SAUVER LES MÉDIAS, C’EST IMPÉRATIF; PAR ALYMANA BATHILY

Comment en est-on arrivé à cette dégénérescence des médias qui, de promoteurs de la démocratie, sont devenus des suppôts patentés de la politique politicienne, du business et du rigorisme religieux ?

20 journaux quotidiens, 300 sites en lignes, 250 chaines de radios, 22 chaines de télévision, 4 bouquets de télévision : CanalSat, Excaf télécoms, Origines, Delta Net et une pléthore de « cablo opérateurs » plus ou moins clandestins qui proposent l’accès à des télévisions. C’est là le paysage médiatique actuel du Sénégal tel que le rappelait ici sur SenePlus.com encore récemment, notre éditorialiste Jean Meissa Diop.

Qui se souvient que jusqu’en 1994, l’information était distillée par le seul « journal gouvernemental » et la seule radio-télévision d’Etat, conviendra que le Sénégal a accompli un grand pas dans l’instauration du pluralisme de l’information. Il est indéniable que c’est à ce pluralisme que nous devons l’enracinement de la démocratie dans ce pays.

Ce n’est pas un fait du hasard que les premières élections un tant soit peu transparentes, les législatives de 1998, soient survenues après l’avènement des premières radios privées. On sait la part déterminante que celles-là joueront lors de l’élection présidentielle de 2000 en rendant compte en direct du déroulement des opérations de vote toute la journée et diffusant les résultats dès la clôture du scrutin, bureau de vote après bureau de vote.

On se souvient aussi du rôle que la presse écrite en particulier a joué pour informer le public sur le fonctionnement des institutions publiques.  Je pense ici notamment à cette série d’articles signées par le Professeur Kader Boye sur « la crise des Institutions » dans le quotidien Sud, à la « Tontine des juges » du même journal qui nous révéla que plus d’un milliard de FCFA avait été soustrait des greffes du Tribunal régional de Dakar.

Il faut se rappeler que c’est l’interview en direct de Salif Sadio, chef de l’aile irréductible du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) sur Sud FM, qui a révélé aux Sénégalais que ce dernier n’était pas mort comme le régime du président Abdou Diouf le prétendait et que la guerre n’était pas finie.

Qui ne se souvient de l’émission « Bla Bla » de Radio Oxyjeunes qui vers les années 1997 déjà, nous appris à regarder le jeu politique avec humour et détachement ?

Que dire de ces émissions interactives genre « Wakh Sa Halaat » que toutes les radios programmèrent, qui contribuèrent indubitablement à concevoir et formuler des opinions politiques ? Aussi est-il bien démontré que le pluralisme de l’information s’est révélé une composante essentielle de la démocratie dans ce pays.

– Prêches, mbalax, télénovélas, conditionnement et fake news –  

Par ailleurs il faut bien admettre que les journaux, les radios, les télévisions et les sites internet sont devenus récemment trop souvent, non pas seulement des simples supports de publicité, de merchandising et de commerce, mais des armes au service de la politique.

Quand le quotidien national Le Soleil s’assigne comme première mission d’illustrer et de défendre « les réalisations du président Macky Sall », d’autres publications se font les porte-parole ou le gardien des intérêts de telle ou telle personnalité politique, de telle ou telle « tarikas » ou à des « opérateurs économiques ».

De fait, plusieurs journaux et sociétés ayant été créés par des hommes politiques, les fréquences de radios et de télévision distribuées à tour de bras à des politiciens, des représentants de « taiika », des publicitaires et à des musiciens laudateurs, ce sont bien entendu les agendas politiques, les allégeances religieuses et les programmes promotionnels de ceux-là qui déterminent les contenus.

Voyez le temps consacré dans la programmation au mbalax, aux télénovelas brésiliennes, mexicaines ou sénégalaises, aux prêches religieux et aux ragots par rapport à l’instruction civique, aux droits de la femme et à l’histoire africaine par exemple.

Dans ces médias, de la presse écrite comme de l’audiovisuel, s’est développée ainsi une forme de journalisme sans professionnalisme avec des journalistes qui n’ont cure de la recherche des faits, de la rigueur de l’analyse, de l’objectivité et de la déontologie. Ces journalistes recourent allégrement à la calomnie, à l’injure, au chantage si ce n’est à la flagornerie.

Voyez comment en cette période préélectorale alors que la tension est déjà très vive, avec quel cynisme des journalistes patentés se font les défenseurs du camp du président de la République en s’attaquent à un candidat à coup de boules puantes et de fake news !

Comment en est-on arrivé à cette dégénérescence quasi généralisée des médias qui de promoteurs de la citoyenneté et de la démocratie dans les années 90 à 2000, sont devenus trop souvent de nos jours, des suppôts patentés de la politique politicienne, du business et du rigorisme religieux ? A ce fonctionnement des médias qui sape les fondements même de la démocratie ?

Le président de la République que les Sénégalais éliront le 24 février 2019 devrait à notre sens, au nombre de ses urgences, faire figurer des mesures pour régénérer les médias.

– Refonder et renforcer la régulation –

Il s’agit d’abord de mettre en place une Autorité ou un Conseil de régulation fort, dont les attributions concernent l’ensemble du secteur des médias (radios, télévisions, cablo opérateurs et autres distributeurs de contenus télévisuels et aussi presse écrite, y compris presse en ligne et publicité).

Cette institution sera établie par la Constitution. Ceci lui conférera une plus grande légitimité et la mettra à l’abri de changements de statuts motivés par des intérêts politiques partisans. Ce nouvel organe de régulation sera totalement indépendant de l’Exécutif. Son budget sera voté par l’Assemblée, à laquelle il rendra compte.

Les membres de son collège directeur seront nommés non pas par le seul président de la République mais aussi par l’Assemblée Nationale et par le Haut Conseil des Collectivités Territoriales (ou l’institution qui la remplacera après la réforme des institutions que nous appelons de nos vœux).

Ces membres nommés pour une longue durée (6 ou 7 ans), à un mandat unique, seront inamovibles. Ce qui les mettra à l’abri des pressions politiques. Ils seront employés à temps complet. Ils nommeront le président de l’institution.

Celle-ci reprendra les attributions de l’actuel Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel –CNRA) (protéger la liberté de la presse, veiller à l’équilibre du pluralisme, promotion de la libre concurrence entre médias, veiller à l’égal accès des partis politiques aux médias de service public et, en période électorale, veiller à ce que l’activité des médias soit respectueuse de l’ordre public, de la sécurité de l’Etat notamment) auxquelles on ajoutera celles relatives au respect de l’éthique et de la déontologie et à la régulation du secteur de la publicité.

Il renforcera ainsi l’action du Comité d’Observation des Règles d’Ethique et de Déontologie (CORED), l’organe d’autorégulation des médias dont le seul tribunal des pairs ne suffit pas à réguler le secteur. L’expérience l’a démontré !

Ses pouvoirs comprendront outre le contrôle des contenus par rapport aux cahiers de charge, l’attribution des fréquences (il sera équipé en conséquence) et la délivrance des licences d’exploitation.

Il aura en outre en charge, la nomination (par appel d’offres) des directeurs des médias publics (Le Soleil, la Radiotélévision Nationale (RTS) et l’Agence de Presse Sénégalaise (APS).

Première tâche de ce nouveau régulateur : procéder à un audit exhaustif de l’ensemble du secteur des médias, en particulier de l’audiovisuel et reprendre les centaines de fréquences non utilisées. Et aussi : reprendre la loi n°2017-27 du 23 juillet 2017 portant Code de la Presse pas seulement pour revenir sur son article 114 instituant l’emprisonnement pour délit de presse (qu’on ne retrouve de nos jours dans aucune législation africaine) mais aussi pour supprimer le dépôt légal.

– Etablir un écosystème propice au développement des entreprises de presse –

Etablir que les médias publics qui se cantonneront désormais au seul service public et se refuseront désormais à se faire les porte-parole du président de la République et du parti au pouvoir sont financés intégralement par dotation du budget de l’Etat. De ce fait les recettes publicitaires seront accessibles aux seules entreprises de presse privées.

L’Aide aux médias dont l’allocation annuelle de 700 millions FCFA réparties entre plus de 300 entités n’a jamais eu aucune incidence sur la bonne santé des entreprises pourra ainsi être supprimée.

Le Fonds d’Appui et de Développement de la Presse sera alors alloué pour partie aux institutions de formation pour développer leurs compétences dans les nouveaux outils du numérique et pour partie à la formation et à l’équipement des médias communautaires. Le statut et le cahier de charges de ceux-ci ayant été redéfinis.

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