«Ma mère me disait souvent : « Kamala, tu seras peut-être la première à accomplir de nombreuses choses. Assure-toi de ne pas être la dernière ».» Il y a un an, Kamala Harris croyait dur comme fer pouvoir devenir la première présidente noire des États-Unis. Devant ses supporteurs, la sénatrice de 56 ans évoquait sans retenue son ambition, notamment lors du premier débat de la primaire démocrate au Adrienne Arsht Center de Miami. Un appétit certain pour le pouvoir qui remonte à l’enfance. Malgré de nombreux atouts, la candidature de Kamala Harris n’a toutefois pas su séduire les démocrates américains. Le 3 décembre 2019, à court d’argent, celle que l’on surnomme l’«Obama Girl» préférait jeter l’éponge. Avec un autre objectif en tête : la vice-présidence des États-Unis. Elle a depuis été désignée colistière par Joe Biden, le mardi 11 août, devenant ainsi la première candidate de couleur et d’origine indienne sélectionnée pour un tel poste.

Avec la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle face à Donald Trump, elle devient la première femme vice-présidente des États-Unis, et la première personne noire à tenir ce poste. «Dans cette élection, il s’agit de beaucoup plus que de Joe Biden ou moi-même. Il s’agit de l’âme de l’Amérique et de notre détermination à nous battre pour elle. Nous avons beaucoup de travail devant nous. Mettons-nous au travail», a-t-elle tweeté.

« Une Amérique conforme à nos idéaux »

«Joe Biden peut unifier le peuple américain parce qu’il a passé sa vie à se battre pour nous, avait-elle réagi sur son compte Twitter, lors de sa nomination en tant que colistière. S’il devient président, il bâtira une Amérique conforme à nos idéaux. Je suis heureuse de rejoindre les rangs de son équipe en tant que potentielle vice-présidente issue de notre parti, et de faire ce qu’il faut pour qu’il devienne notre Commandant en chef.» De son côté, Maya Rudolph, l’actrice qui incarne Kamala Harris dans le «Saturday Night Live», l’une des émissions satiriques les plus suivies aux États-Unis, a réagi à la nouvelle avec humour lors d’une table ronde organisée par Entertainment Weekly. «Je suis aussi surprise que vous, les gars, a-t-elle déclaré. C’est croustillant.»

Et le premier admirateur de l’«Obama Girl» n’est autre… que Barack Obama en personne. L’ancien président avait réagi à la nouvelle de cette nomination sur son compte Instagram. «En choisissant la sénatrice Kamala Harris pour devenir la prochaine vice-présidente américaine, il (Joe Biden, NDLR) a mis en lumière ses capacités de jugement et son caractère (…), peut-on lire en légende du post. Et maintenant, Joe a trouvé la partenaire idéale pour l’aider à se mesurer aux défis bien réels auxquels est confrontée l’Amérique en ce moment, et auxquels elle sera confrontée dans les années à venir.»

« Pas rancunière »

La nomination de Kamala Harris n’est pas totalement une surprise. Avant cette annonce officielle, elle était d’ailleurs favorite des sites de paris politiques, loin devant Elizabeth Warren, Susan Rice ou encore Karen Bass. Il faut dire que des notes griffonnées sur un carnet de Joe Biden, capturées à son insu le 28 juillet 2019, vantaient les qualités de la sénatrice : «Pas rancunière», «A fait campagne avec moi et Jill», «Talentueuse», «D’une grande aide pour la campagne», «Grand respect pour elle». Peu après, le site spécialisé Politico annonçait, dans un texte pré-daté au 1er août 2019, que Joe Biden avait choisi Kamala Harris comme colistière. Bien que le média politique ait rapidement évoqué une «erreur», la rumeur continuait d’enfler.

Pourtant, rien n’était joué d’avance. Le 27 juin 2019, lors du premier débat de la primaire démocrate, la sénatrice californienne n’hésitait pas à mettre en avant son histoire personnelle pour faire remarquer à l’ancien vice-président Joe Biden avoir été blessée par ses échanges «courtois» avec des sénateurs ségrégationnistes, tenus dans le passé. Depuis, Kamala Harris semble avoir tourné la page.

Fille de parents immigrés

Kamala Harris a grandi à Oakland, dans la Californie progressiste des années 1960. Fière de la lutte pour les droits civiques de ses parents immigrés, la démocrate a toujours revendiqué ses origines : un père jamaïcain professeur d’économie et une mère indienne aujourd’hui décédée, chercheuse spécialiste du cancer du sein. Alors qu’un mouvement antiraciste secoue les États-Unis, la politicienne n’a pas été épargnée par le racisme et la ségrégation. En juin 2019, elle livrait un souvenir d’enfance encore douloureux : lorsqu’elle prenait, enfant, l’un des bus chargés d’amener les écoliers noirs dans les quartiers blancs. Déterminée à faire bouger les choses, Kamala Harris a bravé tous les obstacles pour atteindre ses rêves.

La première procureure de Californie

Prétendante sérieuse à la Maison-Blanche, Kamala Harris a fait de son passé de procureure une force. Avant de se retirer de la course à la présidentielle, l’Américaine était même, aux yeux de certains démocrates, la mieux placée pour «mener le réquisitoire» contre Donald Trump, et battre le républicain à la présidentielle de novembre. Il est vrai que, depuis le début de sa carrière, Kamala Harris a accumulé les titres de pionnière. Après deux mandats de procureure à San Francisco (2004-2011), elle a été élue deux fois procureure de Californie (2011-2017), devenant alors la première femme, mais aussi la première personne noire, à diriger les services judiciaires de l’État le plus peuplé du pays. Puis, en janvier 2017, elle a prêté serment au Sénat à Washington, s’inscrivant ici comme la première femme originaire d’Asie du Sud et seulement la seconde sénatrice noire dans l’histoire américaine.

« Pas trop âgée et noire »

L’expérience que Kamala Harris a engrangé dans les branches judiciaire, exécutive et législative faisait aussi d’elle la candidate «parfaite», confiait en juin 2019 à l’AFP Marguerite Willis, ex-candidate démocrate au poste de gouverneur de la Caroline du Sud. Avant d’observer : «Elle n’est pas trop âgée (…) et c’est une femme noire, ce que je trouve très important en ce moment», dans un contexte où le racisme augmente sous la présidence Trump, et davantage encore depuis la mort de George Floyd, tué par un policier le 25 mai, qui a lancé une vague de protestations, portée par le mouvement Black Lives Matter, aux États-Unis et en France.

Côté vie privée, rien à signaler. Mariée depuis août 2014 à l’avocat Douglas Emhoff, divorcé et père de deux enfants, Kamala Harris n’a jamais caché son histoire familiale, elle dont la soeur Maya est une ancienne aide de campagne de

Dans les pas de Barack Obama

D’habitude chaleureuse, Kamala Harris sait se montrer ferme quand il le faut. Au Sénat, elle s’est notamment fait remarquer pour ses interrogatoires serrés, au ton parfois glaçant, lors d’auditions sous haute tension. À l’instar de celle du candidat conservateur controversé à la Cour suprême Brett Kavanaugh, en 2018. Mais ses supporteurs voient cette rigidité comme un signe de sa grande détermination. «Elle s’empare du porte-voix à chaque fois qu’elle le peut» pour défendre, notamment, un système judiciaire plus juste pour les Noirs, confiait l’an dernier Deitra Matthew, l’une de ses supporters venue rencontrer la candidate à Columbia (la capitale de la Caroline du Sud, NDLR). «Je dois admettre que je n’ai pas été aussi emballée par un candidat depuis 2007», avant l’élection de Barack Obama. Kamala Harris serait-elle la femme de la situation ?

Le Figaro