ADAMA GAYE RACONTE LES AFFRES DE REBEUSS ET SOLDE SES COMPTES

En exclusivité, Le Témoin et Walf quotidien se sont entretenus avec le journaliste-consultant et activiste politique

S on arrestation par des éléments de la redoutable DIC suivie de son incarcération dans les geôles de Rebeuss pour offense au chef de l’Etat a constitué l’un des plus polémiques dossiers politico-judiciaires mettant aux prises le pouvoir actuel et un de ses contestataires. Le caractère tonitruant, pour ne pas dire éruptif, de l’homme, sa dimension intellectuelle adossée à sa renommée internationale ont du passer par là. Sans flegme, tel un sniper en attente de viser sa cible, c’est un Adama Gaye fraichement sorti de prison qui nous a accueillis dans son appartement, au milieu d’un parterre de bouquins. Parmi lesquels, ‘L’ordre du Monde’, l’ouvrage de réflexion politique de l’ancien secrétaire d’Etat américain Kissinger qu’il pose à côté. En exclusivité, Le Témoin et Walf quotidien se sont entretenus avec le journaliste-consultant et activiste politique.

Le Témoin : Suite à des post sur Facebook, vous avez été arrêté le 29 juillet avant d’être incarcéré à la prison de Rebeuss pour « offense au chef de l’Etat ». Comment avez-vous vécu cette détention ?

J’ai vécu ces moments avec beaucoup de sérénité et beaucoup de grâce. Quand, à l’aube du 29 juillet, comme on le faisait naguère dans les dictatures Est-européennes ou pendant l’ère nazie, des éléments de la Division des investigations criminelles (DIC) sont venus sonner à ma porte peu après la publication d’un texte que j’avais consacré aux ressources naturelles du Sénégal, notamment le pétrole et le gaz, j’ai tout suite compris qu’il s’agissait d’une prise d’otage et qu’ils étaient venus me capturer pour me jeter en prison. ‘À Rebeus, les deux premiers jours j’ai dormi à terre’ C’est à ce moment-là que j’ai averti via un post sur les réseaux sociaux pour m’assurer que le monde entier était au courant de la forfaiture en cours me concernant. Arrivé à la DIC, j’ai exigé à ce que mes droits soient respectés dès le départ. Notamment, la présence de mes avocats avant toute audition. Puis, lorsqu’on m’a notifié ma garde à vue, je me suis toute suite mis dans la tête et dans la peau de quelqu’un qui était un prisonnier politique et un prisonnier d’opinion. A la prison de Rebeuss, j’ai accepté les conditions monacales dans lesquelles on m’avait placé en me faisait passer la nuit par terre, sur des carreaux, dans une salle mal nettoyée pour mettre à l’épreuve ma foie et ma détermination. Les deux premiers jours, j’ai dormi par terre. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est au troisième jour que celui qu’on appelle ‘chef de chambre’ m’a désigné un petit matelas où je pouvais m’allonger.

A votre sortie de prison, vous avez évoqué une tentative d’intimidation venant de la part du régime de Macky Sall. Etant qualifié de journaliste très ‘reseauté’, est-ce à dire que vous détenez des informations susceptibles d’indisposer le pouvoir en place ?

J’ai des informations entre mes mains et je n’ai pas peur de les publier car je ne suis pas quelqu’un que l’on intimide. Et mieux, je ne suis pas prêt à faire la moindre concession, ni devant le juge d’instruction, ni devant les autorités de la prison. Quand il fallait dire non, je l’ai dit et de là à penser qu’ils peuvent m’intimider par la prison, c’est risible parce qu’aujourd’hui, l’information plus personne ne peut l’empêcher de circuler. Nous sommes à un âge où si vous tuez Adama, d’autres personnes pourront se charger de la divulguer.

Dans l’affaire des 10 milliard de dollars liant l’Etat du Sénégal, le frère du président Macky Sall, Petro Tim et le groupe BP, vous avez été soupçonné d’avoir tiré les ficelles. Jusqu’à quel niveau êtesvous impliqué dans l’orientation du travail de la journaliste auteure de cette enquête ?

Qui a dit que j’ai tiré les ficelles ? (Ndlr, il s’emporte avant de répondre). Pour ce qui est de cette révélation qui a mis à nu le scandale petro-gazier au Sénégal, j’ai été la première personne que la journaliste a contactée via un ami à moi. Et quand elle s’est rapprochée de moi, je n’ai pas hésité à lui fournir les infos que je détenais. Maintenant, il n’y a pas à vouloir traquer des ombres irrattrapables. Le problème que ce gouvernement devrait régler est celui de savoir comment se fait-il qu’une enquête pareille a été menée sans qu’il n’ait pu donner luimême son opinion là-dessus ? Parce que la journaliste a cherché à entrer en contact avec Aliou Sall et d’autres gens du gouvernement. Quand elle m’en a parlé, moimême j’ai tout fait en ce sens, mais ils n’ont pas voulu se prononcer. Donc, ils n’ont qu’à s’en prendre à euxmêmes

Pendant votre incarcération, le Dirpub du Témoin, Mamadou Oumar Ndiaye s’était porté en bouclier à vos cotés à travers un édito retentissant intitulé : « Moi, avocat du diable Adama Gaye ». Un titre qui témoignait, par ailleurs, le fait que vous avez été délaissé par bon nombre de personnes allant jusqu’à remettre en cause votre statut de journaliste. Qu’avez-vous ressenti à l’époque, derrière les barreaux ?

Il y a beaucoup de journalistes au Sénégal avec lesquels je ne souhaiterais pas partager le même métier. Et, il y a parmi eux des espions, des corrompus, certains qui ne savent même pas écrire, mais également d’autres qui ont été chassés de leur corps de métier d’origine. D’ailleurs, si ce sont ces gens-là qui déterminent maintenant l’appartenance au journalisme, j’ai peur pour cette profession dans ce pays. Quant à Mamadou Oumar Ndiaye, que je respecte depuis toujours, je pense qu’il a fait ce qui relevait de sa conscience parce qu’il était là dès le début et sait qui est journaliste et qui ne l’est pas. Et je suis persuadé qu’assis là où il était, en entendant certains propos à mon égard, il s’est dit : quels sont gens qui déblatèrent concernant Adama ? Beaucoup d’entre eux souhaiteraient avoir le parcours que j’ai. Maintenant, il y en certains qui sont allés trop loin et ils devront répondre devant la justice.

Toujours dans la foulée de cette polémique, un des medias comme « Jeune Afrique », dont vous avez été un collaborateur, s’est illustré dans le débat en vous classant hors du champ journalistique du fait que vous n’exerceriez plus la profession. Existe-t-il un contentieux entre vous et les administrateurs de ce media ?

Première chose. Je crains que M. Mehdi Ba ne soit pas dans le journalisme, mais dans l’écriture ethniciste. Lisez bien ses écrits ! Il a tendance à développer une culture très grave de l’ethnicisme. J’ai appelé le directeur de publication du ‘Jeune Afrique’ pour … D’une part, c’est comme si, aussi, il a une revanche à prendre sur mes écrits antérieurs et il a voulu profiter d’une circonstance pour écrire. Pour ce qui est des autres membres de ‘Jeune Afrique’, je crois qu’ils ont commis une grave erreur s’ils ont laissé passer ca. vous savez, moi, j’ai beaucoup fait pour ce media en y amenant des investissements à coup de millions d’euros. Mais en même temps, en toute modestie, j’y ai beaucoup appris. C’est pourquoi ce matin même, j’ai appelé le directeur de publication du ‘Jeune Afrique’ pour lui dire que je n’exclus pas de les poursuivre en justice pour que plus jamais on ne se permette de s’en prendre ad hominem à des gens pour faire plaisir à un pouvoir en place.

Sur le terrain politique, on note une certaine léthargie au sein de l’opposition sénégalaise depuis que le dialogue politique a commencé. Quelle lecture faites-vous de ce climat politique ?

Je dirais que c’est le pays lui-même qui est dans une situation de panne. Panne politique, panne sociale et économique. Tout ce qui est propre dans ce pays, c’est la musique et la danse s’accompagnant de formules et de tendances qui naissent à outrance. Et c’est cette médiocrité qui se reflète sur le champ politique et même sur le plan des idées à travers les débats qui sont engagés que je trouve quelques fois trop aériens pour concerner la marche et les enjeux du continent. L’exemple le plus récent est la querelle entre Souleymane Bachir Diagne et Boris Diop autour de Cheikh Anta Diop. Je rappelle que celui-ci porte le nom de mon grand père. Mais autant on peut parler de lui, autant on peut parler des morts dans les accidents, la criminalité montante, de la corruption, des détournements de deniers publics, des problèmes de santé, du monde paysan qui est dans le désarroi et de la capture du pays par l’étranger etc. Mais également, il est temps que l’on prenne du recul par rapport à la constitution du Sénégal dont on peut se servir comme on veut. Les processus électoraux sont intoxiqués, pour ne pas dire volés, et on sait enfin que les ressources naturelles du pays ont été bradées et perdues par les Sénégalais.

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