« C’ÉTAIT ELLE. JE LE SAVAIS SANS PARVENIR À L’EXPLIQUER »

Pour interpréter les personnages d’« Atlantique », son nouveau film, en salle le 2 octobre, la réalisatrice franco-sénégalaise a recruté des acteurs novices, qu’elle a trouvés au hasard dans les rues de Dakar et de sa banlieue

Fin 2017, avec l’aide de sa directrice de casting, Bahijja El Amrani, la réalisatrice Mati Diop se met à la recherche de jeunes figures qui pourront donner corps aux personnages qu’elle a imaginés dans le scénario de son film Atlantique. Ada, une adolescente amoureuse mariée de force à un homme qu’elle n’aime pas ; Souleiman, le garçon qu’elle désire et qui, un beau jour, disparaît ; Mariama, Dior et Fanta, les amies qui l’épaulent ; ou encore Issa, un jeune policier auquel elle sera confrontée…

« J’ai voulu que les comédiens soient en phase avec le contexte social de leurs personnages, explique Mati Diop. Pour moi, c’est une exigence morale : je me sens responsable vis-à-vis des personnes dont je prétends représenter les réalités. Je ne veux pas les trahir. »Ainsi, c’est sur un chantier qu’elle a rencontré Ibrahima Traoré et qu’elle l’a convaincu d’incarner Souleiman, un travailleur précaire et un amour fantôme qui hante le film.

Exercices de mise en confiance

« De la même façon, j’ai rencontré Nicole Sougou dans un bar où elle est serveuse et Aminata Kane dans une boîte de nuit », un univers nocturne familier à leurs personnages (respectivement Dior et Fanta). « Mais, à deux mois du début du tournage, manquait encore la perle qui pourrait interpréter Ada, l’héroïne. » Un jour, en repérage à Thiaroye, en banlieue dakaroise, Diop remarque dans la rue une jeune femme, Mama Sané, et l’aborde. Puis la revoit à plusieurs reprises. « C’était elle. Je le savais sans parvenir à l’expliquer, comme s’il y avait quelque chose de l’ordre du destin. »Pour convaincre les parents de la débutante, d’abord sceptiques, de laisser leur fille se prêter au tournage, un ami de son frère, sensible au cinéma, a joué les intermédiaires.

Toute cette troupe de novices de 18 à 25 ans s’est rassemblée dans un théâtre quelques jours avant le premier clap : exercices de mise en confiance, initiations pour vaincre sa timidité face caméra, jeux de mise en espace… Puis il a fallu passer à l’action. « Le plus difficile a été de faire comprendre à des acteurs aussi jeunes que des dialogues recèlent parfois un sous-texte, des doubles sens. D’autant que, s’ils comprennent le français, je ne parle pas le wolof dans lequel ils jouaient », confie Mati Diop.

C’est au Festival de Cannes, où le film a été présenté en Sélection officielle avant de repartir auréolé du Grand Prix, que toute la bande s’est recomposée après sept mois de montage. « C’était un moment magnifique. Nous étions dans la chambre de l’hôtel avec les filles. Une montagne de vêtements sur le lit. Mama s’endormait à côté des fringues et les autres revêtaient en s’extasiant tout ce qu’elles pouvaient essayer. Je tenais à ce que ces jeunes acteurs soient mis en valeur au maximum. » Au point que la réalisatrice, totalement dévouée à son équipe, a monté les marches à l’improviste, sans avoir pris le temps pour sa part de passer par la case coiffure et maquillage.

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