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A travers deux réformes fiscales glissées dans la loi de finances initiale 2020, l’Etat est sur le point de taper durement sur les entreprises assujetties à la Contribution globale unique

Alors qu’on n’a pas fini de parler de la hausse des prix de l’électricité, certains spécialistes mettent déjà en garde contre une hausse beaucoup plus générale dans les semaines à venir. En effet, dans la loi de finances initiale pour l’année 2020, il a été glissé deux réformes de la Contribution globale unique (CGU) qui pourraient avoir des effets destructeurs sur le pouvoir d’achat des Sénégalais, déjà très approuvés par la cherté de la vieIl s’agit, d’une part, de changer le mode de calcul de la CGU. D’autre part, de mettre en place un prélèvement de conformité fiscale de 12 % sur les biens importés.

Si la première mesure ne pose pas de problèmes particuliers, la seconde suscite moult commentaires auprès des experts. ‘’Cela pourrait générer une inflation, puisque les concernés risquent de répercuter cette hausse, que je trouve assez élevée, sur le prix des biens. Cette mesure, qui s’applique à toutes les entreprises éligibles à la CGU, risque ainsi de causer une augmentation de tous les produits qui sont importés au Sénégal. Ça risque de soulever des controverses prochainement’’, a soufflé un inspecteur des impôts et domaines, à l’occasion d’un atelier organisé par le Centre d’études et de recherches sur l’ingénierie juridique et financière (Cerif).

Regroupant 6 catégories d’impôts, la CGU a surtout été mise en place pour une meilleure prise en charge des acteurs du secteur informel. Instituée en 2004, elle est calculée suivant le chiffre d’affaires des entreprises assujetties. ‘’Malheureusement, indique l’inspecteur, depuis sa mise en place, elle n’a pas donné les résultats escomptés. C’est pourquoi l’Etat a entamé sa réforme’’.

L’autre changement, en ce qui concerne toujours la CGU, porte sur le mode de calcul qui devrait passer d’un barème progressif par tranche à un barème proportionnel, pour déterminer le montant que doivent payer ces contribuables. ‘’EnQuête’’ a tenté de joindre certains commerçants pour avoir leur point de vue sur la question. Mais ces derniers semblent ignorer tout de cette nouvelle réforme de la fiscalité, dont la mise en œuvre semble pourtant imminente.

‘’C’est vous qui me l’apprenez’’, rétorque le directeur exécutif de l’Unacois Yessal, Alla Dieng, à propos du nouveau prélèvement de 12 % sur les produits importés. A l’en croire, l’Etat devrait d’abord penser à évaluer les impacts de la CGU instaurée depuis les années 2000 et dont les négociations avaient démarré sous le règne socialiste. ‘’J’en avais parlé à l’ancien ministre du Budget Birima Mangara, qui avait salué la proposition, mais il ne l’a jamais fait, à ma connaissance. Il faut évaluer pour savoir s’il faut continuer, reculer ou arrêter. Moi, j’ai participé, récemment, à des ateliers sur l’élargissement de l’assiette fiscale, mais on n’a pas abordé ces aspects’’, a-t-il précisé.

En attendant cette évaluation qu’il appelle de tous ses vœux, M. Dieng signale que, du côté des membres de sa structure assujettie au paiement de la CGU, le sentiment le plus partagé est la satisfaction. Toutefois, s’empressent de préciser d’autres témoins, beaucoup d’acteurs de l’économie informelle échappent encore à cette taxe qui leur était, principalement, destinée. ‘’Le hic, c’est que tout le monde ne paie pas la CGU. Nombre d’entreprises qui devaient s’acquitter de cette taxe parviennent à passer entre les mailles du filet. Je peux vous assurer que l’assiette pouvait être plus importante. Le Sénégal pourrait doubler, voire tripler ses recettes fiscales, si tous les assujettis payaient leur impôt. Les responsabilités sont partagées. Certains ne paient pas tout simplement parce qu’on ne leur demande pas’’, reconnait un commerçant.

Ces lobbies qui tiennent le fisc

Ce qui est sûr, c’est que l’Etat a plus que jamais besoin de recettes supplémentaires pour pouvoir faire face à un service de la dette de plus en plus élevé. Malgré les sorties des différents services du ministère des Finances pour relativiser l’endettement du Sénégal, certains indices démontrent le contraire.

En effet, il ressort de l’analyse des chiffres du budget national que les 200 milliards de francs CFA environ que gagne l’Etat chaque année ne permettent même pas de payer les intérêts de la dette évalués à 364 milliards de francs. Pendant ce temps, selon les variations, 34 à 17 % des recettes fiscales sont destinés aux investissements sur ressources internes, 30 % au paiement de la masse salariale… Ce qui signifie que l’Etat est encore contraint à s’endetter pour financer le développement. Ce, même si le ministre en charge de l’Economie, Amadou Hott, dit fonder beaucoup d’espoir sur les partenariats publics-privés pour renverser la tendance.

Mais l’espoir est permis, à condition que des efforts soient déployés pour améliorer le taux de pression fiscale, qui tourne autour de 15 %, c’est-à-dire largement en deçà du taux de 20 % prévu par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Dans les pays développés, ce taux tourne même, en moyenne, autour des 35 %. Ce qui signifie que le Sénégal a encore un gap assez important à résorber, s’il tient à trouver davantage de ressources propres pour le financement de ses politiques.

Paradoxalement, pendant que l’Etat manque, de façon criarde, de recettes, d’énormes pertes sont enregistrées au titre des exonérations et des cadeaux illégalement octroyés par l’Etat à certains secteurs. Il en est ainsi de la suppression de la taxe de 40 F sur les exportations de produits arachidiers. Cette disposition légale, destinée notamment à protéger la Sonacos, a été mise entre parenthèses, à l’issue d’un conseil des ministres, alors que cela entre dans le domaine de la loi. De même, alors que plusieurs entreprises du secteur extractif s’acquittent d’une redevance de 5 % prévue par la loi, l’Etat, par le biais réglementaire, accorde un régime dérogatoire aux cimentiers qui paient 1 % au titre des redevances. Ce qui est aberrant, selon nombre d’observateurs.

Au chapitre de ces acteurs gâtés par l’Etat du Sénégal, il y a, outre les cimentiers, les acteurs du tourisme. Là également, le gouvernement a foulé aux pieds les normes de l’UEMOA pour plaire aux acteurs du secteur, dont le magnat Racine Sy. En effet, parmi les secteurs qui peuvent bénéficier d’une TVA en deçà du seuil minimal de 15 % prévu par l’UEMOA, le tourisme n’en fait pas partie. Ainsi, pour ce qui est surtout des deux premières violations listées, au-delà de la responsabilité des autorités étatiques, celle des agents de l’Administration des impôts, aussi, se pose avec acuité. En effet, plusieurs décisions de justice ont fini de consacrer le principe selon lequel nul n’est tenu d’obéir à un ordre illégal.

Et comme pour ne rien arranger, il y a la Zone de libre-échange économique et commerciale qui arrive à grands pas et qui pourrait entrainer des pertes de recettes importantes, si l’Etat ne prend pas à temps les dispositions adéquates. L’entrée en vigueur de cet accord prévu en juillet prochain, pourrait, en effet, porter un coup dur aux recettes douanières qui tournent entre 700 et 800 milliards de francs CFA.

Enquête

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