CES FAITS QUI HANTENT LE SOMMEIL DES ELEVEURS

A défaut de promouvoir l’importation, les Sénégalais risquent de vivre une Tabaski plus chère que d’habitude, en termes d’achat de moutons.
Si, à Dakar et dans la plupart des grandes villes, l’hivernage rime avec inondations et déplacements de populations sinistrées, dans la campagne sénégalaise, la saison des pluies fait le bonheur des populations. Son retard est, de facto, source d’angoisse pour les paysans et les éleveurs. ‘’EnQuête’’ a fait une immersion dans la zone sylvo-pastorale et fait le constat de l’angoisse des éleveurs, face au retard de l’hivernage et à la flambée des prix de l’aliment de bétail.

La zone sylvo-pastorale vit difficilement le retard de l’hivernage. La saison passée n’étant pas très favorable dans la zone, le pâturage a vite fini, obligeant les éleveurs à transhumer. Des éleveurs et responsables du département de Linguère décrivent une situation précaire pour les bêtes et même pour ces populations rurales. En effet, le retard de la saison des pluies allonge la période de soudure et plonge la région dans une disette totale. La plupart des éleveurs ont transhumé vers l’est ou le sud du Sénégal où l’hivernage s’est déjà installé, à la recherche d’herbes vertes et nourrissantes pour les bêtes. Dans les localités de Linguère et environs où l’élevage est la principale occupation des autochtones, l’absence de pluie, en cette période de l’année, est synonyme de soudure infernale pour les populations locales..

Une menace pour la fourniture en moutons de Tabaski

La situation précaire qui prévaut dans ces zones risque d’impacter sur le bon déroulement de la Tabaski qui se profile à l’horizon. A défaut de promouvoir l’importation, les Sénégalais risquent de vivre une Tabaski plus chère que d’habitude, en termes d’achat de moutons. En tout cas, de l’avis des éleveurs, la situation est devenue catastrophique et le retard de l’hivernage n’est plus rattrapable. L’impact négatif sur la fête est évident. Selon eux, il se pose, d’abord, un problème de transport des animaux affaiblis par le manque de pâtures. Ensuite, celui des moyens financiers pour les éleveurs qui ont tout dépensé dans l’achat d’aliment de bétail. Le convoyage à pied est presque impossible, selon ces derniers.

Conséquence : on risque d’assister à une Tabaski sans les ‘’coggal’’ (les moutons à bas prix). Ce qui va rendre les prix des bêtes plus élevés et non accessibles aux Sénégalais avec de faibles revenus. ‘’Je ne sais pas les moutons qui vont nous venir de l’extérieur, mais ceux qui sont ici sont très maigres. Ils n’ont pas été bien nourris, car il n’y a pas de pâtures. Et même si la saison débutait maintenant, on ne peut plus rattraper le temps perdu. En plus, les éleveurs ont dépensé tous leurs revenus dans les aliments de bétail. Ce qui fait qu’il est, aujourd’hui, impossible de trouver des moyens financiers pour convoyer un troupeau de moutons dans les grandes villes. Il faut aussi savoir que les bêtes sont très affaiblies. Elles ne peuvent pas parcourir certaines distances’’, déclare, catégorique, l’éleveur Samba Demba Ka.

Abondant dans le même sens, Samba Mamadou Sow, Président de l’Association pour le développement intègre de Dahra (Adid) qui assiste les éleveurs dans la résilience, pense qu’il est impossible d’avoir des moutons à des prix abordables pour cette Tabaski. ‘‘Pour l’opération Tabaski, ce sera très compliqué. En effet, avec cette situation, les éleveurs ne peuvent pas laisser les vaches pour aller à Dakar ou dans les grandes villes. En plus, le convoyage à pied est impossible, avec la maigreur du bétail. Les gens seront obligés de transporter les bêtes par voiture et cela va évidemment se répercuter sur les prix’’, estime-t-il.

Flambée des prix de l’aliment de bétail

La situation des éleveurs empire avec la cherté de l’aliment de bétail devenu très prisé, avec l’absence de pâturage. En effet, le tapis herbacé est très pauvre en ressources pour nourrir les animaux, à cause de l’amenuisement des fourrages. Les éleveurs sont ainsi obligés de se rabattre sur les aliments de bétail artificiels pour sauver leurs bêtes. Ce qui a augmenté la demande en produits alimentaires, occasionnant, du coup, la flambée de leurs prix. Pour illustrer la situation, Amadou Fary Ba, grand éleveur, fait l’éventaire de ses dépenses en aliment de bétail. ‘’Actuellement, presque chaque trois jours, on dépense en aliment de bétail le prix d’une vache. En ce qui me concerne, j’utilise chaque jour 8 sacs d’aliment pour nourrir mon troupeau. Le prix est de 7 500 F Cfa le sac, à Dahra. Mais dans les zones les plus enclavées où se trouvent la plupart des transhumants, les prix vont jusqu’à 10 000 F Cfa’’, explique-t-il. Une situation qui a poussé certains éleveurs à adopter des méthodes néfastes à la préservation de l’environnement pour faire survivre les bêtes. ‘’Certains ont commencé à couper les branches d’arbres pour nourrir le bétail. Ce qui, loin de solutionner le problème, viole la nature. Il faut savoir que population est aussi fatiguée. Elle est dans l’attente angoissante d’une pluie incertaine. Les gens ont fini par remettre tout entre les mains de Dieu, car aujourd’hui, seule la solution divine peut sauver ce secteur’’, estime un éleveur.

Ministère de l’Elevage en soutien aux éleveurs

Face à cette situation qui devient de plus en plus difficile pour les éleveurs, le ministère de tutelle a décidé d’apporter une aide, par une subvention de l’aliment de bétail. A cet effet, 1 000 tonnes d’aliments ont été subventionnées pour être revendues aux éleveurs à 5 200 F Cfa le sac. Cette mesure concerne la zone sylvopastorale de Linguère et environs. ‘’Pour le département de Linguère, on a commandé 1 500 tonnes d’aliments de bétail. Les 1 000 tonnes ont déjà été réceptionnées et distribuées aux éleveurs. On attend les 500 tonnes d’un moment à l’autre, c’est-à-dire d’ici demain même (aujourd’hui). Il faut savoir qu’avant la pluie d’hier, la situation pastorale était très précaire, parce qu’il n’y a plus de pâturages. D’ailleurs, la plupart des éleveurs sont encore en transhumance’’, informe Mamadou Moustapha Cissé, Inspecteur de l’élevage à Linguère. De leur côté, les éleveurs ont certes apprécié la décision de l’Etat de subventionner les aliments de bétail, mais jugent insuffisante cette mesure pour régler leur situation. ‘’L’ancienne ministre aidait beaucoup les éleveurs et faisait en sorte que les aliments soient disponibles à temps. Le nouveau a aussi abondé dans le même sens, mais il a commencé tard, car l’année passée, l’hivernage n’était pas des meilleures et au moment où le ministre Samba Ndiobène Ka prenait fonction, les éleveurs étaient déjà dans la disette. Ce qui a fait que sa réaction est venue de manière un peu tardive. Il faut aussi savoir que la subvention ne fait pas grand-chose, car elle est minime par rapport à nos besoins’’, estime l’éleveur Samba Ka.

ABSENCE DE PATURAGE À LINGUÈRE : Le désarroi des éleveurs

Les premières pluies qui se sont abattues, hier, dans le département de Linguère, seront-elles suivies par d’autres ? C’est le souhait de tous les éleveurs qui sont aux abois, du fait de l’hivernage qui a tardé à s’installer. Le prix des aliments de bétail est inaccessible et les éleveurs ont peur pour la Tabaski, avec le risque d’avoir des moutons sous-alimentés et rachitiques.

En effet, de Dahra à Barkédji, en passant par Warkhokh, c’est le même décor : il n’y a plus de réserves fourragères. Le tapis herbacé est inexistant et le ciel a tardé à ouvrir ses vannes, au grand dam des éleveurs qui ne savent plus où se rendre pour ne pas perdre leur cheptel. Si certains d’entre eux se décarcassent à longueur de journée pour nourrir leurs bêtes avec les moyens du bord (maïs, carton…) d’autres se sont rués avec leurs bestiaux vers d’autres cieux plus cléments où l’herbe a commencé à pousser, avec l’installation progressive de l’hivernage. La grande transhumance ne s’arrête pas. ‘’EnQuête’’, dans le cadre de ses reportages sociétaux, donne la parole à des pasteurs qui qualifient la situation de catastrophe naturelle.

Un ‘’Marbath’’ vide pour cause de transhumance

Il est 12 h à Dahra Djoloff. Le soleil est au zénith. Mais les populations vaquent librement à leurs occupations. Un tour au foirail quotidien de Dahra, communément appelé ‘’Marbath’’, permet de comprendre la situation de stress que vit tout un chacun. Sur le chemin qui mène au marché des petits ruminants, le charretier qui nous conduit peste contre les revendeurs de fanes d’arachide et de foin. Ecœuré, il les traite de mécréants. A la vaste place à l’air libre, d’habitude si grouillante de moutons et de chèvres, c’est presque le désert. Devant notre étonnement, Algassoum Sylla, éleveur de renom dans cette zone, fait savoir que ses compères ‘’ont transhumé vers le Saloum, car le tapis herbacé a disparu depuis belle lurette’’. Dans le département de Linguère, le commerce de l’herbe est, en cette période, une activité très florissante, qui permet à beaucoup de chefs de famille de gagner leur vie. Mais comment ? Dès la fin des travaux champêtres, entre décembre et janvier, ils entassent d’énormes quantités d’herbe sèche. Au bout d’un semestre, ils commencent à écouler par charretée, par sac et même par camionnette, leur stock. Entre juin et juillet, les prix passent du simple au double, voire triple. Une situation décriée par les acteurs du sous-secteur de l’élevage. Mais ceux-ci n’en ont cure et continuent leur commerce.

L’élevage intensif comme solution

Algassoum Sylla propose à ses pairs de faire de l’élevage intensif, pour éviter de tels scénarios. ‘’Il ne sert à rien d’élever des centaines de têtes sans être en mesure de leur assurer la nourriture toute l’année’’. Pour cet éleveur, ‘’les pasteurs gagneraient à s’organiser pour faire ce type d’élevage qui est plus rentable’’, conseille-t-il. Dans toutes les communes du département de Linguère où l’élevage est l’activité la plus pratiquée, l’on vit la même situation. Les acteurs coupent les feuilles et les branches d’arbres pour nourrir le cheptel. Ce qui donne lieu à une déforestation. Cette coupe abusive cause souvent des différends entre les éleveurs et les agents des eaux et forêts qui ont pour mission principale la protection de la nature.

Du souci pour la Tabaski

Selon le chef du foirail Baba Ndiaye, ‘’la situation est alarmante et peut avoir des répercussions sur la célébration de l’Aïd-el-Kébir, car les moutons risquent de ne pas manger à leur faim. Au moment où les vendeurs de foin se frottent les mains, car le sac qui s’échangeait à 2 000 F est vendu à 4 500 F. De l’avis d’Awa Alassane Sow, plus connue sous le nom d’Awa Dembel Sow, Présidente départementale du Directoire des femmes en élevage (Dirfel), ‘’la commune de Barkédji est un carrefour. Les éleveurs du Walo, qui étaient en transhumance dans le Saloum, passent quelques jours à Barkédji à leur retour, en début d’hivernage. Leurs animaux broutent l’herbe qui commence à pousser. Lorsqu’ils retournent au Saloum à la fin de la saison des pluies, ils emportent tout sur leur passage’’.

La culture fourragère comme panacée

C’est pourquoi, pour parer à cette situation dramatique, la présidente départementale du Dirfel opte ‘’pour la culture fourragère qui est pratiquée presque par tous les grands éleveurs’’. Un malheur ne venant jamais seul, il y a un phénomène qui hante le sommeil des éleveurs de la zone sylvopastorale. Pour Awa Sow, ‘’le vol est un véritable problème de sécurité dans cette zone et les éleveurs ne dorment plus du sommeil du juste, car ils sont inquiétés par les malfaiteurs’’. ‘’Les voleurs doivent subir de lourdes peines pour que ce phénomène soit éradiqué’’, dit-elle. Malgré les assurances de Pape Ngor Ndiaye, prévisionniste à l’Anacim, qui a annoncé, à travers les ondes de Sud Fm, ‘’un regain des activités pluvio-orageuses sur une bonne partie du territoire sénégalais’’, au moment où ces lignes sont couchées, les éleveurs du Djoloff, ne dorment plus que d’un seul œil.

Le Service départemental de l’élevage rassure…

Joint par nos soins, l’inspecteur départemental de l’élevage tente de rassurer les sceptiques, en soutenant qu’il n’y a pas péril en la demeure. Pour Mamadou Moustapha Cissé, ‘’la situation est un peu critique, car les populations sont dans l’attente des premières pluies et les transhumants attendent les premières gouttes d’eau pour signer leur retour au bercail’’. Relativisant la situation, M. Cissé précise que ‘’l’Etat a doté 1 000 t d’aliments de bétail aux éleveurs à 5 200 F le sac, soit une réduction de 2 800 F, pour leur faciliter l’achat de l’aliment de bétail qui vaut 7 500 F sur le marché’’.

La tutelle attendue en sauveur

A moins de quatre jours de la visite du ministre de l’Elevage et des Productions animales, Samba Ndiobène Ka, dans le cadre d’une tournée nationale, les éleveurs du département de Linguère l’attendent avec une pluie de complaintes.

3 QUESTIONS À ISMAËL SOW, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE LA MAISON DES ÉLEVEURS : “La subvention ne peut pas régler le problème des éleveurs’’

Quelle est, aujourd’hui, la situation des éleveurs ?

La situation des éleveurs est actuellement très dure, parce que l’hivernage est en retard dans beaucoup de zones. Ce qui fait que beaucoup d’éleveurs sont obligés de se déplacer vers l’Ouest, dans les régions de Tambacounda, car dans la zone nord qui est à vocation pastorale, il n’y a plus de pâturage. Les bergers sont concentrés vers Tambacounda où l’hivernage a déjà démarré dans la zone de Koumpentoum. Et là-bas aussi, on note, malheureusement, une rupture de la saison, depuis quelque temps. Il y a aussi le prix des aliments de bétail qui a considérablement augmenté. Ce qui rend encore la situation plus difficile. Dans certaines zones, le sac d’aliment de bétail coûte jusqu’à 10 000 F Cfa. C’est la catastrophe pour les grands éleveurs.

Existent-ils des subventions de l’Etat pour les éleveurs ?

Oui, l’Etat a débloqué de l’argent pour subventionner l’aliment de bétail. Mais, pour vous dire la vérité, la subvention ne peut pas régler le problème des éleveurs. L’Etat a fait ce qu’il devait faire. Des fonds sont disponibles au niveau de la Caisse nationale de crédit agricole (Cnca) pour subventionner les aliments de bétail dans les différents départements du Sénégal. Mais ce n’est pas du tout suffisant, car l’aliment de bétail seulement ne suffit pas. Il faut aussi du fourrager pour faire vivre les animaux.

Que prévoit votre association pour assister les éleveurs, en période de soudure ?

Notre rôle, c’est de former les éleveurs et être leur interlocuteur auprès de l’Etat et des partenaires. Nous avons établi un programme de formation pour les aider et les orienter dans la résilience. Le problème que nous avons maintenant, c’est le code forestier qui est très sévère pour les éleveurs. Je pense que l’Etat doit le revoir et discuter avec les éleveurs et les agents des eaux et forêts. Il faut aujourd’hui une concertation avec tous les acteurs compétents pour mettre en place, ensemble, un code forestier qui accorde aux éleveurs une certaine tolérance pendant les périodes de soudure, parce qu’ils ont besoin des ressources naturelles. Il faut réunir les éleveurs, les forestiers et tous les techniciens pour discuter ensemble. On sait qu’on ne doit pas couper les arbres, mais on peut les tailler en période de soudure, pour faire paître les animaux, parce que même pour garder les arbres comme il faut aussi, il faut les tailler. Et sans sensibilisation et un bon code forestier, certains vont malheureusement continuer à couper les arbres pour faire paitre leurs bêtes, car ils ignorent que cela a des conséquences négatives, à long terme, sur le secteur.

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