Principal affluent du fleuve Sénégal, la Falémé agonise

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La Falémé qui apporte à elle seule 25 % de l’eau du fleuve Sénégal risque d’être rayée de la carte hydrologique si des mesures ne sont pas prises pour la sauver. Agressée de toutes parts par un orpaillage sauvage à l’aide d’engins de dragage et de produits chimiques aux effets dévastateurs, la rivière qui sert aussi de frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali est au bord de la catastrophe écologique. 

Pas besoin d’être un spécialiste en hydrologie pour se rendre compte de la gravité de la situation qui prévaut actuellement au niveau des berges de la Falémé. De Kédougou jusqu’à la frontière sénégalo-malienne (distante de 113km) que l’affluent du fleuve Sénégal borde, la cote d’alerte a été dépassée. La Falémé qui arrose 12 communes de Guinée, du Mali et du Sénégal, et principale réserve d’eau pour les populations du Sénégal oriental et leur bétail est mise en péril par l’orpaillage. Il suffit de regarder la couleur rougeâtre de l’eau à cause de la pollution et les obstacles qui obstruent le cours d’eau, dans cette localité de Kolia, située dans la commune sénégalaise de Bembou pour se rendre compte du spectacle alarmant qu’offre la Falémé. Du haut de la falaise, on découvre le cours d’eau, calme comme un moribond dans son lit de mort. Seules une pléthore d’unités de traitement de l’or, de l’autre côté sur la rive malienne, et au milieu du lit le vrombissement de dragues. Lesquelles dragues, constituées de pirogues équipées de machines par les orpailleurs pour extraire le minerai, laissent après leur passage une eau argileuse qui vient perturber la quiétude des lieux.

Dans un ronronnement infernal, des orpailleurs, par groupe de quatre, debout, s’activent sur des engins appelés « cracheurs» pour procéder au lavage des roches réduites en poudre. Du fait de l’inclinaison des planches, une bonne partie de l’eau boueuse finit sa course dans le fleuve. Non loin de là, une femme s’attèle au filtrage dans une calebasse pour extraire la matière aidée par une petite fille qui doit avoir 9 ans reprenant la même procédure à l’aide d’une calebasse plus petite.

À quelques mètres, des pompes fonctionnant à plein régime laissent couler de temps à autre de l’essence ou de l’huile. Des tas d’immondices en décomposition, dégageant une odeur nauséabonde. « Cela est l’œuvre de certains orpailleurs qui opèrent le long du fleuve. Faute d’un système d’assainissement, ils font leurs besoins naturels à côté », témoigne un orpailleur trouvé sur place. Tous ces déchets finiront dans la Falémé. De loin, on aperçoit des digues créées pour les besoins de l’orpaillage qui empêchent l’eau de couler normalement. « Mais tout ceci n’est pas seulement dû aux orpailleurs sénégalais. On y retrouve une forte présence d’orpailleurs étrangers composés de Maliens, de Burkinabés, de Guinéens, de Gambiens, d’Ivoiriens et même de Ghanéens », nous renseigne Cherif Sow, expert en droit minier qui se rend fréquemment dans la zone.

Ce même décor, nous l’avons trouvé à une centaine de kilomètres dans le village de Saenssoutou, dans la commune de Missira Sirimana (département Saraya). La partie de la rivière qui traverse cette localité est gravement endommagée par l’exploitation artisanale et sauvage de l’or, notamment le dragage.

Idem à Moussala, dans la commune de Bambou et dans les autres villages qui bordent la Falémé. Visiblement, les dégâts ne dérangent personne puisque les personnes trouvées sur place ne veulent même pas entendre parler d’exploitation sauvage de l’or, alors qu’il menace les ressources aquatiques et végétales, perturbe les régimes hydrauliques et hydrologiques, ainsi que la qualité des eaux et la fiabilité des données de mesure, sans compter le danger pour la santé des populations.

Le constat est que l’orpaillage illégal (l’orpaillage est règlementé au Sénégal) pratiqué par dragage par des centaines de personnes sur la Falémé, rend ses eaux de plus en plus boueuses et les substances chimiques polluantes utilisées par les orpailleurs, affectent dangereusement la biodiversité aquatique.

Sénégalais et Maliens se renvoient la responsabilité

La responsabilité de cette exploitation sauvage semble on ne peut plus partagée entre le Mali et le Sénégal au regard des agressions multiformes de part et d’autre des deux rives.

Mais personne ne veut assumer sa part, chacun imputant le tort à l’autre. Le président des orpailleurs de Kedougou, Moumoudou Dramé pointe du doigt une technologie importée du Mali par des opérateurs miniers maliens qui opèrent dans le financement, dans l’achat d’une mine. « La tendance semble irréversible. Les Sénégalais n’avaient aucune expertise dans le domaine de l’orpaillage. Cette situation catastrophique est l’œuvre de nos parents maliens » regrette-t-il. Même argumentaire développé par Youssouf Sarr, membre de la société civile sénégalaise.

Couleur rougeâtre de l’eau de la Falémé à cause de la pollution. 

Il enfonce le clou : « C’est notre milieu naturel qui est menacé. Ce sont les Maliens qui nous fatiguent. Ce sont eux qui ont importé toute la technologie aux conséquences dévastatrices de la rive. » Il faut signaler également que les activités de certaines sociétés minières ont des impacts négatifs significatifs sur la Falémé au même titre que celles des orpailleurs. C’est le cas de la société Afrigold mise en cause par les populations de Kolia.

La société minière AfriGold au banc des accusés

Une grande partie de cette pollution est imputée en grande partie à la société minière AfriGold, opérant dans la zone et qui déverse directement ses déchets issus du traitement du minerai exploité dans le fleuve. Le porte-parole du chef de village de Kolia, Khalifa Dansokho, pointant du doigt les endroits pollués par AfriGold déclare: « La société a installé une station de pompage au bord du fleuve. L’eau est conduite vers l’usine pour le lavage de l’or. De l’autre côté Afrigold utilise un chemin inverse à travers cette rivière pour évacuer l’eau déjà utilisée. Le niveau de cette eau déjà utilisée est remplie de boue et peut atteindre deux mètres de profondeur. Et cela devient dangereux pour les populations et les animaux.

Il arrive que certains animaux sauvages ou domestiques périssent dans cette rivière boueuse en essayant de rejoindre l’autre rive du fleuve. Il a fallu que la jeunesse du village de Kolia se soulève pour qu’Afrigold réalise un pont qui sert de passerelle aux villageois pour faire la traversée », souligne-t-il.

Accusée par les populations de Kolia d’être l’un des plus grands pollueurs de la Falémé, la société minière Afrigold, par la voix du chef de l’administration Bara Diallo, botte en touche et explique: « Nous ne sommes pas arrivés à la phase de cyanuration (une technique hydrométallurgique d’extraction de l’or grâce à une solution de cyanures alcalins). Afrigold est en phase d’extension. Nous n’utilisons pas encore de produits chimiques. Ce que nous pratiquons c’est une forme d’orpaillage à grande échelle. Nous utilisons un système de gravitation qui fait uniquement le lavage et le broyage du minerai. » Et d’ajouter : « Il y a un système qui nous permet d’évacuer l’eau. Cette eau parcourt un long chemin pour permettre aux particules lourdes de se stationner à certains endroits. L’eau qui retourne dans la Falémé est une eau pratiquement propre », se défend-t-il.

L’agriculture, l’élevage, la pêche … : un vieux souvenir

L’agriculture, l’élevage, la pêche, l’arboriculture, le maraîchage… jadis principales activités des populations, ne sont plus possibles avec ces eaux polluées de la Falémé. On est loin du temps où la rivière était source de vie pour tous les villages situés des deux côtés de la rive. Actuellement les superficies de cultures, vivrières pour l’essentiel, qui permettent aux ménages de se nourrir, se réduisent de façon drastique, créant et accentuant ainsi des « compétitions » d’ampleur inédite entre miniers, agriculteurs et éleveurs, regrette l’Observatoire Citoyen international du Fleuve Falémé composée d’ONG maliennes, sénégalaises et guinéennes.

Orpaillage par dragage dans la Falémé. 

Dans un communiqué en date du 3 mars 2020, les membres de l’Observatoire s’indignent du fait que « les pêcheurs ne peuvent plus nourrir, dans la dignité, leurs familles par le fruit de la pêche » et que « les femmes ne peuvent plus pratiquer le maraîchage qui leur procurait autrefois des revenus pour faire face à leurs besoins et ceux de leurs enfants ». « Toute cette situation est causée par l’utilisation de produits toxiques qui ont complètement détérioré la Falémé », déclare Saer Ndao, gouverneur de la région de Kédougou. Et se désole du fait que les populations ne peuvent plus exercer aucune activité génératrice de revenus.

L’impuissance des autorités

Du côté des autorités sénégalaises, aucune action n’est encore entreprise pour mettre définitivement un terme à cette situation qui menace l’existence même de la Falémé. Le chef de service de la direction de l’environnement et des établissements classés de Kédougou (DREEC) Mamadou Bèye, est désolé de cette agression. Impuissant devant l’ampleur des dégâts, il confie: « Nous allons relever toutes les non conformités et nous allons les transmettre à l’autorité. » En tout cas aux yeux du gouverneur de la région de Kédougou, Saer Ndao, le système d’exploitation doit être revu. Pour lui, l’agression de la Falémé est manifeste au niveau des deux rives et « le constat est amer. La toxicité du fleuve a atteint un niveau tel qu’on ne peut plus rien faire là-bas ».

« À notre niveau, on est en train de voir comment mettre en place un cadre de concertation à Kédougou pour partager les informations et essayer d’élaborer des stratégies de mise en œuvre dans le cadre d’une planification concertée avec l’ensemble des acteurs afin d’aller vers une sensibilisation des populations. »

Des brigades qui n’existent que de nom

Pour lutter contre l’utilisation des produits chimiques, des brigades ont été mises en place dans chaque côté de la rive du fleuve par les deux Etats: Mali et Sénégal. Mais pour l’environnementaliste Oudy Diallo, résident de Kédougou œuvrant pour la protection de la Falémé, ces brigades n’existent que de nom. Les agents affectés dans ces brigades travaillent dans l’informel et dans la précarité. Ils n’ont pas les moyens logistiques pour se déplacer.

M. Diallo pense qu’il faut impérativement une coordination entre les deux États pour aider les forces de l’ordre dans leur travail au quotidien.  Expliquant la complexité du problème, il révèle: « Lorsque les agents sénégalais pourchassent les orpailleurs du Sénégal, ceux-ci s’enfuient, traversent le fleuve et se retrouvent en territoire malien… et lorsque ces derniers aussi les pourchassent ils traversent à nouveau pour se retrouver en territoire Sénégalais. Dans les deux cas de figure, les agents ne peuvent rien faire parce qu’ils ne peuvent pas entrer en territoire étranger. Ce qui rend la tâche compliquée. » Un fait que confirme l’environnementaliste Lamine Diagne de l’ONG « La Lumière » basée à Kédougou. Ce dernier pense qu’au-delà de la coordination entre États, il est important voire impératif de revoir les législations pour réglementer et encadrer l’orpaillage.

L’alerte et les recommandations de l’OMVS

L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) s’inquiète des conséquences de l’orpaillage sur la qualité de l’eau, le débit du fleuve et la destruction du lit du cours d’eau. Ellealertait déjà, sur son site Internet, des effets induits de l’orpaillage sur la nature. Lors d’une visite en 2019 en compagnie des autorités locales de la région de Kédougou et de la presse, le Haut-commissaire de l’OMVS Ahmed Diagne Semega n’a pas pu cacher son inquiétude, allant même jusqu’à déclarer que « le fleuve est en état de mort clinique », pour attirer l’attention des différent États membres de l’extrême urgence à agir. Dans cet optique, il a émis l’idée de la mise en place d’une brigade mixte de surveillance de la Falémé entre le Sénégal et le Mali pour assurer la sécurisation de la rivière. Non sans manquer d’évoquer la nécessité par les États d’harmoniser leurs législations conformément à la charte de l’OMVS.

Réalisé par Jacques Ngor SARR

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