SUR LES TRACES DE SENGHOR, L’ÉLÈVE

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Le président et poète a fréquenté le Petit séminaire de Ngazobil de 1914 à 1922. Selon l’abbé Étienne Sène, cela a permis au jeune apprenant de mieux développer sa vie spirituelle, intellectuelle et communautaire. Découverte de ce lieu d’apprentissage

En cette période de l’année, la route Mbour-Joal, bordée par une flore verdoyante et des champs de mil et d’arachide en arrière-plan, offre un paysage féérique aux voyageurs. À trois kilomètres de Joal, après les villages de Mbaling, Warang, Nianing, Mbodiène et Pointe Sarène, le vaste domaine du séminaire de Ngazobil se dévoile à droite, juste en face de l’intersection de la voie menant à Nguéniène. Bien gardé et entouré de fils barbelés, il faut montrer patte blanche pour y entrer. Après une présentation au portail, le préposé à la sécurité nous indique que seul l’abbé Étienne Sène, directeur du Petit séminaire, est habilité à donner des informations. Le Petit séminaire Saint Joseph se trouve dans ce grand domaine boisé de l’église. Pour arriver au bâtiment principal, le véhicule roule encore près de deux kilomètres. Les locaux du séminaire, qui ont servi de première école au Président Léopold Sédar Senghor, trônent à côté du site de la première chapelle construite dans ce domaine en 1804.

En ce samedi 22 août, les lieux sonnent creux parce que les élèves sont libérés pour 10 jours. Le bâtiment principal qui a accueilli Senghor en 1914 est cerné par plusieurs variétés d’arbres bien entretenus. En contrebas de la cour de l’établissement, l’océan Atlantique se déploie dans toute sa grandeur et avec son éclat bleu. La salle de cours de l’ancien Président accueille d’autres écoliers, mais elle est laissée en l’état par les responsables pour conserver son authenticité, car servant souvent de lieu de pèlerinage. Comme lors du passage du jeune Léopold Sédar Senghor, le dortoir des pensionnaires se trouve toujours au premier étage. La cantine, elle, se situe dans un bâtiment non loin de la mer.

C’est ce cadre qui a accueilli l’enfant Senghor âgé de huit ans. Après avoir quitté son oncle maternel à Djilor, en 1913, Senghor est venu à Joal où il est confié au révérend père Dubois, de la mission catholique de Joal. Ce dernier s’occupe de lui une année avant de l’envoyer à Ngazobil. Il y a été admis en 1914. Le poète s’en souvient dans son œuvre « Poésie de l’action » : « À l’âge de 7 ans, il (mon père) m’enleva des bras de ma mère et de mon oncle pour m’envoyer à la mission catholique de Joal. Pendant un an, le père Dubois, un Normand, m’a dégrossi avant de me faire entrer à la mission catholique de Ngazobil, à 6 km au nord de Joal, sur les bords de l’Atlantique ».  Au passage de Senghor, les Noirs étaient minoritaires dans le collège. Il y avait en majorité des Européens, notamment des Français, des Libano-Syriens et des métis. « En somme, c’étaient des fils de bourgeois qui étaient à Ngazobil. Ils vivaient dans une relative harmonie. Il y avait des musulmans mêlés aux chrétiens. Ses parents ont très tôt choisi de l’envoyer ici ; ce qui n’était pas évident parce que le Sérère n’envoyait pas comme ça son fils à l’école. Son père a été courageux », confie abbé Étienne Sène, teint noir et grand de taille. Depuis, dit-il, Ngazobil a été pour la Petite-côte un centre de rayonnement spirituel et intellectuel, en plus des corps de métier, notamment l’imprimerie, la menuiserie et l’agriculture qui y étaient pratiqués. À l’époque de Léopold Sédar Senghor, l’enseignement était donné en français mais aussi en wolof, « des langues dans lesquelles on devait savoir lire et écrire pour enraciner les élèves dans les valeurs culturelles des terroirs ». C’est pourquoi Senghor parlait bien le français, le sérère ainsi que le wolof, même si jusqu’à six ans, il ne comprenait que sa langue maternelle, explique le religieux.

Le Président-poète a été reconnaissant concernant les connaissances et les valeurs apprises à l’école. Lors de son passage dans le sanctuaire du savoir, le 12 février 1970, il révéla : « C’est à Ngazobil que je suis formé intellectuellement. J’ai appris le français et le wolof en même temps, j’ai appris le latin de 1914 à 1922. Mais, j’ai appris autre chose à Ngazobil. J’ai appris à travailler de mes mains, le travail manuel. J’ai appris aussi à soigner les animaux, les lapins, les tourterelles. Et j’ai appris à aimer les animaux et les arbres ».

Avec le cadre qui place ce Petit séminaire entre les plantations, la mer et les fontaines, Senghor ne pouvait que vivre en harmonie avec la nature. Abbé Étienne Sène fait savoir que l’activité au séminaire tournait autour de trois aspects : la vie spirituelle, la vie intellectuelle et la vie disciplinaire ou communautaire ; et Senghor avait bien assimilé cela à travers l’étoile sérère. D’après ce dernier, la tête de l’Homme est en relation avec Dieu ; avec ses bras, il est relation avec les autres ; avec ses pieds, l’Homme est en relation avec la nature en plus d’être, en général, en relation avec lui-même.

Pour le directeur du Petit séminaire de Ngazobil, Senghor y a marqué son passage en tant qu’élève brillant avec une bonne vie intellectuelle. « Il a lui-même confié qu’il était d’un caractère difficile, qu’il ne se laissait pas faire, même face aux grands. Mais, Ngazobil a transformé sa personnalité et l’a aidé justement à pouvoir vivre en communauté. Il a mis l’accent sur l’organisation, la méthode et le travail », analyse-t-il, les yeux rivés sur des documents de son bureau retraçant le parcours du Président-poète.

Senghor et la possibilité de devenir prêtre 

Même si, d’après certaines thèses, Senghor caressait le vœu d’être prêtre, Abbé Étienne Sène nous dit que cela n’a pas pu être prouvé. Ce qui est clair, Senghor, à cette époque de l’assimilation, était « fier de sa culture sérère et voulait préserver ses valeurs culturelles ». « L’éducation sérère a beaucoup marqué la vie de Senghor. Il a grandi auprès de son oncle maternel ; ce qui est important chez les Sérères. Il pratiquait l’élevage et l’agriculture ; il a été berger comme tous les petits Sérères. Il était aussi un bon lutteur. Et, malgré sa petite taille, il était teigneux. Il était enraciné et n’a pas voulu être assimilé en étant prêtre à l’époque », résume-t-il. Devenu Président de la République, Senghor est passé à Ngazobil pour rendre visite aux séminaristes. D’ailleurs, sur les murs du bâtiment, plusieurs de ses clichés et citations évoquant ses liens avec le séminaire décorent les allées. Après huit ans au Petit séminaire de Ngazobil, il rejoint le collège Libermann de Dakar où le père Albert Lalousse a imprimé sa marque dans le cursus de l’étudiant Léopold Sédar Senghor.

Historique de Ngazobil

Le site de Ngazobil ou « puits de pierre » en langue sérère a été découvert en 1848 par le révérend père Bessieux qui se rendait à la mission catholique de Joal. Du fait de la bonne position géographique du site, le missionnaire décide d’en faire un établissement pour éloigner les enfants des rapports très fréquents avec le monde et le mouvement des affaires de Dakar. Mais aussi pour leur apprendre à cultiver la terre tout en poussant aux études ceux qui montreraient le plus d’aptitude.

En  mars 1849, Aloys Kobes envoie le père Chevalier, avec un autre père et six frères, pour fonder l’établissement, souligne l’actuel directeur du Petit séminaire de Ngazobil. Toutefois, les débuts ont été difficiles parce que le roi du Sine et ses « ceedo » (guerriers) étaient contre l’établissement. En  janvier 1851, le roi envoya des représentants à Gorée pour demander la suppression du Petit séminaire Saint-Joseph de Ngazobil. À ces difficultés et celles dues aux intempéries vinrent s’ajouter les maladies qui forcèrent les missionnaires à partir les uns après les autres quand ils ne mouraient pas sur place. Toutefois, Mgr Kobes n’abandonne pas cette idée du Petit séminaire de Ngazobil et l’œuvre a vu le jour dès que les circonstances ont été meilleures. Au début, ce séminaire avait aussi une vocation agricole aux côtés de l’éducation avec au moins 1000 hectares pour la culture du coton, de l’arachide, du mil, etc. Jusqu’à présent, en face de la chapelle, la forge qui regroupait les différents ateliers est toujours sur le site. Depuis 1940, la structure accueille les enfants en fin de cycle élémentaire et qui ont émis le souhait de devenir prêtre, informe abbé Étienne Sène. Par ailleurs, elle prend maintenant en compte les diocèses de Thiès et de Dakar pour la formation des prêtres. Cette année, le Petit séminaire de Ngazobil a 123 pensionnaires qui sont tous en mode internat. Ils ont les mêmes activités que Senghor et ses camarades d’alors. Lors du passage de l’élève Senghor, les pensionnaires n’étaient pas sélectionnés pour devenir prêtres prioritairement, mais ceux qui avaient la vocation étaient accompagnés et les autres poursuivaient leurs études classiques.

Le Soleil

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