HYPOTHETIQUE BEAUTE, SANTE EN PERIL !

Pratiquée depuis fort longtemps en Afrique, dans les années 60 en fait, la dépigmentation artificielle volontaire consiste à s’éclaircir la peau par différents procédés et pour des raisons diverses.

Appelée Xessal au Sénégal, Akonti au Togo, Dorot au Niger et au Burkina Faso, Bojou au Bénin, Kobwakana ou Kopakola au Congo et Tcha-Tcho au Mali, la pratique est notée dans de nombreux pays au monde. Méconnaissance du danger encouru, complexes de tous genres, envie de satisfaire les désirs du mari dans une société où la polygamie met la gent féminine en éternelle compétition, ou simplement le fait de suivre aveuglément la mode, pour une raison ou une autre, beaucoup de femmes font fi des recommandations médicales et se lancent dans un blanchissement à outrance de leur peau. D’après une étude de l’Association Internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (Aiida), le Sénégal est le deuxième pays d’Afrique où la dépigmentation est le plus pratiquée, après la République Démocratique du Congo. Toujours d’après la même étude, 2 Sénégalaises sur 3 ont recours au «Xessal» qui absorbe 19% des revenus des ménages. Pis, depuis un certain temps, des hommes se sont immiscés dans la pratique aux conséquences sanitaires multiples.

«Peau claire et unifiée », « Peau impeccable », « Peau sans tâche », « Teint clair en quelques jours », voilà autant de promesses faites aux femmes qui désirent s’éclaircir la peau. Toute une stratégie commerciale est mise en place pour rassurer les usagers sur le caractère « sain et inoffensif » des produits utilisés. Malheureusement, les commerciaux ne dévoilent pas les risques liés aux produits vendus. En effet, la « beauté » que procure cette dépigmentation n’est qu’un mirage qui s’estompe après seulement quelques années de pratique. En plus des crèmes, savons ou autres produits à composition chimique importés, la dépigmentation au Sénégal a pris une autre tournure avec la vente non contrôlée de mélanges faits par des non-initiés à la dermatologie. Le business des mélanges des produits dépigmentants est devenu un véritable marché sur les réseaux sociaux et dans les quartiers. Les boutiques qui pullulent à Dakar offrent leurs services à une clientèle intéressée par le blanchissement de la peau. Le marketing est fait par une vendeuse à la peau claire pour mieux attirer la clientèle.

Dans une boutique à Diamalaye, le prix du lait de corps est à 20.000 F CFA. Les crèmes mains et celles des pieds dont la caractéristique mise en avant est d’être anti tache, sont vendues à 15.000 F CFA l’unité. L’huile éclaircissante coûte 5000 F CFA. A Ouest Foire, une boutique est le point d’attraction des femmes. Une garantie d’une peau claire en quelques jours est la raison qui fait courir. Dans cette boutique, les femmes s’offrent un savon fait d’un mélange de produits dépigmentants. Le comble de cette situation est que la plupart des produits utilisés sont très toxiques et devraient faire l’objet d’une interdiction. Il s’agit du glutathion, des corticoïdes, de l’hydroquinone et des produits à base de l’acide Kojique. Parfois ce sont les femmes, elles-mêmes qui préparent leurs propres mélanges. Saly Magassouba en fait partie. Elle se dépigmente depuis une vingtaine d’années. Même si elle admet que ce n’est pas une bonne chose pour sa santé, cette quinquagénaire révèle qu’elle l’a toujours fait pour plaire à son mari. Elle fait savoir qu’elle achète des tubes dans les boutiques cosmétiques à des prix variant entre 800, 700 et 600 ou même 500F CFA, pour faire ses propres mélanges qui l’éclaircissent au bout de 5 à 6 jours.

Adept e de la pratique, Saly recommande toutefois à ses pairs de ne pas se laisser emporter. «Je conseille aux femmes qui ne l’ont jamais fait de ne pas y toucher, parce que c’est une pratique qui n’a pas d’avenir. Elle peut te rendre belle aujourd’hui, et détruire ta peau du jour au lendemain. Si c’était à refaire, je n’y toucherais pas». Khadija quant à elle, pratique le «Xessal» depuis près de 5 ans. Tout comme Saly, elle sait que la dépigmentation n’est pas une bonne chose, néanmoins dit-elle, «je me dépigmente pour être belle. Il y a des teints noirs qui sont plus jolis que les teints clairs mais il y a des teints clairs qui sont très jolis », avance-t-elle. Khadija ne se reconnait pas dans la noirceur. « Le teint noir ne me va pas, c’est pourquoi j’utilise des produits éclaircissants. J’avais un teint marron que j’ai voulu éclaircir davantage».

Avoir une peau claire, c’est son souci et peu importe les moyens, Khadija est déterminée à y arriver. J’achète les produits que j’utilise dans les cosmétiques à des prix divers pouvant aller jusqu’à 10.000f, ensuite «je fais mes propres mélanges sans l’avis d’un spécialiste au préalable. Tout ce qui importe c’est la couleur blanchâtre que je veux obtenir», soutient-t-elle. En faisant les mélanges, Khadija explique qu’elle achète une dizaine de tubes qu’elle met dans une marmite, y ajoute du jus de citron, plus de la vaseline salicylée et un peu d’eau oxygénée. Une fois que le mélange est bien compact, elle l’applique sur sa peau avant d’enfiler une tenue en plastique. A défaut, elle s’enroule de sachets plastiques avant de porter 3 à 5 boubous. Elle explique que c’est pour avoir une couleur blanche en seulement 2 jours. Toutefois, elle tient à préciser qu’en faisant ainsi, elle ne prend sa douche qu’après 48h d’utilisation. Khadija précise pourtant que son plus grand souhait est de laisser la dépigmentation, car elle reste convaincue que ce n’est pas une bonne chose. A celles qui n’ont pas jamais utilisé les produits de la dépigmentation, elle conseille de ne jamais y toucher.

« PATHIE-PATHIE » OU CES HOMMES QUI S’ECLAIRCISSENT LA PEAU

Phénomène social ou drame sociétal, la dépigmentation prend de l’ampleur, notamment avec les hommes qui s’adonnent de plus en plus à la pratique. Trouvé dans la banlieue dakaroise, Cheikh est un taximan qui passe presque toutes ses soirées dans les boites de nuit des Almadies. Il explique qu’il lui arrive souvent de rencontrer des hommes qui se dépigmentent la peau. Ces «PathiePathie » (surnom qu’on donne aux hommes qui s’éclaircissent la peau), le font pour diverses raisons, explique Cheikh. A son avis, certains le font souvent pour plaire à certaines femmes qui ont une préférence pour les hommes de teint clair. Et le plus souvent, ils sont des artistes, estime-t-il. «Il m’arrive souvent dans l’exercice de mon métier de fréquenter des boites de nuit, mais je vois souvent des jeunes artistes, des danseurs, des chanteurs faire du «Xessal». Toutefois, il ne manque pas de donner des conseils à ces jeunes qui s’adonnent à la pratique. Pour Cheikh, ces jeunes doivent cesser le « Xessal», car «ceux qui le pratiquent sont des complexés, parce que faire des choses que seules les femmes sont censées faire, n’est vraiment pas bien », tance le taximan, l’air désolé.

« Pathie-Pathie », l’envers du décor

A quelques 200 mètres de lui, Modou un autre jeune de la même tranche d’âge, est moniteur de sport. Il fait savoir qu’il croise toujours des hommes qui s’adonnent à cette pratique, dans la salle où il travaille. « Il m’arrive de voir un homme et en regardant son visage, ses doigts et ses pieds, on sent qu’il se dépigmente». Pour lui, les raisons sont multiples : certains veulent se faire beau parce qu’ils ont un complexe de la couleur de leur peau. D’autres par contre, peste-t-il, n’agissent que par imitation. «Quand on a une préférence pour un artiste qui a la peau claire par exemple, on fera tout pour être comme lui, quitte à changer la couleur de ta peau». Pour ce jeune, il y a des femmes qui n’aiment pas les hommes à la peau noire, ce qui pousse certains hommes à s’éclaircir la peau. Il va plus loin en soutenant que le Sénégalais de manière générale pense que la couleur blanche est plus belle que celle noire. Il y a beaucoup de «totes», c’est-à-dire des hommes qui se comportent comme des femmes. La dépigmentation des hommes et autre comportement féminin résulte d’un manque d’éducation, fait savoir le jeune homme. Car pour lui, les parents n’ont plus de temps pour s’occuper ou donner une éducation de valeur à leurs enfants. Du coup, c’est la rue qui se charge d’éduquer nos enfants. «Nous, à notre époque, tout le monde se chargeait de l’éducation d’un enfant dans le quartier, mais de nos jours, si un voisin s’aventure à corriger ton enfant, tu seras le premier à défendre ce dernier et à imposer des limites à ce voisin, quitte à l’amener devant la justice», se désole Modou. Avant de souligner au passage qu’un pays qui aspire à l’émergence doit commencer par l’éducation des jeunes. «Ce problème de dépigmentation est le phénomène majeur qui sévit dans nos écoles, et la responsabilité de l’Etat est engagée, parce que si certaines mesures sont prises, cette pratique serait bannie en tout cas chez les hommes», précise le jeune homme. Non sans donner des conseils aux hommes qui pratiquent le «Xessal».

L’HYDROQUINONE, LES CORTICOÏDES ET LE GLUTATHION… Des produits interdits qui inondent le marché

La vente des produits tels que l’hydroquinone, les corticoïdes et le glutathion est interdite ou règlementée. Cependant, ils se vendent comme de petits-pains sur l’internet et les boutiques de quartier.

Malgré l’interdiction de leur vente et leur danger sur la santé humaine, le corticoïde et l’hydroquinone sont présents sur le marché sénégalais. Pour le dermato-vénéréologue, Ibrahima Ndiaye, l’hydroquinone est présente dans beaucoup de tubes. Du coup, le produit n’est plus seulement utilisé par l’industrie pharmaceutique, mais est devenu un véritable business pour les parfumeries. Le mal avec l’utilisation de l’hydroquinone est que le degré de dosage n’est pas respecté dans des pays comme le nôtre. « La législation dit qu’il faut 2% d’hydroquinone sur tous les produits. Malheureusement, ces 2% ne sont pas respectés », déplore-t-il. La cause est, dit-il, qu’il n’y pas un contrôle rigoureux derrière l’usage du produit. Ce qui fait qu’il devient un fourretout. L’autre problème est aussi le taux indiqué sur l’étiquette du produit utilisé qui n’est pas souvent conforme au contenu. Le professeur Ibrahima Ndiaye se désole du fait qu’il y ait beaucoup de magouilles dans la vente du produit.

A côté de l’hydroquinone, il y a aussi le les corticoïdes surtout le Clobetasol qui est un produit dangereux et fortement utilisé par les femmes. Sa particularité résiderait dans la rapidité de ses effets : « un éclaircissement de la peau en 15 jours ». Rien d’étonnant dans ce résultat puisqu’il s’agit d’un corticoïde de forte activité et extrêmement puissant, explique le professeur Ibrahima Ndiaye. Le Clobetasol qui est un médicament très dangereux que les dermatologues n’utilisent que pour soigner des maladies précises et sur une courte durée, est appelé corticoïde de classe forte par les dermatologues, selon le docteur Ibrahima Ndiaye. Un grand problème dans l’usage du Clobetasol est que c’est un produit qui ne doit être vendu sur le marché. Son entrée sur le territoire sénégalais est interdite. Mais, pour enfreindre la législation, les vendeurs l’enregistrent sous un nom anglais lors de l’importation. Le glutathion quant à lui, est un antioxydant produit naturellement par l’organisme qui a pour rôle de capter les radicaux libres libérés par l’organisme lors du métabolisme de la plupart des organes et de détoxiquer les cellules.

Compte tenu de ses effets protecteurs, rajeunissant, et de renouvellement des cellules, il a été introduit à dose physiologique, administré oralement dans le traitement des maladies dégénératives comme le Parkinson, l’Alzheimer. Les scientifiques ont découvert, par la suite, qu’utilisé à forte dose, cet antioxydant bloque la synthèse de la mélanine et entraine de ce fait un éclaircissement de la peau. « Ce produit détourné de son objectif initial par l’industrie cosmétique a de graves conséquences sur la santé humaine », selon le dermato-vénéréologue, Ibrahima Ndiaye. « Il constitue un extrême danger », a-t-il dit. Son usage crée une infection bactérienne des couches extérieures de la peau et cause une maladie appelée l’érysipèle. Celle-ci, si elle n’est pas bien traitée conduit à la mort. A côté de ces produits, il y a aussi l’acide Kojique qui présente un risque pour son utilisateur s’il est présent à hauteur de 0,1% dans un produit de soin.

CANCER CUTANE, GALE, INFECTION MICROBIENNE, STERILITE ET FAUSSE COUCHE, EXCLUSION SOCIALE, DEPRESSION… Le revers de la médaille

Quand on utilise l’hydroquinone et que son usager est en contact avec le soleil, le produit crée ce qu’on appelle l’effet de photosensibilisation et développe des réactions sanitaires sur les parties découvertes. C’est ce qui cause, en général, les « thieré », les lunettes. En somme, « toutes les taches noires et verdâtres qui sont sur les parties découvertes comme le visage, les mains et les pieds », explique le docteur Ibrahima Ndiaye. Le dermatologue informe aussi que l’hydroquinone donne parfois des effets qui sont difficilement traitables. « L’autre effet secondaire de l’usage de ce produit est qu’il peut aboutir à des cancers cutanés », informe ainsi le dermatologue. « Les femmes qui utilisent le corticoïde développent facilement les champignons. Elles ont aussi la gale et se grattent beaucoup. Elles peuvent développer des infections microbiennes comme les abcès ». Qui plus est, selon le spécialiste, « L’usage abusif de corticoïde mène à des maladies telles que le diabète, l’hypertension et même la perturbation gynécologique. Pour cause, l’utilisation de ces corticoïdes génère également la naissance d’enfants prématurés chez la femme enceinte et des fausses couches. A défaut d’avoir une peau claire, des femmes arrivent par tout perdre à cause de la dépigmentation. « Il arrive que des femmes perdent leur identité, c’est-à-dire qu’elles ne ressemblent plus à rien. Le visage a des taches noirâtres, elles perdent la beauté de leur visage, ne se sentent plus femmes », se désole le docteur Ibrahima Ndiaye. Pis, certaines même se sentent marginalisées par leurs pairs à cause de la présence de tâches et autres effets secondaires sur leur corps. « Moralement et psychologiquement, elles sont abattues. Il y a un rejet social souvent. Et les femmes ont peur d’être à des cérémonies par crainte d’être indexées. Quelquefois, cette exclusion va plus loin car ce sont les maris qui rejettent leurs conjointes.

Seneplus

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