COMMENT L’OPPOSITION DOIT-ELLE REPRENDRE L’INITIATIVE ( Par NDIAWAR KANE )

Au jeu pipé, Macky a bien gagné au premier tour – L’agenda à présent, c’est de forcer au retour d’une personnalité neutre au ministère de l’Intérieur, imposer une révision consensuelle du code électoral et la dissolution de l’Assemblée

L’opposition patriotique n’a pas le droit d’être dans la triche. Laissons la triche à ceux que certains appellent les prédateurs, les corrupteurs et les corrompus qu’ils localisent en général au sein de l’équipe au pouvoir.

Pour tout observateur averti du jeu politique au Sénégal, il est évident, sur la simple base des résultats par bureau de vote donnés en direct par les radios privées et indépendantes, que Macky Sall a largement gagné et passe au premier tour comme SenePlus l’a clairement indiqué il y a plus de 48 heures.

Il est établi que le bastion de l’opposition, celui de la résistance à la gouvernance de Macky qualifiée par beaucoup de calamiteuse, se trouve dans la région de Dakar et en particulier dans la capitale. A Dakar, selon les résultats donnés en direct par les radios privées (Sud FM et RFM), Macky Sall a obetnu plus de 50% des voix dans pratiquement tous les bureaux, de Grand Yoff (le fief de Khalifa Sall), aux Maristes, aux Almadies, aux HLM, aux Parcelles Assainies, etc.

Tout esprit rationnel capable de prendre de la distance par rapport à ses propres choix partisans ou ses propres convictions politiques comprend qu’avec de tels scores dans la capitale, Macky Sall passe largement au premier tour.

Si l’on schématise un peu, la moitié de l’électorat global du pays est favorable à l’opposition et se trouve dans les régions de Dakar, Thiès, Diourbel, Ziguinchor et dans la Diaspora. La région de Dakar, à elle seule, totalise 26% de l’électoral global du pays mais elle représente 50% du nombre d’électeurs favorables à l’opposition dont elle constitue le principal vivier en voix.

Pour s’assurer d’un deuxième tour, l’opposition devait contenir le pouvoir dans la région de Dakar autour d’un score de 40%. Quand Macky tourne autour de 48 à 50% à Dakar, l’opposition ne peut pas le battre. C’est une impossibilité statistique.

Le scrutin du 24 février rappelle à bien des égards la présidentielle de 2007. De nombreux analystes avaient prédit que Wade serait battu et qu’au premier tour il n’obtiendrait pas plus de 40% des suffrages. A l’époque, à l’écoute des résultats en direct sur Sud FM et Zik FM, les chiffres bureau par bureau à Dakar remettaient en question minute après minute les prédictions d’un deuxième tour. Wade arrivait systématiquement en tête avec près de 50% des voix dans la plupart des bureaux de la capitale. Le coup de massue pour certains a été l’annonce de la victoire du président sortant dans pratiquement tous les lieux de vote de Niary Tally, là même où la Ligue Démocratique avait son siège à l’époque. Dès cet instant, il était temps de reconnaître que la cause était entendue. Wade passa au premier tour.

Le calcul statistique est rationnel. C’est un instrument, un moyen scientifique de description et d’analyse de la réalité. Notre esprit partisan et notre désir de voir le pays changer ne doivent pas amener à tomber dans l’irrationnel. Voir à ce sujet le texte publié par SenePlus.com de Saxewar Diagne, intitulé « Comprendre la stratégie du chaos de Wade ».

Aux critiques de la rationalité des données statistiques, il faudrait rappeler que pour évaluer le niveau de maitrise de l’orthographe d’un texte de 10 pages, il suffit, le plus souvent, de ne lire qu’une seule page pour tirer des conclusions tout à fait scientifiques et en avoir une idée globale. A partir d’un échantillon dont les caractéristiques particulières sont bien maitrisées, on aboutit tous les jours à des conclusions scientifiques sur un ensemble. Cela est valable en Médecine, en Physique, en Chimie, en Économie, en Agriculture, bref dans tous les domaines de la vie.

Par ce même procédé, il ne fait aucun doute qu’au jeu de dés pipés du 24 février, Macky Sall passe largement au premier tour. Il fait même mieux que Wade qui, lui, en 2007 tournait autour de 56%.

Oui Macky est peut-être selon ses critiques, le pire des 4 présidents que le Sénégal ait connus. Oui Macky dépasse peut-être aujourd’hui Wade en matière de mal-gouvernance comme cela se dit çà et là. Oui Macky n’a peut-être pas les intérêts du Sénégal comme priorité et, comme le disent certains, son principal objectif pourrait être son maintien au pouvoir pour renforcer sa prédation et celle de la France sur le Sénégal. Tout cela est peut-être plus ou moins vrai mais en aucun cas, cela ne peut justifier que les résistants, l’opposition, elle-même souvent, au demeurant, décrite comme autant prédatrice que ses adversaires, ne se mettent à vouloir tricher en scandant le slogan absurde d’un deuxième tour.

Aujourd’hui, l’opposition doit saisir le moment pour réagir comme elle n’a pas su le faire il y a deux ans après les catastrophiques élections législatives. Il s’agit de rétablir la connexion avec Wade et le PDS et de forcer le retour à une personnalité neutre au ministère de l’Intérieur, imposer au pouvoir une révision consensuelle du Code électoral, imposer la dissolution de l’Assemblée nationale (pour permettre l’alignement aux 5 années du mandat présidentiel), imposer également une amnistie politique générale et aller à des législatives combinées avec les locales d’ici à la fin de cette année 2019.

Voilà un agenda de résistance, de combat qui lui peut être légitimement mené, même jusqu’à la violence de la rue, tant qu’elle n’est pas aveugle et gratuite. A y regarder de près, c’est en plusieurs points la stratégie de Wade expliquée par Saxewar Diagne ici sur SenePlus.com et dans l’édition du quotidien l’As du 18 février 2019.

Oui toutes les grandes transformations sociales dans l’histoire s’expriment en partie sous une forme, ou une autre, par une certaine violence. Oui l’histoire nous enseigne que la violence peut être légitime mais cela n’est vrai que si elle est du bon côté de l’histoire, si elle n’est pas gratuite et si elle n’est pas aveugle.

C’est pour cela que la résistance et la contestation aujourd’hui au Sénégal ne doivent pas tourner autour de cette question tout à fait illégitime d’un deuxième tour, mais sur la remise en cause de la mascarade du processus électoral qui a imposé un scrutin dont les résultats étaient connus d’avance.

C’est cela la bataille à l’ordre du jour et non pas une bataille de la triche pour résister à un pouvoir que l’opposition elle-même qualifie de tricheur.

On ne se bat pas contre ceux-là que l’on qualifie de prédateurs en trichant comme eux. Les patriotes doivent saisir l’instant pour imposer des réformes immédiates en rendant au besoin le pays ingouvernable mais cela doit s’appuyer sur un agenda qui lui doit être légitime et porteurs de changements positifs pour le pays.

L’opposition n’a pas le droit de prendre les Sénégalais en otage et amener le pays à l’aventure parce qu’elle n’a pas les moyens, ou disons, qu’elle ne veut pas se donner les moyens d’engager une bonne lutte patriotique et préfère le raccourci d’une revendication illégitime d’un deuxième tour.

seneplus

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