Migration : moi, Tidiane Camara revenu amputé de Libye
idiane Camara 27 ans aspirait à rejoindre l’Europe afin d’offrir à ses deux parents, dont il est l’unique enfant, une vie confortable. Comme beaucoup de jeunes migrants sénégalais son but était d’échouer en Europe en passant par la Libye. Il se heurtera à une situation dramatique qui allait briser son rêve.
«Les travaux champêtres étaient ardus et ne rapportaient pas assez pour satisfaire nos besoins les plus élémentaires», narre Tidiane Camara. Pour ce jeune de 27 ans, revenu amputé de la Libye, il semble important de s’expliquer d’emblée sur les causes qui l’ont poussé vers les sentiers chaotiques de la migration.
«A la fin de chaque récolte, nous vendions nos produits à perte (…), nous n’arrivions pas à joindre les deux bouts. Et pourtant ce n’est pas la volonté qui nous manquait», poursuit ce natif de la Casamance (au sud du Sénégal). A bout de force, il choisira l’émigration dite «clandestine» ou «irrégulière» comme porte de sortie. Nous sommes en 2016 et Tidiane venait d’avoir 24 ans.
Pendant deux ans, Tidiane Camara a déjoué les pièges de ces passeurs et trafiquants, bravé les rigueurs climatiques du Sahara, un dangereux périple qui se terminera par un drame personnel pour lui : une amputation de la jambe droite.
S’appuyant sur ses béquilles, le jeune homme nous conduit dans l’unique boutique du village, remplie de produits alimentaires dont il est devenu le propriétaire. En quête de survie, le petit cultivateur d’alors s’est mué en commerçant, entouré par la sollicitude de son épouse et d’un cousin venu vivre avec le couple à Malicounda, à quelques 80 Km de Dakar.
Agadez, puis l’enfer libyen
C’est un Tidiane serein qui retrace son aventure. De sa décision de partir jusqu’à son calvaire final et finalement son retour au pays.
«Après avoir fait part à mes proches de mon désir de d’émigration, mes parents m’ont donné toutes leurs économies ainsi que leurs bénédictions», indique-t-il avant de refaire tout le film de son dramatique voyage qui a débuté à la gare routière de Tambacounda (est du Sénégal).
Parti avec les «maigres économies de sa famille», Tidiane qui n’avait jamais quitté sa verte Casamance, se retrouvait face au défi de la traversée de régions désertiques et hostiles. «La chaleur était insupportable et les agresseurs et coupeurs de route étaient une hantise permanente», se souvient –il.
Heureusement pour Tidiane «cette étape du voyage s’est bien passée» jusqu’à Agadez au Niger, passage obligé vers la Libye.
Entre février et avril 2016, plus de 60.000 migrants sont passés par Agadez, indique l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). A travers le Niger, le suivi des migrants est effectué par l’OIM au niveau de sept points dont Arlit, Madama et Séguédine, situés dans la région d’Agadez.
Entre temps, les chiffres ne cessent d’augmenter. «En février 2019, en moyenne 1436 individus (soit un total mensuel de 40.208 individus) ont été observés chaque jour aux sept points de suivi, soit une hausse de 32 pourcent par rapport au mois précédent», souligne un rapport de mars 2019 de l’OIM.
Ces chiffres donnent le tournis aux gouvernements européens qui de plus en plus ferment leurs portes aux migrants. D’où un cercle vicieux : le refus de visa vers l’Europe pour passer par la voie légale et plus de jeunes qui tentent leur chance via les réseaux de passeurs et de trafiquants sans scrupules.
L’Union européenne a mis en place plusieurs initiatives de blocage de la migration « illégale », notamment le dispositif de surveillance des frontières dénommé Frontex lancée en 2004. Un projet très critiqué par des experts pour qui l’Europe ne mettra pas fin à la migration en se barricadant.
A Agadez raconte Tidiane Camara, «il y avait un nombre incalculable d’individus, hommes, femmes et enfants issus des pays tels que la Cote d’Ivoire, le Mali, le Nigeria».
Les ressortissants de ce dernier pays, le plus peuplé d’Afrique et qui partage une frontière avec le Niger, constituent le gros des contingents de migrants qui transitent par le Niger. Près de 79 % des personnes identifiées selon le rapport de l’OIM cité plus haut.
Dans cette ville de 511.188 habitants (d’après l’Institut national de la statistique du Niger), également porte du désert, la prudence était de rigueur. Le jeune homme devait trouver un passeur sérieux.
«Je ne voulais pas prendre le risque de tomber sur des hommes véreux et sans scrupules qui pourraient m’arnaquer». Au bout de deux jours, les choses ont commencé à se corser pour le jeune sénégalais qui n’avait pas assez d’argent pour payer la traversée du désert jusqu’en Libye soit 150.000 FCFA.
«Je n’avais plus que 23.000 FCFA en poche et en attendant le passage, je devais me nourrir et me loger». Mais pour Tidiane pas question d’abandonner «si près du but». Un coup de téléphone au pays et la somme nécessaire est envoyée par son père qui a sollicité un prêt auprès d’un commerçant de son village.
Une fois l’argent reçu, Tidiane et ses compagnons d’infortune, soit une trentaine de migrants, selon ses témoignages, sont entassés à bord d’un pick-up qui partit à l’assaut du désert, bravant les «tempêtes de sables» et multipliant les détours pour ne pas tomber sur des «patrouilles de djihadistes» qui dépouillaient les cohortes de migrants en ces lieux.
La chance sourira provisoirement à Tidiane, arrivé à bon port, précisément à Gatrone au sud-ouest de la Libye après une odyssée de six jours.
Le plaisir fut de courte durée : pour «défaut de papier», il est arrêté par la police libyenne. «Là-bas la police trouve toujours le moyen de vous épingler pour vous soutirer de l’argent», lâche t-il. Pour recouvrer la liberté, Tidiane a payé la somme de 500 dinars l’équivalent de 200.000 FCFA. Sa famille a dû encore une fois emprunter l’argent pour payer sa caution.
Désargenté à sa sortie de prison, il est allé se réfugier chez un compatriote rencontré pendant la traversée du désert. «J’ai trouvé du travail comme ouvrier en bâtiment. Mais je ne gagnais pas assez pour économiser et envoyer de l’argent au Sénégal. C’est par la suite qu’un de mes cousins m’a appelé pour que je vienne le rejoindre à Tripoli pour travailler dans un restaurant».
Un coup fatal
Une fois dans la capitale les difficultés n’ont fait qu’augmenter. Le domaine de la restauration ne marchait pas comme il l’espérait. S’y ajoute que l’insécurité était toujours palpable. Au bout de six mois, il finit fini par déménager à Zintane.
Dans cette localité proche de la frontière algérienne, le jeune Camara reprit son travail de maçon.Pendant cette période tout se passait bien pour lui. Et à force de labeur, il avait même pu rembourser la totalité des dettes que son père avait contractées. Tout se passait bien jusqu’à cette journée dramatique de janvier 2018.
«Nous étions en train de nous reposer dans notre chambre, un ami et moi lorsque des bandits surgis de nulle part ont défoncé notre porte pour nous cambrioler», lâche Tidiane d’une voix entrecoupée, accompagnée d’un regard perdu.
«Je n’ai jamais eu autant peur de ma vie», dit-il après un bref silence. Profitant d’un moment d’inattention des assaillants, Tidiane a voulu s’enfuir. Ses agresseurs ont ouvert le feu. Le jeune homme est atteint à la jambe droite. Des voisins viennent à la rescousse obligeant les assaillants à s’enfuir.
Ses voisins, témoins de l’attaque, l’évacuèrent dans la petite structure sanitaire dont disposait le village où l’infirmier de garde lui administre quelques soins primaires mais recommande aussitôt une évacuation vers Tripoli pour une chirurgie. Ce qui n’était pas dans l’ordre du possible pour le malheureux Tidiane qui n’avait pas les moyens pur une telle évacuation. Durant plusieurs jours, le jeune homme de plus en plus affaibli est resté chez lui sans soins. Selon son témoignage, sans l’intervention du boulanger du village, qui a payé son évacuation vers la capitale Tripoli, il serait peut-être mort.
Une fois à l’hôpital Al Zawiya de Tripoli, les médecins n’ont pas eu d’autre choix que d’amputer sa jambe en état de putréfaction. Il restera en convalescence pendant un mois dans cet hôpital.
«J’étais devenu un handicapé. Je savais que je ne pouvais plus travailler, l’aventure était terminée pour moi», dit-il avec tristesse. Le retour au pays s’imposait plus que jamais. Joint par écrit pour un rapatriement, les autorités consulaires ont mis quatre mois à répondre favorablement d’après Tidiane Camara.
De retour au Sénégal, Tidiane est envahi par un sentiment de honte, qu’il a poussé à s’installer à Malicounda plutôt que de retourner vivre dans son village en Casamance. «Je suis venu m’installer pour me cacher. J’avais honte d’avoir échoué mais plus encore à cause de mon handicap», nous confie-t-il.
Tidiane a laissé une jambe sur les sentiers de la migration. Des milliers d’autres jeunes y ont croisé la mort. En 2018, le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés a recensé 2260 morts en mer Méditerranée. Entre 2014 et 2018, l’OIM dans ses estimations fait état de près de 26.000 morts le long des itinéraires migratoires à travers le monde.
ouestaf
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