’avantage à Karim. Tout en étant avec Wade ils se méfiaient de Wade et ils se sont éloignés de Macky. Les stratégies étaient devenues des actions ponctuelles tout de suite mais jusqu’où on ne peut pas aller trop loin dans l’action parce que si le pouvoir prend peur et qu’on se retrouve dans une haute situation c’est Wade qui prendrait le plus grand du feu. Ces gens là sont ensemble avec Wade, tout en ayant un calcul politique derrière. Parce qu’ils voient un avenir politique pour eux mêmes. Tandis que dans Benno Bokk Yakaar, dont on parle de la longévité en tant que coalition, les gens qui y sont aujourd’hui ne se voient pas d’avenir autre qu’avec Macky Sall.
Dans la coalition, il n’y a que 4, à savoir Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Amath Dansokho et ce qui reste de la Ld. Donc, la stratégie de l’opposition n’est pas définie dans le long terme. Chaque fois, ce sont des actions ponctuelles qu’ils menaient. Donc, c’est la stratégie de courte terme, c’est-à-dire de poser des actions tout de suite puis de se replier, n’est pas pour faire peur ou pour déstabiliser un régime. Si on veut déstabiliser un régime, on se met dans une stratégie durable, à long terme, avec des outils qu’on maitrise, et aussi avec une volonté commune, car ici, il n’y en a pas. Voila pourquoi, jusqu’à présent ils ont des problèmes pour aller de l’avant»
L’initiative de Me Mame Adama Gueye sera-t-elle concluante, car depuis 2012 ces genres d’initiatives sont prises mais ne semblent pas prospérer ?
MOMAR THIAM : Cela dépend des cas. Une élection présidentielle est la mère des élections. Aujourd’hui, avec cette atmosphère de suspicions que révèle l’opposition autour de l’élection présidentielle comme quoi, elle est déjà jouée par le pouvoir parce que, l’opposition pense à tord ou à raison, que le pouvoir dispose de manivelle pour truquer les élections en sa faveur. Forcément, l’initiative de Me Mame Adama Gueye est la bienvenue pour l’opposition. Donc là, ils se retrouvent sur un point essentiel : «c’est la sécurisation des suffrages, de l’élection». Mais comment ? Avec quels moyens, quels dispositifs, avec quels leviers ? Pour le moment, ils sont dans une espèce «d’accord de bonne volonté» pour «sécuriser l’élection». Mais, moi j’aimerai savoir de quels moyens ou leviers disposera l’opposition pour sécuriser et avoir une vue assez conséquente du déroulement de cette élection présidentielle ? Sur ce point, je me pose des questions
IBRAHIMA BAKHOUM : «C’est pour une raison bien simple. Encore une fois, je dis qu’il n’y a pas l’unité de force tout de suite. Ils ont peut être un intérêt commun. C’est de chasser le président Macky Sall. Mais, chacun dit, si on le chasse tout de suite, qui sera le remplaçant ? Il y a en qui sont sûrs qu’ils ne pourront pas être des remplaçants, mais ils peuvent toujours apporter quelque chose au combat. Il y en a qui pensent qu’ils peuvent être des remplaçants. D’autres qu’on suspecte d’être des remplaçants, mais on n’est pas d’accord pour que ce soit ces gens là. Donc, tout cela mis cote à cote, évidemment on se retrouve avec des stratégies. C’est des actions ponctuelles plutôt que de choses réfléchies, mais ils ont un objectif au moins clair, c’est il faut que Macky Sall dégage. Mais, chacun se dit «il ne faut pas que je pousse un peu trop parce si je le fais, c’est peut être le Pds qui va régner». Parce aujourd’hui, c’est le Pds le parti le plus représentatif parmi ces gens là. C’est Wade qui est le plus visible, c’est le Pds le parti le plus fort.
Sur quels leviers l’opposition devrait s’appuyer pour se faire entendre ?
Momar Thiam : «D’abord, il y a le levier médiatique. Pour le moment l’initiative de Me Mame Adama Gueye est bien relayée par les médias, puisqu’il fait des tournées ou des consultations autour des membres de l’opposition pour, à la limite, se réunir autour de ce combat là. Mais aussi, il y a le levier politique, à mon sens, c’est au-delà des intentions, comme j’ai dit tout à l’heure, de disposer de véritables instruments. On dit par exemple, pas plus tard que ce matin (hier, Ndlr) que l’opposition dans sa majorité réclame le fichier électoral. Il semblerait que le pouvoir ne veut pas, par le biais du ministère de l’Intérieur mettre le fichier électoral à la disposition de l’opposition. Donc forcément, il y a suspicions. Si l’opposition réclame le fichier électoral, c’est pour justement le diagnostiquer, le voir pour savoir si le fichier est assez fiable pour organiser une élection libre, transparente et démocratique. Donc, c’est un autre levier : disposer des instruments et des supports de vote pour pouvoir les diagnostiquer afin de savoir où le bât blesse. Je ne pense pas, en tout cas aujourd’hui, que cette demande de l’opposition soit entendue par le pouvoir.
De 2012 à nos jours, l’opposition a mis en place des cadres et des plateformes pour revendiquer un certains nombres de choses, comme la démocratie, la bonne gouvernance, etc. Sur quel levier devrait se focaliser cette opposition pour se faire entendre ?
IBRAHIMA BAKHOUM : «Vous avez employé le mot entendre. Mais, qui fait entendre que l’on dit ? C’est vous les journalistes. Alors, si les journalistes ont choisi leur camp, minimum service pour l’opposition, pendant un bon bout de temps ? Quelque que soit la qualité de l’action que vous menez ou du discours que vous tenez, s’il y a un service minimum, on y peut rien. Parce que, ceux qui combattaient Me Wade farouchement et sérieusement avaient leur média, pour certains, se sont assoupis, d’autres se sont assouplis, certains y sont allés avec moins de hargne. Pendant longtemps, en parlant de mauvaise gouvernance, on a attaqué Wade sur des choses. Mais, il y a certaines de choses, aujourd’hui, qui son multipliées par 3 ou 4. Mais, ça passe. Même pour les actions de rues, elles n’ont de valeur que lorsque vous avez un appui populaire. L’appui populaire se construit dans l’opinion. L’opinion est construite par les médias. Ce sont eux qui font l’opinion. C’est cette opinion qui peut amener à des actions populaires. Ce sont ces actions populaires qui peuvent être un levier pour l’opposition, afin de secouer le cocotier. En ce moment, le baobab va se dire «il est en train de se passer quelque chose». Mais, s’il n’y a pas cette possibilité, le vent qui vient passe simplement». Sauf que, les médias aujourd’hui, ont changé. Ce n’est plus les médias traditionnels. Maintenant, c’est les réseaux sociaux. Ceux là sont beaucoup plus dangereux. On ne les voit pas dans la rue, mais là où on les voit, c’est encore beaucoup plus pernicieux pour le pouvoir. Ça, ils ont intérêt à se méfier de cela. Qui contrôle les réseaux sociaux ? Personne.
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