LE DÉBAT DE TROP (par Vieux Savane)
En attendant que les Sénégalais décident de quoi demain sera fait, nul n’a le droit de s’immiscer dans l’intimité de personnes majeures et consentantes ni de regarder par le trou de la serrure, ni d’opérer une descente inopinée dans leur espace privé
«Nous avons notre Code de la famille, nous avons notre culture, nous avons notre civilisation. Il faut que les gens apprennent à respecter nos croyances et nos convictions. Au nom de quoi on doit penser que parce que ailleurs, on pense que l’homosexualité doit être dépénalisée que ça doit être une loi universelle?» Et d’enfoncer le clou : « Au nom de quoi ça doit être une loi universelle ? » On aurait pu penser que cette sortie, pertinente, claire et nette, servie en juin 2013 par le président Macky Sall à son homologue américain Barack Obama allait clore le débat sur l’homosexualité au Sénégal. Que nenni !
Et pour ne rien arranger, le président de l’ONG Jamra avertit crânement avoir « décidé de mener au plan national une campagne auprès des électeurs pour leur dire : « voilà les députés que vous avez élus et que vous avez mis dans toutes les bonnes conditions et qui sont aujourd’hui en train de soutenir les lobbies homosexuels ». N’est ce pas là un appel à la délation voire pire encore aux bas instincts. Triste et irresponsable ! Sans qu’on en comprenne l’urgence, ce débat est revenu mercredi dernier sur le devant de la scène à travers une saisine de l’Assemblée nationale par le biais d’une proposition de loi portée par la plateforme Samm jikko yi.
Pour autant, cette réponse du chef de l’État était une manière de rappeler avec force qu’il n’y a d’universel que pluriel et non un référentiel monolithique, occidental de surcroît, qui sommerait la planète entière à s’y conformer. Une démarche qui ne saurait prospérer car en effet le rappel du président Macky Sall avait surtout eu le mérite de préciser que quelles qu’elles soient, les sociétés marchent à leurs rythmes, bousculées qu’elles sont par leurs dynamiques et contradictions internes propres et non par des injonctions exogènes. Dans ce sillage, il est bon de rappeler qu’en son alinéa 3, l’article 319 du Code pénal sénégalais issu de la loi 66-16 du 12 février 1966 est ainsi libellé : « Sans préjudice des peines plus graves prévues par les alinéas qui précèdent ou par les articles 320 et 321 du présent Code, sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.00 à 1.500.000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. Si l’acte a été commis avec un mineur de moins de 21 ans le maximum de la peine sera toujours prononcé ».
En attendant que les Sénégalais décident de quoi demain sera fait, il reste que nul n’a le droit de s’ immiscer dans l’intimité de personnes majeures et consentantes ni de regarder par le trou de la serrure, ni d’opérer une descente inopinée dans leur espace privé. Responsables elles sont de leurs nuits qu’ aucune autorité ne saurait mettre sous tutelle. Il importe par conséquent, au regard de ce qui précède, d’avoir à l’esprit que nous sommes les héritiers d’une histoire longue, mouvementée et contrastée, laquelle exige que nous fassions montre d’une vigilance et d’un engagement sans faille dans la consolidation de notre république démocratique et laïque. Surtout en ce moment où, à des échelles insoupçonnées, il est de plus en plus question de pratiques insidieuses qui sont entrain de faire vaciller les fondements de notre société au risque de la voir s’affaisser durablement. Sans que cela ne semble déranger grand monde.
En attestent l’exploitation des enfants, la pédophilie grandissante, les viols et les violences faites aux femmes de toutes conditions. Une violence qui montre parfois un visage épouvantable, à l’image de ce garçon de 9 ans qui tue un camarade de 7 ans à coup de couteau. L’actualité de cette déliquescence c’est aussi tous ces milliards détournés à la poste, au trésor, ces faux billets de banque mis en circulation, ces trafics de passeports diplomatiques. L’actualité, ce sont aussi les détournements de biens publics qui s’emballent, le blanchiment qui n’est pas en reste et qui interroge sur les nombreux immeubles qui poussent un peu partout dans la capitale comme des champignons. Déjà, en décembre 2017 , en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), s’appuyant sur les résultats d’une enquête menée par le cabinet Synchronix, l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption attirait l’attention sur le coût de la corruption au Sénégal évaluée alors à quelque 118 milliards.
Fort de tout cela s’invite plus que jamais la nécessité de Samm jikko yi, en luttant par contre vigoureusement contre l’impunité qui fait le lit de toutes les dérives, ce qui suppose de veiller à consolider l’État de droit en refusant toutes les formes de pressions. Qu’elles soient politiques, religieuses ou autres et qu’elles cherchent surtout, comme de coutume, à soustraire les délinquants à cols blancs de la rigueur de la loi . Il s’agit, comme dirait l’autre, de ne pas perdre de vue que « le droit sans la justice » perd de sa légitimité . Au regard de son ampleur et de son impact sur l’ensemble du corps social ce combat ne peut donc être indéfiniment différé. L’urgence est là. Pas ailleurs.
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