Reportage I Tamba Socé: Un village aux fondements fantastiques
Tamba Socé, premier village de Tambacounda ? Les versions glanées çà et là ne permettent pas de donner une réponse implacable ni une date de création. La subjectivité d’une partie l’affirme avec force tandis que la prudence d’une autre ancre le flou. Toutefois, il est admis qu’à l’arrivée du train, qui a embarqué ou attiré plus tard les populations, c’était le seul village qui existait dans la zone.
C’est un havre de paix. Il y ressemble fort bien en tout cas. C’est à 5 km du sud-est de la ville de Tambacounda, à quelques mètres du grand rond-point à la sortie de la région vers Kolda, que l’on retrouve ce village. Sur le bas-côté droit de l’avenue Léopold Sédar Senghor, une ruelle bordée de maisons en dur et d’une grande mosquée en construction trompe sur l’aspect du bled. En y pénétrant, le visiteur admire le charme vintage des cases, des maisons en dur éparses et des bêtes errant. Tamba Socé bruit par sa quiétude. Cette atmosphère sereine renvoie aux légendes de sa création, tout comme elle détonne du lot d’histoires qui charge les lieux.«Les deux chiens avaient prédit que ce serait un village de paix et de tranquillité qui ne connaîtrait jamais de remous», partage Mamadou Diatta, chef du village de Tamba Socé.
Ses ancêtres ainsi que les deux chiens dont il parle seraient aux origines de la création de Tamba Socé, premier village à recevoir les premiers habitants de Tambacounda. Selon le chef de ce village de presque 3.000 âmes, les premiers habitants sont des Mandingues de Kontokoto, près de Diaalali, un village actuellement situé à Bakel, à 100 kilomètres du site. «Deux chasseurs, les frères Diawara, suivaient des gibiers jusqu’à atteindre cet arbre sous lequel ils se sont prélassés. Leur petit somme a été perturbé par la discussion de deux chiens», relate M. Diatta. Ce dernier précise qu’à cette époque, les chasseurs étaient doués pour déchiffrer les communications des animaux. La légende admet que les chiens prédirent que les terres autour de cet arbre seront bénies, fécondes et ne connaîtront jamais de guerre. Ébahis, les deux frères Diawara sont retournés à Kontokoto pour avertir les sages de leur prodigieuse trouvaille. A leur retour, l’assemblée du village a été convoquée et une délégation constituée pour aller vérifier les dires des deux jeunes chasseurs. La cohorte était dirigée par Tamba Waly en personne, chef de Kontokoto. Après avoir marché dans la forêt et suivant les marques de reconnaissance soulignées par les frères Diawara, la procession atteint l’arbre sous l’ombre duquel s’étaient passés les échanges canins. Les sages et les prêtres, après examen, ont confirmé la justesse de la prédiction des deux chiens.
«Le chef de Kontokoro, Tamba Waly, s’approche alors de l’arbre et décide d’appeler le village Tambacounda, qui signifie en mandingue «chez Tamba». Ainsi naquit le tout premier village de Tambacounda», raconte Mamadou Diatta, qui ajoute que c’est après cet épisode qu’ils sont retournés à leur village pour préparer une grande quantité de couscous et entamer un déménagement qui dura un mois.
Des chiens à l’origine de certains villages
Sur un ton prudent qui élague fables et exclusivité, Mountaga Dabo reconnaît, toutefois, que Tamba Socé a bel et bien joué un rôle fort considérable dans le peuplement du Sénégal oriental (Tambacounda). «C’est dans ce village que les responsables de la gare faisaient les recrutements pour les chemins de fer. C’était le seul village qui se trouvait dans la zone au moment du démarrage des activités ferroviaires. Les populations venaient travailler le matin pour rentrer le soir. Avec le temps, certains ont fini par s’installer définitivement», affirme l’ancien instituteur et par ailleurs ex-collaborateur extérieur du quotidien national «Le Soleil». Il admet également l’existence de la légende selon laquelle les chiens étaient à l’origine de la fondation de certains villages dans le sud.
Mady Ndiaye emprunte pareillement cette circonspection. Selon le guide touristique et animateur d’émissions culturelles à Rts Tamba, il y a une autre version, hormis celle fantastique sur les chasseurs, qui dit que le premier habitant serait le Malien Moriba Diakité. Cependant, selon Mountaga Dabo, «ce Moriba Diakhité» est le premier chef de village nommé par les colons. Certains traits de leurs interventions rejoignent quelque peu des versions de Mamadou Diatta. «Quand le gérant blanc de la régie du chemin de fer a demandé à son interprète qui étaient les gens de ce village, celui-ci lui a répondu qu’il s’agissait des Mandingues de Tambacounda. Le Toubab, qui ne connaissait pas encore cette ethnie, a marqué un air interrogatif et l’interprète a précisé : «Ça veut dire Socé». Ensuite, le commandant blanc est venu ici, puisqu’ils étaient les seuls habitants, pour avertir les notables qu’ils allaient construire une gare. Il a finalement décidé que le village s’appellerait Tambacounda Socé pendant que la zone qui allait accueillir les infrastructures s’appellerait Tambacounda Gare», retrace l’actuel chef du village de Tamba Socé.
Avec le rail, des populations sont venues à Tambacounda pour des activités commerciales ou pour trouver du travail de cheminot. Ces flux migratoires n’ont pas épargné Tamba Socé qui polarise aujourd’hui beaucoup de villages créés par ses ressortissants. Il y a notamment Djinkoré, Sitawoulé, Sibikili, Saré Alaaji jusqu’à des villages de Gouloumbou situés à 30 km. «Dans tous ces villages, aussi loin soient-ils, quand on doit marier une fille, c’est ici qu’on doit demander la permission. Pendant toutes les fêtes ou évènements sociaux, nous appliquons nos rites. Nous ne pouvons pas nous en départir. C’est valable pour les mariages, les rites des circoncis dans le bois sacré, etc. Maintenant, presque toutes les ethnies sont là. Mais, les notables répondent aux noms de Diawara, Diatta, Waly et Kamara», explique Mamadou Diatta. Si Tambacounda Socé est encore ce pôle de convergence pour ces villages, c’est moins pour son aspect historique que le lot de légendes et de considérations mystiques qu’il engrosse.
La belle fille ou le plus beau garçon sacrifié pour le salut
C’est à mi-chemin entre les habitations et les champs, à l’arrière-village, qu’on retrouve ce monticule qui engloutit âmes et fantasques. Tato est le nom donné à cette butte particulière. A l’époque, des sacrifices humains s’y organisaient pour préserver la paix et le prestige du Tambacounda Socé. Des ossements humains y sont encore visibles d’ailleurs. «On prenait la plus belle fille du village, ou bien exceptionnellement le plus beau garçon du village pour l’offrir en sacrifice aux génies du village. Il ou elle devait avoir 20 ans ou moins.On les mettait debout et les cimentait d’argile et de boue sur tout le corps jusqu’à ce qu’ils meurent en s’asphyxiant», narre le chef du village, Mamadou Diatta, sur un ton totalement ordinaire. L’élu(e) n’avait aucune possibilité de refuser. Au contraire, c’était un honneur et un bonheur d’être choisi. «La famille considérait ce choix comme un insigne privilège. Elle était flattée de donner son enfant, messie de toute une communauté.C’est le génie lui-même qui le désignait», accorde Mamadou Diatta. Tandis que l’un des reporters du «Soleil», interloqué, cache mal son choc en tenant un os humain, le photographe, les yeux effarés, est aussi transi d’ahurissement. Le chef de village, ricanant à brûle-pourpoint, semble se moquer de leur surprise. Tout en signalant que l’Islam les a départis de ces pratiques, il souligne que les autochtones gardent jalousement ce site et n’accepteraient en aucun cas que ce soit «profané».
Dialang koto, l’arbre où s’était défini le destin d’une communauté
L’arbre est contigu au centre de santé du village. Le tableau est comme pour révéler le paradoxe entre l’ancrage de Tamba Socé dans ses attentions fabuleuses et son espoir de progrès. C’est sous ce fromager que deux chiens auraient parlé des dispositions du coin pendant que les deux frères chasseurs s’y reposaient. C’est également à l’ombre de ce fromager fort tentaculaire et touffu que le chef Tamba Waly aurait baptisé Tambacounda à son nom. Mais, cet arbre cache bien d’autres secrets, d’après le chef du village, Mamadou Diatta. «Vous voyez les ruches qui pendent là ? C’est là où sont nos abeilles guerrières. C’est également ici qu’habitent notre serpent totem ainsi que les génies qui protègent le village», dit celui qui a hérité les secrets des anciens. Les abeilles guerrières auxquelles il fait allusion, sont les mêmes qui avaient combattu Mamadou Lamine Dramé quand il décida de venir islamiser Tamba Socé. C’est cette même armée d’abeilles dont disposaient plusieurs rois mandingues, parmi lesquels Mansa Kimintang Kamara du Niani, qui avait rabroué Lat Dior.
Sur un pan des racines saillantes du fromager, on distingue un orifice béant et strié de plusieurs hachures. «C’est là que nous faisons nos sacrifices. Nous y immolons les bêtes et y déposons les offrandes réclamées par les génies. De ce trou, sort le serpent-génie. Il vient récupérer tout ce qu’on peut déposer ici comme offrande dans une calebasse et va le remettre aux génies», soutient Mamadou Diatta, qui souligne que les génies n’ont pour seul interlocuteur que le chef du village. Il détiendrait une boîte d’allumettes où se reposent deux abeilles à travers lesquelles on active l’armée de ces insectes. Mais, selon lui encore, les autochtones ne sont pas exclus. Parfois, ce serait l’un d’eux qui reçoit le serpent chez lui ou fait le rêve de certaines indications avant de venir informer le chef du village. Il y a aussi un baobab au milieu du village où se tient l’assemblée des autochtones. «Nous avons une caisse de solidarité alimentée par les autochtones. Parfois, nous organisons de grandes ripailles et nous nous réunissons pour sensibiliser les plus jeunes sur les particularités de notre culture et de l’extrême nécessité de ne pas nous faire phagocyter par les allogènes», indique Mamadou Diatta.
Le Soleil