AYMEROU ANNONCE LES COULEURS

Le parlement ne vote plus la confiance – Les questions d’actualité vont rester – Si nous ne changeons pas l’article 87, ça confèrerait des pouvoirs exorbitants au président de la République

Le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakar est formel : la suppression du poste de Premier ministre n’entame en rien l’action gouvernementale. Aymérou Gningue qui a accordé une interview à Sud Quotidien, mardi dernier, annonce déjà que le projet de loi va passer comme une lettre à la poste. Le patron des députés de la Majorité appelle par la même occasion les ministres de Macky II, à faire preuve d’humilité et écouter davantage les Sénégalais parce que selon lui, on ne peut plus gouverner le Sénégal comme si on était dans les années 60.

Le quinquennat que démarre le président Macky Sall sera fondamentalement marqué par la suppression du poste de Premier ministre, ce qui ne va pas manquer de créer quelques soucis entre l’Exécutif et le Législatif. Comment appréhendez-vous cela en tant que président du groupe parlementaire de la majorité ?

D’abord, je voudrais clarifier une chose, le Premier ministre n’est pas une institution. L’institution, c’est le Président de la République, l’Assemblée nationale, le Gouvernement, le HCCT, le Conseil économique, social et environnemental et l’institution judiciaire dans ses différentes composantes. Ce qu’il y a, c’est que le gouvernement jusque-là était dirigé par un Premier ministre qui est nommé par le président de la République. Je crois que la décision de supprimer ce poste, épouse justement sa volonté de vouloir aller très vite. Parmi une de ses caractéristiques du Président Sall, c’est quelqu’un qui travaille beaucoup et qui connait profondément ses dossiers. Je crois que quand vous avez un président de la République qui est jeune, qui travaille énormément et qui a une parfaite connaissance de ses dossiers, la suppression du poste de Premier ministre ne peut pas impacter négativement le travail qui doit être fait. Au contraire, c’est quelque chose qui va permettre justement aux différents ministres de travailler au rythme que le Président souhaite. Et ça va impacter sur le vécu des populations.

Le Président Sall a cette préoccupation que nous partageons tous. C’est de dire : à partir du moment où les moyens existent, ce qui reste, c’est de mettre en harmonie ces deux éléments pour pouvoir travailler vite et bien pour que les Sénégalais, partout où ils se retrouvent, puissent sentir qu’effectivement que non seulement le premier mandat a été plébiscité mais le deuxième est aussi en train d’impacter les vécus quotidiens des populations.

Avec cette suppression une dizaine d’articles environ vont devoir être changés au niveau du règlement intérieur de l’Assemblée nationale aussi. Quid aussi de la déclaration de politique générale, de la motion de censure, etc. ?

Je dois d’abord vous dire que nous, en tant que majorité, nous allons défendre la position du président de la République par rapport à la suppression du poste de Premier ministre. Nous allons voter parce que nous partageons avec lui la volonté de travailler. Dans l’ensemble, il y a 19 articles qui vont être concernés par la suppression du poste de Premier ministre. Le Premier ministre, dans la Constitution, a été cité près de 32 fois et ça concerne 19 articles. Mais, c’est vraiment des articles de forme. C’est-à-dire que les changements n’auront pas une très grande incidence. Ce qui est important, c’est que le poste de Premier ministre n’existera plus. Alors se pose évidemment la question de la responsabilité parce que jusque-là, il y a la confiance au gouvernement qui est votée. Maintenant, on n’aura plus la possibilité de voter la confiance au gouvernement. Il ne faut pas se voiler la face, le régime sénégalais est un régime présidentiel. C’est le président de la République qui nomme le Premier ministre. Il avait la possibilité d’en nommer autant de fois qu’il le souhaite.

Ce que je crois, c’est qu’à partir du moment où l’Assemblée nationale ne vote plus la confiance, il est aussi normal que certains articles de la Constitution puissent être modifiés parce que l’article 87 de la Constitution dit que le président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale après  deux ans de législation. Il faudrait de ce côté-là que cet article soit revu.

Quels sont les mécanismes qui vont être utilisés pour arriver à la suppression et à la modification des différents textes relatifs au Premier ministre ?

Nous allons en discuter entre majorité et gouvernement de façon à ce que le projet de loi qui va être soumis à l’Assemblée nationale puisse intégrer déjà cette préoccupation des députés. Nous pourrons, dans les discussions que nous aurons avec le gouvernement, demander à ce que  l’article 87  qui donnait au président de la République la possibilité de dissoudre l’ Assemblée, soit retiré de la Constitution. Ça maintiendrait l’équilibre pour dire que le parlement va continuer à faire son travail à travers le renforcement du contrôle des politiques publiques. C’est ça qui est important.

Comment le législatif va-t-il procéder pour le contrôle du travail de l’Exécutif ? Allez-vous à chaque fois qu’il y aura une question d’actualité convoquer un ministre ?

Les questions d’actualité telles qu’elles existaient vont rester et les ministres vont venir devant l’Assemblée nationale par rapport à ces questions d’actualité pour répondre de leur politique par rapport à l’Assemblée nationale. C’est codifié dans le cadre du règlement intérieur mais nous pouvons aussi avoir l’initiative d’interpeller un ministre dans le cadre du programme de contrôle des politiques publiques. Nous avons ce qu’on appelle avant le débat d’orientation budgétaire. Nous avons aussi les questions d’actualité, les questions écrites et orales que nous pouvons adresser au gouvernement en demandant aux ministres de venir devant la représentation nationale défendre les politiques.

Le Premier ministre était considéré comme un fusible. Avec sa suppression, le président de la République va être en contact direct avec la population. N’y a-t-il pas un risque à ce niveau-là ?

Non, il n’y a pas de risque parce qu’au fond, dans le régime qui est issu de la Constitution de 2001 qui est la dernière Constitution même s’il y a eu des révisions, le Premier ministre ne fait qu’appliquer la politique définie par la Président. Vous le voyez vous-même à travers ce que nous vivons quotidiennement. Celui qui a toujours été interpellé, c’est le président de la République. C’est lui qui est toujours en première ligne. Parce que tout le monde sait que  celui qui définit la politique de la nation, c’est le Président de la République, que le Premier ministre n’est qu’un coordonnateur de l’activité gouvernementale. Si nous avons un président qui a une capacité de travail, qui a une connaissance des dossiers qui intéressent vraiment la marche du pays et qui veut s’impliquer et qui n’a pas besoin d’un élément supplémentaire, je crois qu’il faut dire bravo et donner un quitus pour lui permettre de pouvoir mener la barque. Je n’ai aucun problème par rapport à ça.

Il est aussi reproché à cette législature l’absence ou la non-récurrence de propositions de loi. Pour la plupart, l’initiative vient de l’Exécutif. Quel est réellement le problème pour qu’on n’ait pas d’initiatives venant des députés ?

Quand vous faites une proposition de loi qui a une incidence financière, vous devez aller justifier comment vous allez trouver la compensation à ne pas opérer dans le budget de l’Etat. Donc, les propositions de loi ne sont pas aussi simples. Et quand vous avez aussi une majorité qui travaille comme je l’ai dit, mais pourquoi chercher à forcément faire des propositions de loi ? Parce que dans les projets de loi qui sont soumis, avant même qu’ils nous soient soumis, nous avons quand même la possibilité puisque nous travaillons dans le cadre d’une majorité d’avoir des échanges qui nous permettent de trouver un consensus au niveau des textes et cela se passe comme ça partout dans le monde. Le jour maintenant où il y aura une opposition très forte par rapport à des propositions du gouvernement, en ce moment, on viendra avec des propositions de loi. Mais, on n’est pas dans ce cas de figure. Au-delà de ça, nous avons la possibilité d’amender les textes qui nous sont soumis par le gouvernement. A chaque fois qu’un texte nous a été soumis et que nous avons senti le besoin d’apporter des amendements qui vont dans le sens de consolider la démocratie et de renforcer l’Etat de droit dans notre pays, nous l’avons fait. C’est le cas de la loi sur le parrainage.

On avait jusque-là un régime qui est plus ou moins similaire à celui de la France. Si vous devrez définir aujourd’hui le régime actuel avec la suppression du poste de Premier ministre, comment le qualifierez vous ?

Nous sommes très loin du régime français. C’est que dans le régime français, le gouvernement est responsable. C’est d’ailleurs ça qui offre la possibilité de pouvoir vivre ce qu’on appelle les cohabitations. Au Sénégal, il n’est pas possible de vivre une cohabitation. Dans la Constitution actuelle, si un jour, il y avait même une majorité qui serait de l’opposition, tout ce qu’elle pourrait, c’est faire des réformes constitutionnelles avec sa majorité pour faire les changements ou ré-introduire le poste de Premier ministre, ainsi de suite. Parce que c’est le Président qui définit la politique de la nation et dans tous les cas, c’est le Président qui choisit. On sera peut-être dans un régime où il y aura un ping-pong ou il y aura peut-être ce qu’on appelle des votes de sanctions. Mais à mon avis, c’est très différent. Encore une fois, le régime au Sénégal est un régime présidentiel où c’est le Président qui définit la politique et il y a un gouvernement responsable devant le Président de la République. D’ailleurs à chaque fois, le Président peut changer son Premier ministre et changer son gouvernement. Maintenant, il est vrai que si nous ne changeons pas l’article 87 que j’ai évoqué tout à l’heure en donnant la possibilité au Président de pouvoir dissoudre le Parlement, après deux ans d’exercice, ça lui confèrerait des pouvoirs exorbitants. Parce qu’il serait et dans l’Exécutif et dans le Législatif. C’est pourquoi je pense que cet article 87 doit être modifié.

Benno Bokk Yaakaar est une coalition qui a une longévité qui étonne les observateurs. Pensez-vous qu’elle peut aller encore au-delà des Locales de décembre 2019, des Législatives de 2022, de la présidentielle 2024 ?

Franchement, je le crois. Mais, je pense qu’il va falloir évoluer. De Benno Bokk Yaakaar, on est passé à la Majorité présidentielle. Donc, il faut réfléchir à avoir une direction politique unifiée. Il faut que les formes changent et que nous puissions avoir de l’audace pour aller vers une unité politique.

C’est-à-dire qu’il n’y ait plus d’APR,  ni Parti socialiste, ni AFP ?

Non, les partis même peuvent garder leurs spécificités mais au moins qu’on ait un cadre politique organisé à la manière de l’Ump (Union pour la Majorité Présidentielle, France Ndlr) ; un cadre de politique large ; une direction politique unifiée, Nous pouvons avancer politiquement et nous fortifier. Aujourd’hui, le Président est en train de débuter son second mandat. Ce que nous devons faire, c’est peut-être faire évoluer le cadre qui était là en initiant des concertations entre les différents dirigeants, de sorte qu’elles puissent permettre de prendre en charge les préoccupations des Sénégalais. C’est d’autant plus facile que nous avons un plan, un programme sur lequel nous tous, nous sommes d’accord.

Quid dans ce cas du chef de l’opposition ? Proviendra-t-il de l’ opposition parlementaire ou de la légitimité tirée de la Présidentielle ?

Je pense que là, ça ne peut sortir que du débat. C’est là toute la pertinence de la concertation qui est proposée par le président de la République. Vous savez, vous avez beau être un bon tailleur si vous ne prenez pas la mesure de celui pour qui vous allez faire la tenue, l’habit risque d’être trop large ou trop court, comme le pantalon de Moriba.

Donc, il faudra que ces gens-là viennent pour qu’on puisse débattre et que nous puissions nous mettre d’accord sur la formule pour pouvoir désigner le chef de l’opposition. Mais, je pense qu’en toute démocratie, il est bon que la majorité gouverne. Il est sain d’avoir une opposition qui s’oppose dans le cadre républicain et une justice qui fait correctement son travail. C’est l’équilibre de ces institutions.

Quid de la presse ? Selon vous, faut-il organiser des assises de la presse, notamment avec les réseaux sociaux, le phénomène des fake news. Quelles doivent être les garanties que l’Etat doit mettre en place contre les dérives ?

Il y a la loi que nous avons votée sur les communications électroniques. Cette loi , contrairement à ce qu’on a dit, ne vise qu’à appeler les gens à avoir plus de conscience parce que vous, (journalistes, Ndlr), avez un outil redoutable mais qui peut détruire et parfois, de façon gratuite. Il va falloir que les gens soient responsables. Je pense d’abord à ceux qui sont les vrais professionnels de la presse qui sentent le besoin d’organiser cette presse. C’est un secteur aujourd’hui où chacun, avec un smartphone peut filmer et mettre sur les réseaux sociaux. Il faut qu’on encadre cela. Ce n’est pas possible.

Nous ne pouvons pas continuer à gouverner le Sénégal comme si on était dans les années 1960. Les choses ont évolué. Il va falloir qu’à chaque moment que nous puissions prendre en compte les préoccupations des populations à la base. Il faut que le citoyen soit érigé en sentinelle, qu’il puisse lui aussi faire le contrôle des politiques qui sont mises en œuvre. C’est pourquoi malgré le jugement positif que je fais au gouvernement, je crois qu’il a intérêt à développer ce qu’on appelle l’horizontalité. La verticalité, c’est une très bonne chose. Les rapports qu’ils ont avec le président, c’est une très bonne chose, mais il faut d’abord qu’ils (ministres, Ndlr) soient solidaires horizontalement entre collègues ministres et puis aussi qu’ils soient à l’écoute des populations. L’ère où on pouvait être ministre et puis être imbu de sa personne, regarder les gens de haut est totalement révolue. Il faut que les gens changent et sachent que les Sénégalais les écoutent.

Il faut qu’ils soient proches des populations. Là, il y a beaucoup d’exemples qu’on peut donner mais c’est un appel que je fais en tant que député du peuple en contact avec les populations pour que les gens changent d’attitude, soient beaucoup plus proches des populations. Certes, ils vont rendre compte au président de la République, ils ont les moyens d’organisation verticale qui leur permettent de se retrouver toutes les semaines et de débattre. Mais, il faut déjà qu’il y ait une plus grande solidarité gouvernementale mais aussi une approche horizontale qui permette aux ministres de prendre en charge les préoccupations des populations à la base et cela est extrêmement important.

seneplus

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