Police, gendarmerie, armée… : L’histoire des femmes dans les corps habillés

Depuis 1984 le Sénégal compte des femmes dans ses corps habillés. Elles sont gardes pénitentiaires, policières, gendarmes et même militaires du rang. Certains hauts gradés froncent les sourcils. D’autres, plus radicaux et expansifs, s’arrachent les cheveux et rouspètent : pour ces ultra conservateurs de la grande muette, cette ouverture des casernes au sexe dit faible est une coquetterie politique destinée à amuser la galerie et vouée à déstabiliser les troupes. Mais ces réticences n’ont pas fait mouche. Chez les militaires les lignes du cloisonnement basé sur le genre bougent. Dans ce dossier, en marge de la célébration du 4-Avril, Seneweb revisite l’histoire de la féminisation de l’armée.

Sur le bitume de la base militaire de Ouakam, pour la dernière répétition avant le défilé du 4-Avril, elles tiennent droites dans leurs bottes. Avec leurs boucles d’oreilles qui scintillent, leur maquillage discret et, pour beaucoup, un chignon bas sous le béret ou le chapeau. Elles attirent de moins en moins l’attention pour leur silhouette fine, leur coquetterie et les manières qui vont avec. Les femmes ont complètement fondu dans le décor ultra masculin des armées. Elles sont gardes pénitentiaires, policières, gendarmes et, suprême pied de nez aux conservateurs machos de la grande muette, ont récemment conquis leurs galons de militaire du rang.

Au début des années 1980, en pleine modernisation, l’armée sénégalaise et les corps paramilitaires, jusqu’alors embryonnaires, ne pouvaient plus conserver leur hyper virilité dans un monde où les barrières genre commençaient à sauter. La mixité, qui avait réussi à franchir, un peu partout, les barricades des casernes, fonçait sur le Sénégal d’un pas résolu.

En France, l’engagement des femmes sous les drapeaux a été autorisé en 1938, à la veille de la deuxième guerre mondiale. Il faudra attendre 1972 pour que soit autorisé leur recrutement sous le même statut que les hommes.

Administration pénitentiaire : la pionnière

Le Sénégal a suivi cette tendance pour coller aux standards internationaux. C’est ainsi que les premiers recrutements officiels de femmes dans les corps habillés surviennent en 1984 avec l’armée sénégalaise qui leur a partiellement ouvert ses portes à travers l’école de santé militaire. « C’était pour pallier l’absence de médecins dans les garnisons en cas de mission », souffle un ancien Chef d’état-major général des armées (Cemga).

Comme pour toute expérimentation, c’est un nombre réduit (une dizaine) qui avait été coopté. Quelques décennies plus tard, la greffe semble tenir. Tenue correcte, béret bien vissé sous les tresses ou le tissage, les femmes paradent fièrement aux côtés de leurs frères d’armes. Sans complexe, elles gravissent les échelons, slaloment entre les obstacles pour intégrer la chaîne de commandement. Même si certains segments de l’armée, restent encore frileux à l’affirmation d’un leadership féminin dans les rangs.

L’administration pénitentiaire revendique la casquette de pionnière. Elle se targue d’avoir été la première institution des corps habillés à intégrer des femmes dans ses rangs. Les premiers enrôlements se faisaient officieusement, « par décision ». C’était avant 1984 et le recrutement de jeunes filles à l’école de santé militaire.

Aujourd’hui l’administration pénitentiaire constitue un modèle d’ouverture. Selon le directeur des ressources humaines de l’institution paramilitaire, inspecteur Ismaïla Sow, elle compte 264 femmes sur des effectifs de 1600 éléments, soit 16%. Et sur les 8 prisons de Dakar, 6 sont dirigées par des femmes. Une tendance qui devrait aller crescendo avec la montée en spirale de la criminalité féminine notée ces derniers temps.

Police : la bonne élève

La police n’est pas en reste. Elle entame sa féminisation par le sommet avec l’intégration de femmes par voie de concours pour le grade de commissaire. La première promotion féminine, très réduite du reste, de l’école nationale de police a déjà produit une Directrice générale de la police nationale (Dgpn) en la personne de l’inspectrice générale Anna Sémou Faye.

Aujourd’hui, avec 500 femmes dont 27 commissaires, 110 sous-officiers (soit 9% du personnel), la police nationale ne fait pas p(m)âle figure. Même si les femmes plaident pour un relèvement du quota lors des recrutements et l’assouplissement des critères (taille, aptitudes physiques…) jugés trop rigides et défavorables à l’intégration des femmes.

« Ne peuvent être nommées dans la Police nationale que des personnes de : constitution robuste ; reconnues aptes à un service actif de jour et de nuit ; ayant une taille d’au moins 1,75 m si elles sont du sexe masculin et d’au moins 1,65 m si elles sont du sexe féminin », stipule la loi qui fixe les conditions d’entrée dans le corps des policiers.

À ces barrières s’ajoute une perception très sexiste du métier de police. En atteste le témoignage de la directrice des relations publiques de la police, commissaire Tabara Ndiaye, sur le plateau de l’émission Grand Jury du dimanche 10 mars dernier : « Il y a des collègues (hommes) qui vous disent carrément qu’une femme, elle est faite pour rester chez elle. »

Déconstruction

Une attitude misogyne avec laquelle l’armée, elle aussi, malgré peine à rompre. Ayant été, en effet, parmi les premiers corps à s’ouvrir à la mixité (partielle) à travers l’école nationale de santé militaire, les forces armées ont, cependant, été réticentes quant à l’intégration des femmes dans certaines sphères. Ce n’est qu’en 2006, avec l’élaboration de la stratégie nationale genre du ministère des Forces armées, inspirée de la stratégie nationale pour l’équité et l’égalité du genre, que la question de la mixité a commencé à être prise en compte par le commandement.

Le président de la République d’alors, Abdoulaye Wade, annonçait, lors de la Journée des forces armées, la première vague de recrutements de femmes soldats du rang, après celle de 2007 avec 50 éléments dans la gendarmerie. Wade n’avait pas manqué d’indiquer que ce processus de féminisation se « fera sans précipitation, pour ne pas heurter l’équilibre national encore fragile ». Une précision qui n’a pas calmé les réticences à propos d’une cohabitation homme/femme dans les rangs de l’armée (voir par ailleurs). D’autant qu’en 2008, comme prévu, 300 jeunes dames sont recrutées et envoyées en formation au centre d’instruction de Dakhar-Bango.

Depuis, les lignes ont bougé. L’armée recrute annuellement 150 jeunes dames qui seront formées et redéployées dans toutes les sphères d’emplois militaires, assure le colonel Mamadou Gaye, chargé des ressources humaines des Armées. Initialement, elles étaient confinées « dans des rôles de soutien », mais de plus en plus elles intègrent les troupes dans les zones militaires. Si bien qu’à ce jour, le personnel féminin représente 5% des effectifs et il est déployé sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger, dans les théâtres d’opération de maintien de l’ordre des Nations Unies et de la Cedeao : Mali, Darfour, Guinée Bissau et Gambie.

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