Dans les secrets de vie des malades du Coronavirus

Hospitalisés au Centre de traitement des épidémies (Cte) de Thiès, des malades infectés par le Covid-19 vivent déjà l’angoisse de passer la Tabaski loin de leurs familles. «L’Obs» a fait une immersion au centre pour déceler les secrets de vie des malades contaminés par le Coronavirus.

A l’entrée du Centre de traitement des épidémies (Cte) de l’hôpital régional Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès, Dr Amina Dia Guèye s’apprête à aller visiter les malades du Covid-19. Chaussée d’une paire de bottes, elle porte un équipement de protection de couleur bleue. Un masque sur le nez, elle a couvert son visage avec un autre masque en plastique transparent. Il est 14h. Le déjeuner doit être servi aux malades. Sur la porte d’entrée, il est affiché Zone rouge en gros caractères. Une salle est aménagée pour permettre aux agents de santé de porter des équipements de protection avant d’accéder au centre. Tout un dispositif sanitaire est mis en place afin que le virus ne s’échappe pas du centre. Le sacerdoce chevillé au corps, Dr Amina Dia Guèye fait son travail avec passion. Elle frappe énergiquement à la porte d’entrée.

Quelques minutes plus tard, elle s’ouvre. Elle fait entrer des bouteilles d’eau de 10 litres. Elle tient entre les mains des masques de rechange destinés aux malades du Coronavirus. La porte se referme solidement derrière elle et son visiteur du jour, camouflé dans un équipement de protection individuelle (Epi). Elle guide nos pas pour le reportage. Dr Amina Dia Guèye démarre ses visites dans les différentes salles d’hospitalisation où les malades sont en train de déguster un bon yassa au poulet. Le centre de traitement est proprement entretenu. Des kits de lavage des mains et du savon liquide sont positionnés dans la cour. Justin, homme métissé, perché sur ses 70 ans, est couché sur son lit d’hospitalisation.

Torse nu, teint café au lait, le septuagénaire Franco-Sénégalais porte une culotte rouge qui lui arrive aux genoux. Deux tuyaux de générateur d’oxygène sont pincés à l’intérieur de son nez afin de lui faciliter la respiration. Les cheveux blancs, l’homme porte bien son âge. Il hoquette puis pleure à l’idée qu’il va passer la Tabaski à l’hôpital. Son épouse qui est une Française infectée aussi par le Covid-19, tente de le consoler. «Il ne faut pas pleurer mon amour», lui lance-t-elle. Mais Justin finit encore par craquer. «Je suis chrétien, mais j’ai payé le mouton de Tabaski depuis 15 jours pour célébrer la fête à la maison à Saly. Mon fils va arriver cette nuit (avant-hier, Ndlr) par un vol spécial d’Aix-en-Provence. C’est un métisse né à Dakar. Il s’est converti à l’Islam, alors qu’il n’avait que 18 ans. Il y a aussi notre ménagère qui est musulmane. C’est pourquoi on célèbre la Tabaski comme tout le monde», confie-t-il.

Il est soudainement pris par un léger spasme. Il hoquette. Son épouse blanche lui tapote le cœur pour l’apaiser. Il se calme. «Je ne vais pas dire que je vais bien. Ce serait un gros mot sinon je serai à cette heure de l’après-midi à la plage en train de me baigner», dit-il avec un brin d’humour. A peine cette phrase lâchée, il recommence encore à verser des larmes. «Je suis revenu en vacances au Sénégal le 1er mars dernier. Et cela fait 30 ans que je n’avais pas posé les pieds au Sénégal. Je suis resté en France ces 3 décennies. La maladie a attendu que je sois de retour au pays pour me clouer au lit. Pendant tout notre séjour à Saly, mon épouse et moi avions toujours respecté scrupuleusement les mesures barrières, notamment la distanciation physique, le port du masque, le lavage systématique des mains avec du savon, le confinement à la maison. Mais nous ne savons vraiment pas où nous avons chopé le virus. Je ne comprends toujours pas. Avec mon épouse, on a cherché mais on ne sait pas du tout», confie-t-il.

«Pourquoi j’ai refusé le rapatriement que la France m’a proposé avec mon épouse…»

La France a proposé à Justin et à son épouse un rapatriement vers leurs terres d’origine, mais ils ont refusé. «Je n’ai pas voulu repartir en France. Le pays veut me prendre mais j’ai confiance aux médecins du Sénégal. Le Sénégal, c’est mon pays. J’y ai tout fait. C’est peut-être pour cette raison que le pays m’a retenu. Le Sénégal ne veut pas que je reparte en France», souligne-t-il. Le Franco-sénégalais révèle qu’il a animé des émissions radiophoniques à la Radio télévision Sénégalaises (Rts) pendant 10 ans, dans les années 60, avant de partir pour la France. «Je suis contemporain de Sokhna Dieng à la Rts, d’Abdoulaye Sylla». Arrivé au centre depuis le 23 juillet, le vieil homme ne cesse de remercier l’équipe médicale qui a mis tout en œuvre pour que les patients soient dans de très bonnes conditions. «Nous étions bien suivis à Saly. Mais Dr Djibril de Mbour nous a dit qu’il faut nécessairement que nous soyons évacués à l’hôpital régional de Thiès pour de meilleurs soins. Le voyage à bord de l’ambulance de l’hôpital de Mbour a été éprouvant. On a beaucoup souffert parce qu’on était très affecté par la maladie», apprend-il. Le couple franco-sénégalais signale avoir été bien accueilli par l’équipe médicale de gestion des épidémies. «Il y a un personnel médical diligent et attentif à nos préoccupations. Je suis vraiment impressionné par leur promptitude et leur efficacité à satisfaire nos besoins», argue-t-il. Justin souffre atrocement avec la forte chaleur d’hivernage qui déverse ses effluves de plomb dans la chambre d’hospitalisation du couple.

«Quand j’ai appris que j’ai le Coronavirus, j’ai voulu m’enfuir dans la forêt…»

Après avoir visité le couple Français, Dr Amina Dia Guèye continue dans les autres salles d’hospitalisation pour donner aux malades leurs médicaments. Elle pose souvent des questions à ses malades afin de s’enquérir de l’état de leur santé. Dr Guèye prend tout son temps pour les réconforter au mieux. Un silence de cathédrale règne dans l’enceinte du centre de traitement. Assise sur son lit d’hôpital, Fatou Diop a été internée, samedi dernier, au centre de traitement des épidémies. Elle vient de la commune de Sandiara dans le département de Mbour. La dame se fait beaucoup de soucis pour sa grossesse. «J’ai été contaminée par un membre de ma famille. Je suis un cas contact. Je ne ressentais rien, mais on m’a fait faire les tests en tant que contact. Les résultats sont revenus positifs. Quand les médecins m’ont dit que je vais être conduite à Thiès, je leur ai demandé si je pouvais rester à la maison. Je leur ai dit que si je quitte le village, les gens vont sûrement dire que j’ai le Covid-19. Je ne voulais pas qu’ils le sachent. J’ai même voulu m’enfuir dans la forêt. J’avais honte à cause de la stigmatisation. Les médecins m’ont finalement convaincue de la nécessité de venir me soigner à Thiès», souligne-t-elle. Engoncée dans un ample boubou, elle se surprend à rire d’elle-même. «Aux premières heures de mon hospitalisation, je pleurais beaucoup. J’étais très stressée et très triste. Mais les membres de l’équipe médicale m’ont beaucoup remonté le moral. On me donne tout ce que je désire. Je ne regrette pas d’être venue ici. L’équipe médicale est composée d’agents de santé formidables et disponibles. Nous sommes si bien traités que nous avons l’impression d’être dans nos maisons. On ne manque de rien. On nous sert des repas succulents», signale-t-elle. Les yeux rivés sur le poste téléviseur accroché au mur, la patiente de Sandiara prie pour que sa maladie n’affecte pas sa grossesse. «Quand mes parents m’appellent, ils prient pour que je guérisse et également que j’aie des jumeaux. Mon seul souci, c’est ma grossesse», indique-t-elle. Fatou regrette de ne pouvoir passer la Tabaski auprès de son époux et de ses enfants. «J’aurai bien aimé passer la Tabaski auprès de ma famille. Mais c’est la volonté divine. On s’en remet à Dieu. Mon mari me manque beaucoup», note-t-elle.

«Je ne pensais pas que je passerai la Tabaski sur un lit d’hôpital…»

Couchée sur l’autre lit, Ndoumbé Ndiaye a été évacuée, samedi denier, du district sanitaire de Khombole au Centre de traitement des épidémies de Thiès. Souffrant d’une plaie à la jambe, elle s’était rendue à la structure sanitaire de sa commune pour y recevoir des soins. «Le médecin avait commencé à soigner ma plaie. Mais j’ai senti des maux de tête terribles. Il m’a fait le test puisque je présentais les symptômes de la maladie. Les résultats sont revenus positifs. Il m’a dit que j’allais être évacuée à l’hôpital régional de Thiès. Je n’y ai trouvé aucun inconvénient. J’ai accepté mon sort. C’est mieux de passer la Tabaski à l’hôpital que de rester à la maison et contaminer les autres», indique-t-elle. Elle fera remarquer qu’elle ne tousse plus et ne crache plus. «Je me sens mieux. Les médecins nous traitent bien. Et on mange bien», dira-t-elle.

Dans la chambre suivante, Malèye Ndiaye est avec deux autres patients. L’homme a été terriblement diminué par la maladie. Il porte un sous-vêtement blanc. Il vient du quartier Diamaguène de Joal Fadiouth. «Je rends grâce à Dieu. Je devais tomber malade. Je ne pensais pas que je passerai la Tabaski sur un lit d’hôpital. J’ai déjà acheté mon mouton. Je reconnais que c’est pénible de passer la fête loin des siens», dit-t-il. Interné depuis vendredi dernier au centre de traitement, Malèye a pris avec philosophie sa maladie. Les appels téléphoniques des membres de sa famille le réconfortent beaucoup et lui donnent assez de ressources physiques pour ne pas se laisser vaincre par la maladie à Coronavirus. Dr Amina Dia Guèye lui donne des médicaments et un masque neuf. Très attentive, elle surveille ses patients pour qu’elle les avale. Quelques cas graves sont sous respirateurs d’oxygène. Tout heureux de pouvoir passer la Tabaski auprès des siens, Médoune, la trentaine, attend de subir un second prélèvement avant d’être fixé sur son sort. Son premier prélèvement effectué 24h plus tôt est négatif. Si le second l’est aussi, il sera autorisé à rentrer chez lui. Oisif, il traîne ses savates entre sa chambre et la cour. Dr Madoki Diop, Pr Sylvie Diop, Dr Fulgence Abdou Faye, Dr Amina Dia Guèye et d’autres agents veillent sur la santé des internés du Cte de Thiès. A la porte de sortie du centre, un agent du service d’hygiène dicte les consignes à suivre pour se débarrasser de l’équipement de protection individuelle (Epi) jeté à la poubelle après son unique usage. Dans les autres pavillons de l’hôpital régional, le remue-ménage des visiteurs perturbe la quiétude des malades.

igfm

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