QUE DIABLE FAIT DONC LE RÉGULATEUR SAËR NIANG DANS CETTE GALÈRE ? Par M. O. NDIAYE

Le distingué directeur général de l’ARMP a raison : nous n’avons rien compris à la grande entourloupe qui a permis au gouvernement d’attribuer le marché de la distribution de l’eau dans nos grands centres urbains, et pour les 15 prochaines années, à Suez.

On nous pardonnera notre ignorance. Certaines choses sont en effet tellement complexes qu’elles ne sont pas compréhensibles par le commun des mortels que nous sommes. Et tant pis pour nous autres pauvres zouaves qui n’avions qu’à aller dans les plus grandes universités du monde où ces distingués experts ont fait leurs humanités. Ah la démocratie, foutu système qui permet à des manants de se prononcer sur des choses auxquelles, sous d’autres règnes, ils n’oseraient même pas s’intéresser. A plus forte raison prétendre donner leur opinion ! Or voilà que, pauvres diables et grands imbéciles, nous confondons allègrement prix et coûts. Plus grave, nous mélangeons le prix auquel l’opérateur va être rémunéré avec celui auquel le client va acheter l’acheter l’eau qu’il consomme. Et l’on se permet, dans ces conditions, de nous mêler d’un débat auquel nous ne comprenons que dalle.

Saër Niang, le distingué directeur général de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), a raison : les grands ignorants que nous sommes doivent se taire. Pour cause, ils n’ont rien compris aux calculs sophistiqués — à la grande entourloupe devrait-on dire plutôt ! — qui a permis au Gouvernement d’attribuer le marché de la distribution de l’eau potable dans nos grands centres urbains, et pour les 15 prochaines années s’il vous plait, à la multinationale française SUEZ. Comme le veulent les Occidentaux, les ONG et autres chantres et vigies de la bonne gouvernance, aujourd’hui, pour n’importe quel marché, en particulier lorsqu’il met en jeu des centaines de milliards de nos francs, il faut évidemment lancer un appel d’offres qui peut être soit national soit international. Le but étant d’offrir les meilleurs prix possible, en tout cas le meilleur rapport qualité/prix. Et donc d’éliminer la surfacturation. Pour le plus grand bénéfice du consommateur et du contribuable, bien sûr. En l’occurrence, il s’agissait d’un appel d’offres international, les bailleurs de fonds contribuant énormément au financement de notre secteur hydraulique. Schématiquement, cet appel d’offres comportait deux étapes : une technique à l’issue de laquelle trois soumissionnaires ont été qualifiés à savoir la Sénégalaise des Eaux (SDE), qui distribuait l’eau potable en milieu urbain dans notre pays depuis 1996, SUEZ et VEOLIA. A partir de ce moment, c’est l’offre financière, c’est-à-dire le prix auquel le mètre cube d’eau était vendu au consommateur, qui devait départager les trois concurrents encore en lice.

A l’ouverture des prix, la SDE propose un prix du mètre cube à 286 francs. Elle est suivie par Suez qui, elle, dit vouloir vendre le même volume d’eau à 298 francs. Soit 12 francs de différence pour le mètre cube ! Veolia suit très loin avec 366 francs. A partir de ce moment, on se dit que la cause est entendue et que la SDE remporte le marché. Attendez, heu, vous n’avez absolument rien compris : ne confondez surtout pas prix et coûts ! Et puis, il y a des éléments qui entrent dans le calcul du prix que vous, profanes, n’avez pas et que, de toutes façons, vous n’êtes pas fichus de comprendre. Par conséquent voilà : bien que la SDE ait proposé un prix du mètre cube d’eau plus bas, le gagnant c’est…le soumissionnaire arrivé deuxième en termes de prix ! C’est-à-dire SUEZ. Circulez, il n’y a plus rien à voir. C’est comme ça et nous n’allons pas perdre de temps à vous expliquer parce que, de toutes façons, c’est trop compliqué pour entrer dans vos petits cerveaux.

Vessies de la magouille et lanternes de la transparence !

Dans cette affaire que d’aucuns ont qualifiée de « scandale du siècle », plus gravissime encore que celui « à 12 milliards de dollars » du pétrole et du gaz sénégalais, le Gouvernement a toujours insulté l’intelligence des Sénégalais en prétendant leur faire prendre les vessies de ses magouilles pour des lanternes de transparence. Car c’est justement parce que nous sommes idiots au point de regarder le doigt du sage lorsqu’il nous montre la lune que nous n’arrivons toujours pas à comprendre qu’une société moins-disante ait été écartée au profit, excusez le néologisme, d’une autre « plus disante » ! Et au cas où nous ne le saurions pas, le très avenant Saër Niang, directeur général de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), vient fort heureusement de nous rappeler que nous sommes des nigauds qui ne comprennent rien à rien.

Des crétins intégraux, quoi ! A des confrères de la Petite côte qui avaient eu l’insolence de l’interroger ce weekend à propos des conditions surréalistes dans lesquelles le marché de l’eau a été attribué à Suez au détriment de la SDE, notre homme a pris la mouche. «C’est un dossier qui a atterri chez nous à la suite d’un contentieux. Ce qui a été dit dans la presse n’est pas conforme à la réalité… Car un prix est un chiffre, mais un coût est une structure de procédure. Le prix proposé par la Sde est moins élevé que le prix affiché par Suez, mais dans le calcul du ministère de l’Hydraulique tel que nous l’avons vu, les coûts ne sont pas les mêmes. En réalité, le coût de Suez n’est pas plus élevé que celui proposé par la Sde. On a cru que le prix avancé par la Sde est celui que va payer le citoyen sénégalais, mais en réalité ce n’est pas cela. Il s’agit du prix auquel l’opérateur va être rémunéré. Donc, cela n’a rien à voir avec le prix que le client va payer, même s’il est vrai que le prix de rémunération de l’exploitant a une incidence sur le prix que va payer le consommateur. C’est un dossier complexe. C’est pourquoi les gens doivent savoir raison garder d’autant que le dossier est pendant devant la Cour Suprême. » Bref, le prix de la SDE est moins élevé que celui de SUEZ, certes, mais les coûts de cette dernière société, eux, ne sont pas plus élevés que ceux de la SDE. Vous y avez compris quelque chose, vous ? Nous, non ! Mais c’est justement parce que nous sommes des crétins incapables de comprendre des choses aussi complexes que le « calcul du ministère de l’Hydraulique » auquel fait référence ce bon vieux Saër Niang. C’est sans doute d’ailleurs en vertu d’un calcul aussi complexe, en tout cas aussi bizarre, que celui du ministère de l’Hydraulique que la durée du mandat du même Saër Niang à la tête de l’ARMP a joué les prolongations. Car les deux mandats de trois ans étant échus depuis longtemps, et son successeur ayant été choisi suite à un appel à candidatures, notre homme demeure toujours en place deux ans après la fin de sa mission.

Les calculs du ministère de l’Hydraulique sans doute ! Ne disposant pas d’ordinateurs aussi sophistiqués que ceux de ce ministère et ne maitrisant pas les algorithmes que manient avec une si belle aisance ses têtes d’oeuf, que l’on nous permette juste, à notre humble niveau, de faire 2 + 2 = 4 et de procéder à des additions et à des soustractions pour voir ce que la venue de Suez va coûter aux consommateurs que nous sommes ! D’après une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, rien que sur les branchements au réseau d’eau, Suez va gagner sur notre dos en 15 ans 73 milliards de francs. Explication : alors que ce branchement est facturé 99.000 francs par la SDE, SUEZ, elle, va réclamer 239.000 francs pour la même opération. Vous vous demandez sans doute d’où ces chiffres sont-ils sortis ? Eh bien, du compte d’exploitation prévisionnel de SUEZ qui figurait dans les documents annexes transmis par M. Saer Niang, justement, à toutes les parties prenantes du recours déposé devant ses services ! D’autres exemples ? Eh bien, selon cette même vidéo, la différence entre la facture d’eau moyenne annuelle acquittée par ménage sous la SDE et celle qu’il paiera sous Suez est de 20.880 francs. Si on multiplie par le nombre d’abonnés et sur 15 ans, cela fera 42 milliards. Entre les branchements et nos factures, SUEZ nous pompera donc 115 milliards supplémentaires sur 15 ans. Et ça, ce ne sont pas les fameux calculs du ministère d l’Hydraulique !

Un magot supplémentaire de 115 milliards en 15 ans, qui dit mieux ?

Les pauvres consommateurs que nous sommes, qui allons devoir payer plus cher l’électricité à partir de ce mois-ci soit dit en passant, seront encore obligés de sortir plus de blé pour nous procurer de l’eau. Et là, c’est vraiment les prix qui vont augmenter et non pas les coûts, n’est-ce pas M. Saër Niang ? Car encore une fois, en plus de devoir payer le mètre cube d’eau 12 francs plus cher, nous allons aussi devoir casquer beaucoup plus cher pour avoir droit désormais —au cas où la « victoire » de Suez serait confirmée par la Cour suprême — pour avoir droit à un branchement d’eau. Mais le plus grave sans doute dans les déclarations de Saër Niang, c’est qu’elles interviennent alors que le recours de la Sénégalaise des Eaux contre l’ARMP, et donc contre lui, est toujours pendant devant la Cour suprême. Laquelle a certes débouté la société d’eau dirigée par M. Abdoul Baal de sa requête visant à obtenir la suspension de l’attribution provisoire à Suez du marché de la gestion par affermage de la distribution de l’eau dans les villes du Sénégal pendant les 15 prochaines années. Mais quand même, le dossier n’a pas encore été examiné sur le fond par la Cour suprême.

Autrement dit, l’affaire est toujours pendante et le patron de l’ARMP aurait donc dû s’abstenir de se prononcer aussi profondément qu’il l’a fait sur ce dossier. Au risque d’apparaître comme un allié objectif de la Saint-Louisienne des Eaux, ce regroupement de Ndar-Ndar composé de l’ancien ministre de l’Hydraulique, Mansour Faye, du patron de l’hôtel Sindoné (un établissement dans lequel les gens de Suez ont leurs aises !), Papy Ndiaye, du Dg de la Sones, Charles Fall, et — on n’ose pas dire — du patron de l’Armp. Saër Niang a sans doute dû oublier qu’il est un régulateur — par conséquent tenu à être équidistant — et non une partie à ce contentieux. Mais bon, la dernière manche se joue au niveau de la Cour suprême, ayons la patience d’attendre que cette haute juridiction rende son oracle. Encore qu’elle n’ait jamais habitué les Sénégalais, cette Cour, à faire preuve de hardiesse…Mais n’est-il pas permis de croire aux miracles ?

Le Témoin

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