Examen de l’EIES du Projet de production de gaz-Grand Tortue : Les prémices d’un scandale écologique mises à nu

L’examen de l’étude d’impact environnementale et sociale (l’EIES) du Projet de production de gaz Grand Tortue/Ahmeyim par la Commission Néerlandaise pour l’Evaluation Environnementale (CNEE), fait froid dans le dos. Dans son rapport intitulé : « Examen de l’EIES du Projet de production de gaz – Grand Tortue, Ahmeyim – Phase 1 », dont nous avons copie,  la Commission a révélé  des irrégularités extrêmement graves qui risquent de provoquer une catastrophe écologique si toute chose étant égale par ailleurs.

Sollicitée par la Direction de l’Environnement et des Etablissements Classés (DEEC) pour donner un avis indépendant sur l’EIES du ‘Projet de production de gaz Grand Tortue / Ahmeyim, la Commission Néerlandaise pour l’Evaluation Environnementale (CNEE), dans son rapport a relevé des irrégularités on ne peut plus gravissime. D’abord elle observe que l’option de développement retenue affectera les écosystèmes marins et côtiers les plus vulnérables des deux pays (Sénégal-Mauritanie) ainsi que des deux principales zones de pêche. Etant donné que les gisements sont éloignés de la côte, les raisons de l’implantation d’une partie du projet à proximité des côtes (et qui affecte des zones vulnérables) n’ont pas été expliquées dans l’EIES. Pire, l’étude ne propose pas d’alternatives à la localisation du projet. L’IFC (Norme de Performance 1 et 6) recommande une gestion selon la hiérarchie : 1) éviter, 2) atténuer, 3) restaurer et 4) compenser les impacts. De plus, l’absence d’une analyse des alternatives n’est pas conforme au cadre juridique du Sénégal7 qui exige que l’EIES inclue une analyse de variantes du projet ainsi qu’une justification du choix final.

L’étude renseigne aussi que pendant les opérations du projet, des quantités substantielles d’eaux contenant des substances chimiques et de déblais de forage contenant des substances chimiques seront produites. Ces substances chimiques provenant du réservoir ou des procédés peuvent affecter l’environnement. L’EIES propose de déverser ces eaux et déblais en mer sans considérer d’alternatives (réinjection, transfert et traitement des déblais à terre, etc.) comme préconisé par les directives environnementales sanitaires et sécuritaires de la Banque Mondiale pour l’exploitation du pétrole et du gaz offshore (EHS).

La Commission dans son rapport souligne qu’un modèle de développement du secteur pétro gazier n’a été défini : ni au Sénégal, ni en Mauritanie. Un tel modèle devrait considérer des alternatives en choisissant l’option la plus durable pour la protection des ressources offshore. Le Projet de production de gaz Grand Tortue / Ahmeyim sera initié en l’absence de ce modèle de développement. Dès lors, la CNEE considère que le futur modèle de développement constituera une référence, et que les options sélectionnées pour le Projet de production de gaz Grand Tortue / Ahmeyim ne seront pas nécessairement reconduites pour d’autres projets.

Un certain déséquilibre dans la manière dont la consultation a été menée en termes d’importance, d’inclusion et de représentativité des parties prenantes consultées

Pour ce qui concerne la participation et l’engagement des parties prenantes, la CNEE constate qu’il y a un certain déséquilibre dans la manière dont la consultation a été menée au Sénégal et en Mauritanie en termes d’importance, d’inclusion et de représentativité des parties prenantes consultées. Au Sénégal bien que les consultations aient inclus une diversité de catégories de parties prenantes, certains villages, qui font partie du périmètre d’influence restreint, n’ont pas été couverts par des réunions publiques, sauf à travers une réunion à Thiès, qui est leur département de rattachement. On peut observer que les pêcheurs et leurs associations professionnelles ont participé aux réunions. Néanmoins, il est manifeste que plusieurs associations et représentations de pêcheurs n’ont pas été impliquées.  La participation des parties prenantes de la pêche industrielle n’a pas été couverte par l’étude, si l’on se base sur les rapports des consultations publiques. Pourtant ce secteur est potentiellement impacté et porteur d’informations et de connaissances pertinentes pour l’étude.

Concernant les outils de consultation, la CNEE estime que les réunions publiques comme unique méthode de consultation ne permettent pas un échange approfondi, ni un débat serein sur des questions controversées.

En analysant les dangers la Commission observe que les effets chroniques sur la santé en lien avec une dégradation de la qualité de l’eau de mer ne sont pas pris en compte dans l’EIES. Une dégradation de la qualité de l’eau peut, sur une longue période, affecter la qualité ainsi que la commercialisation des poissons en raison de la bioaccumulation de certaines substances chimiques, même si les quantités des substances rejetées sont considérées comme minimales.

La CNEE recommande à la DEEC d’exiger des promoteurs du projet d’actualiser l’EIES avant une décision sur l’autorisation environnementale

Dans sa conclusion et ses recommandations la CNEE note d’emblée que l’EIES a tenu compte d’une grande quantité d’informations pertinentes qui devraient permettre des propositions de gestion argumentées et basées sur de bonnes connaissances. Néanmoins, elle estime que ces informations ne sont pas toujours complètes et qu’elles n’ont pas été suffisamment exploitées. Ceci a entraîné une analyse insuffisante du milieu marin et côtier, de la socio-économie de la sous-région de la zone du projet ainsi que de sa vulnérabilité face aux impacts liés au projet.

La CNEE constate que l’EIES est incomplète sur les raisons des choix ont été faits dans la conception du projet.  Ces lacunes dans l’information, l’analyse et la justification des choix, rendent difficile une appréciation de la magnitude d’impacts, et de la pertinence des mesures de mitigations proposées.

Au regard de toutes ces irrégularités, la CNEE présente à la DEEC trois types de recommandations : D’exiger des promoteurs du projet d’actualiser l’EIES sur certains points avant de prendre une décision sur l’autorisation environnementale de ce projet. Mais aussi d’exiger des promoteurs de délivrer plus d’informations sur la conception et l’élaboration du projet (étude de faisabilité, …), puis de la surveillance et du suivi du projet (indicateurs de performance).

Quid des autorités sénégalaises ? Elle leur demande de prendre en compte les leçons apprises dans le cadre de ce projet, le cas échéant, pour définir une stratégie de développement durable pour le secteur pétro-gazier offshore, et dans le cadre d’une Evaluation Environnementale Stratégique.

Par Jacques Ngor SARR, mediaspost.com

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