RAPPORT d’OXFAM 2018: 26 milliadaires possèdent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité
A deux jours de l’ouverture du Forum économique mondial de Davos, Oxfam publie son rapport annuel sur l’état des inégalités, qui pointe du doigt la responsabilité d’une fiscalité déséquilibrée et injuste.
Alors que débute une semaine chargée pour les grandes fortunes, avec la réception ce lundi à Versailles par Emmanuel Macron de 150 chefs d’entreprises français et étrangers et la levée de rideau mardi du rendez-vous de l’élite mondiale qu’est le Forum économique mondial de Davos, les contempteurs d’un libéralisme à tous crins contre-attaquent. Oxfam publie ce dimanche soir son rapport annuel sur l’état des inégalités mondiales, qui détaille leur emballement croissant. Et renvoie les gouvernements et autres dirigeants de multinationales face à leurs responsabilités en pointant du doigt une fiscalité injuste, qui depuis plusieurs décennies manque à son devoir de redistribution en alourdissant les contributions des ménages tout en diminuant en parallèle celles des entreprises et des plus fortunés.
Le rapport, intitulé «Services publics ou fortunes privées» et dont Libération a eu la primeur, regorge de chiffres, tous plus frappants les uns que les autres. Chacun rappelle que les inégalités s’exercent à toutes les échelles. Entre Etats d’abord. Les pays de l’OCDE affichent un revenu par habitant 52 fois plus élevé que celui des pays à revenu faible. Entre individus ensuite, en recoupant souvent d’autres inégalités. Aux Etats-Unis, un homme blanc possède ainsi en moyenne un patrimoine 100 fois plus important qu’une femme hispanique. Certains déséquilibres sont si marqués qu’aucune échelle ne semble plus pouvoir les mesurer. Ainsi 1 % seulement de la fortune de Jeff Bezos, patron d’Amazon et homme le plus riche du monde, avoisine le budget de la santé de l’Ethiopie et de ses 105 millions d’habitants.
Morts précoces
Aussi abstraites ou vertigineuses qu’elles puissent paraître, ces inégalités ne sont pas que des chiffres. Elles pèsent lourdement sur la vie de millions de personnes. Parfois même, elles tuent. Au Népal, un enfant issu d’une famille pauvre est 3 fois plus susceptible de mourir avant l’âge de 5 ans qu’un enfant d’une famille riche, faute de véritables services publics sanitaires. Un problème de pays en développement ? «Aux Etats-Unis, un enfant noir est 2 fois plus susceptible de mourir avant sa première année qu’un enfant blanc. Les enfants noirs aux Etats-Unis sont plus susceptibles de mourir avant leur premier anniversaire que les enfants en Libye», répond le rapport.
La concentration des richesses entre quelques mains, en hausse depuis 2009, a continué à augmenter l’an passé. Désormais, 26 personnes possèdent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 3,8 milliards de personnes. Ils étaient 43 en 2017. La fortune des milliardaires a augmenté de 900 milliards de dollars en 2018, l’équivalent de 2,5 milliards par jour. Un enrichissement qui s’est fait aux dépens des plus pauvres. La réduction de la pauvreté ralentit depuis 2013, et l’extrême pauvreté s’intensifie même en Afrique subsaharienne.
Choix politiques
«Ces inégalités ne sont pas une fatalité mais le résultat de choix politiques», martèle Oxfam. Une fiscalité progressive, destinée à financer des services publics universels et gratuits serait tout à fait apte à réduire les écarts de richesses et leurs conséquences. «Dans les années 2000, les inégalités de revenus ont connu un recul phénoménal en Amérique latine, grâce à des Etats qui ont augmenté les impôts pour les plus riches, relevé les salaires minimum et investi dans la santé et l’éducation», rappelle le rapport. Aujourd’hui, «le Danemark est le pays qui fait le plus pour réduire les inégalités, avec des dépenses sociales, une fiscalité progressive, et un droit du travail protecteur», explique Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France. Des services publics universels et de qualité ne sont pour autant pas l’apanage des pays riches. Dès 2002, la Thaïlande a mis en place un système de santé universel. En profitant à tous, mais surtout aux plus pauvres à qui il ouvre l’accès aux soins, il réduit les inégalités.
«L’éducation publique est essentielle. C’est une première étape, elle permet l’émergence d’une société civile qui va ensuite réclamer d’autres droits, comme celui à la santé», poursuit Cécile Duflot. Les dépenses destinées à l’éducation et à la santé publique sont les plus efficaces pour réduire les inégalités comme la pauvreté. «L’existence même d’écoles ou d’hôpitaux publics ne suffit pas, il faut aussi les rendre accessibles», souligne la directrice d’Oxfam France. Ainsi un raccordement au réseau d’eau courante va bénéficier à tous, mais plus particulièrement aux femmes, à qui incombent les corvées d’eau. Déchargées de ces heures de travail non rémunérées, les filles auront le temps d’aller à l’école, et leurs mères l’opportunité de se consacrer à d’autres tâches qui pourront leur fournir un revenu.
Une fois posée la question de l’efficacité des services publics dans la réduction des inégalités, reste celle de leur financement. «Les taux maximum d’impôt sur le revenu, les successions et les sociétés ont diminué dans de nombreux pays riches, rappelle le rapport. Si la tendance était inversée, la plupart des Etats auraient des ressources suffisantes pour fournir des services publics universels.» Aux Etats-Unis par exemple, le taux maximum d’impôt sur le revenu des particuliers était de 70 % en 1980, alors qu’il n’est plus aujourd’hui que de 37 %.
ISF et taxes sur la consommation
Ce sont les plus riches qui ont bénéficié de ces baisses généralisées. «Pour chaque dollar de recette fiscale, en moyenne seulement 4 [centimes] proviennent de la fiscalité sur la fortune», interpelle le rapport. «L’argument toujours opposé aux hausses de la fiscalité sur les plus riches est le risque d’augmentation de la fraude fiscale. Mais c’est un leurre, assure Cécile Duflot. Les recettes de l’ISF n’ont cessé d’augmenter depuis sa création. Les impôts élevés mènent certes à plus de fraude mais surtout à davantage de recettes. Les exilés fiscaux ne représentent que 0,2 % des assujettis à l’ISF», détaille la directrice d’Oxfam France.
Les impôts tels qu’ils sont répartis aujourd’hui n’épargnent pas seulement les riches. Ils pénalisent aussi les pauvres. «Depuis la crise de 2008, le poids de la fiscalité a été transféré des entreprises vers les ménages, l’augmentation nette des recettes fiscales est attribuable aux impôts sur les salaires et aux taxes sur la consommation comme la TVA», précise Oxfam. Ces taxes sur la consommation, identiques pour tous, aggravent les inégalités puisqu’elles pèsent plus lourdement sur le budget des moins riches. Si on combine les différents impôts, on en arrive dans certains pays, comme au Royaume-Uni, à des déséquilibres tels que les 10 % les plus pauvres paient proportionnellement plus que les 10 % les plus riches. Troisième fortune mondiale, le milliardaire américain Warren Buffet lui-même a souligné que son taux d’imposition reste moins élevé que celui de sa secrétaire. Laissant une immense marge de manœuvre aux gouvernements qui seraient décidés à agir contre les inégalités
Libération
Les commentaires sont fermés.