DANS CHAQUE NICHE, IL Y A UN CHIEN QUI MORD

Le gouvernement ne saurait être crédible si des responsables publics continuent de se livrer, avec une certaine arrogance, à des libéralités ou des dépenses somptuaires

Nous sommes tenté d’adresser au Président Macky Sall la même mise en garde que le député français, Gilles Carrez, président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, avait adressée au Président François Hollande, à savoir : «Dans chaque niche il y a un chien qui mord.» En effet, le nouveau mandat du Président Sall s’inscrit dans une dynamique qui risque de heurter bien des situations économiques et sociales et des mesures vont fatalement impacter avec dureté la vie des citoyens. Le Sénégal semble rattrapé par la réalité de sa situation économique, au point de ne plus pouvoir continuer à donner l’impression de faire comme dans un pays riche, un pays aux ressources financières intarissables et qui se permettrait certaines largesses sociales. De nombreuses situations vont devoir être remises en cause.

L’amère pilule de refuser toute hausse des salaires des fonctionnaires

Le Président Macky Sall, un brin contrarié par les revendications des syndicalistes, avait voulu, le jour de la dernière fête du travail, tenir un langage de franchise, de vérité aux syndicalistes, leur indiquant sans ambages qu’il ne saurait plus être question d’augmentation des salaires des fonctionnaires. La déclaration a pu susciter l’émoi, mais la sécheresse des chiffres des comptes publics indique à suffisance que l’Etat du Sénégal est arrivé à un point où il ne pourrait plus faire, à tout le moins dans le court terme, un pas supplémentaire en matière de politique d’augmentation généralisée des salaires des agents publics. Il resterait toujours au gouvernement le levier d’une éventuelle baisse de la fiscalité sur les salaires, comme ce fût le cas, en janvier 2013. A cette occasion, les salariés du public comme du privé avaient pu bénéficier d’un gain de pouvoir d’achat supplémentaire. L’Etat avait consenti de renoncer à des recettes fiscales de l’ordre de 29 milliards de francs au profit des salariés. On se demande si une telle mesure serait encore possible dans un contexte où on commence à déplorer la faiblesse de la part des ressources de fiscalité intérieure pour financer le budget de l’Etat. Dans tous les cas, la masse salariale des agents de la fonction publique sénégalaise n’a eu de cesse d’augmenter à un rythme effréné de 50 à 60 milliards, d’une année à une autre. Dans le budget 2019 du Sénégal, la hausse de la masse salariale est de 60,4 milliards de francs Cfa, soit une hausse relative de 8,6%, alors que la croissance économique moyenne au Sénégal est de 6,6% depuis 2014, c’est-à-dire durant la période d’exécution du Programme Sénégal émergent (Pse). En d’autres termes, si on consulte le Titre II du budget général de l’Etat pour l’année 2019, on constate que la masse salariale se chiffre à 743,41 milliards de francs, compte non tenu des rémunérations des employés des différentes agences publiques, des universités ou les salaires des corps émergents, entre autres. En outre, les rémunérations de personnel consacrées au fonctionnement des différentes institutions de l’Etat comme l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) et autres institutions, compilées dans le Titre IV du budget général, donne un total de quelque 1 000 milliards en dépenses de personnel pour moins de 2 500 milliards de recettes fiscales. Ainsi, le Sénégal consacre 40% de ses recettes fiscales à la prise en charge de ses fonctionnaires. Ce ratio «grille» la norme communautaire de l’Uemoa qui est de 35%. Dans la présentation de la loi de finances, le ministère des Finances alertait déjà, indiquant que «le gouvernement doit surveiller sa masse salariale». Comment en est-on arrivé à ce résultat ?

Il convient de rappeler qu’en 2012, la masse salariale était de 428 milliards de francs pour des effectifs de 91 mille 401 fonctionnaires et autres agents de l’Etat. Les dépenses en personnel de l’Etat ont donc augmenté de plus de 75%, le temps d’un septennat. Les effectifs sont aujourd’hui à 140 mille agents publics. Les augmentations de salaire ont alourdi la charge. 3/4 des effectifs de la fonction publique ont bénéficié d’augmentations de salaire. Les secteurs qui ont été les plus servis sont ceux de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de l’Armée, de la santé et les agents de l’Administration judiciaire (magistrats et greffiers). Un haut fonctionnaire s’est risqué à un commentaire : «Tous les secteurs qui bougent sur le front syndical ont engrangé des hausses de salaires et autres indemnités.» Ainsi, seules certaines catégories professionnelles comme les économistes, les juristes, les planificateurs n’ont pas bénéficié des largesses de l’Etat. Cette assertion est à relativiser, car ces catégories de fonctionnaires ont pu bénéficier par ailleurs d’avantages substantiels comme des parts assez confortables de fonds communs qui n’apparaissent pas dans la nomenclature des dépenses de personnel.

On notera que les enseignants, qui constituent 51% des effectifs de la fonction publique, captent 53% de la masse salariale de l’Etat. Aussi, la mise en œuvre des accords conclus entre le gouvernement et les syndicats enseignants va impacter pour 64 milliards de francs supplémentaires en dépenses de personnel pour l’année 2019. Un membre du gouvernement se demandait s’il ne valait pas mieux, avec l’enveloppe de 60 milliards de francs en plus par an, recruter plus d’agents de sécurité (policiers et gendarmes), plus d’agents de santé, d’agents du Service d’hygiène ou d’agents dédiés à la préservation des ressources environnementales et autres agents de développement communautaire ou même d’autres enseignants. De tels besoins en personnels existent encore.

Le gouvernement envisage également de rationaliser les dépenses dans le secteur diplomatique et dans d’autres administrations comme les agences de l’Etat. Une autre opération qui va fâcher du monde, c’est celle de la restructuration de la Poste qui est devenue inévitable. Les partenaires du Sénégal avaient fini de tirer la sonnette d’alarme sur les déficits creusés, d’année en année, par la gestion de la Société nationale La Poste. Le budget de l’Etat a été systématiquement sollicité pour éviter le dépôt du bilan à La Poste.

L’impossible luxe de payer plus de 250 milliards pour le secteur de l’énergie

L’Etat du Sénégal a mené une politique sociale qui a sans doute pu soulager le consommateur, mais qui aura été menée au prix de graves tensions de trésorerie. La décision de baisse de 10% du prix de l’électricité en 2017 a fortement éprouvé les finances publiques. Cette décision que le gouvernement avait voulu présenter comme un geste social s’est révélée être une patate chaude. Les cours mondiaux des hydrocarbures avaient flambé, un facteur combiné au renchérissement du dollar américain sur les marchés financiers. Le gouvernement avait aussi décidé du blocage du prix du carburant à la pompe, en refusant d’appliquer au consommateur la vérité des prix. Il fallait bien sûr quelqu’un pour payer. L’Etat s’était, de ce fait, dévoué à suppléer aux manques à gagner de la Senelec et à compenser les pertes commerciales de la Société africaine de raffinage (Sar) et des autres pétroliers. Les différentes subventions et autres dettes dues à la Senelec ont monté, courant 2018, à plus de 177 milliards de francs. Devant ce gouffre, l’Etat du Sénégal avait été obligé de conclure un accord avec la Senelec qui permettrait de rembourser tous les ans la bagatelle de 25 milliards de francs. En attendant, la Senelec pourra recourir aux marchés financiers pour lever des emprunts avec les garanties fournies par l’Etat. Qui se souvient encore qu’en 2015 la subvention de l’Etat du Sénégal à la Senelec était tombée à 0 franc Cfa ? Les prix du baril du pétrole et les cours du dollar américain ont de nouveau repris la tendance haussière.

Le gouvernement se trouve obligé de faire face à d’autres situations dont la remise en cause pourrait elle aussi provoquer une ire sociale. C’est notamment la question de la politique d’affectation de bourses et d’aides sociales à plus de 120 mille étudiants, avec une enveloppe de 60 milliards par an, sans aucune rigueur dans les critères d’attribution ou dans le contrôle. Il en sera de même de la décision, depuis 2013, de payer des frais de scolarité pour plus de 47 mille étudiants, orientés dans les universités et instituts privés d’enseignement supérieur, pour plus de 8 milliards de francs par an. L’Etat du Sénégal a poursuivi la politique qui a permis de caser des étudiants qui ne trouvaient pas d’inscription dans les universités publiques aux capacités largement dépassées. L’idée était d’accélérer les chantiers de réalisation des Universités Amadou Makhtar Mbow de Diamniadio et Cheikh Ibrahima Niass de Kaolack. Malheureusement, les dysfonctionnements observés dans la conduite de ces chantiers ont eu pour conséquence que l’Etat continue encore à supporter la facture salée, réglée au secteur privé de l’enseignent supérieur. La panacée qui se voulait provisoire de caser le trop-plein d’étudiants dans les universités privées va ainsi demeurer. Jusqu’à quand ? Et s’il faudrait y mettre un terme, quel en serait le coût social et politique ?

La politique de réduction des dépenses de fonctionnement de l’Etat ne manquera pas d’avoir des répercussions sur certaines couches sociales. Le budget de fonctionnement de l’Etat a baissé de 12,5% du Pib en 2012 à 7,5% en 2018. Les dépenses de fonctionnement du budget général de l’Etat, sur la base des lois de règlement votées, indiquent qu’en 2012, 30% du budget de l’Etat ont été consacrés au fonctionnement, contre 24% en 2017. Le Président Sall a imposé une certaine rigueur dans les dépenses publiques. Ainsi, l’Etat a mieux dépensé, car la qualité et le volume des services publics fournis n’en ont point souffert. Pourtant, on notera que dans le même temps, la richesse nationale a augmenté avec un taux de croissance qui a évolué de 3,2% du Pib à une moyenne de 6,6%. Ce regain de richesse nationale a été consacré à des dépenses sociales comme la distribution de bourses familiales, des politiques sociales comme la Couverture maladie universelle, la carte d’égalité des chances, entre autres.

Il reste que la résiliation de nombreux baux de maisons louées par l’Etat pour y loger des administrations publiques va éroder le pouvoir d’achat des bénéficiaires, même si d’un autre côté les entreprises de construction auront trouvé de nouvelles commandes. L’Etat dépensait annuellement 8 milliards de francs Cfa pour des baux administratifs. La politique de construction de sphères ministérielles à Diamniadio et dans les régions, ainsi que la réfection du Building administratif auront cependant le mérite de mieux loger les administrations publiques et devraient permettre de faire des économies sur la dépense publique.

Que tout le monde se serre la ceinture !

Il va donc falloir une politique d’austérité. Toutefois, une telle politique ne serait acceptée par les populations que grâce à de gros efforts d’explication et de dialogue. Mais il faudra prêcher par l‘exemple. Une certaine diète sociale ne saurait être imposée aux populations alors qu’elles ne perçoivent pas des efforts de réduction du train de vie des autorités publiques. En effet, le gouvernement ne saurait être crédible si des responsables publics continuent de se livrer, avec une certaine arrogance, à des libéralités ou des dépenses somptuaires. Qui accepterait de se priver en assistant au spectacle qui montre ceux qui incarnent l’Etat, donnant l’impression de se servir goulument ?

seneplus

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