« LE DÉBAT POLITIQUE EST PAUVRE, AGRESSIF, ET INUTILEMENT VIOLENT »

Il ne peut supporter les débats au ras des pâquerettes, la violence. El Hadj Ibrahima Sall estime que même les animateurs du débat doivent relever leur niveau. Le Président de la Commission d’évaluation des politiques publiques et programmes publics appelle à évaluer le parrainage. Et sans filtre, l’ancien ministre du Plan sous Diouf constate que « notre démocratie continue de favoriser soit des fonctionnaires qui se sont illicitement enrichis par la corruption, soit des candidats financés et contrôlés par des lobbys étrangers ».

Après deux alternances politiques réalisées, comment appréciez-vous l’état de la démocratie sénégalaise ?

La démocratie sénégalaise est dans un état globalement satisfaisant. Mais elle peut et doit mieux faire. Les motifs de satisfaction se trouvent dans une amélioration continue des processus électoraux qui ont permis des alternances et qui rendent les positions concurrentielles contestables. Ces processus sont de plus en plus transparents et de mieux en mieux contrôlés par les acteurs de la démocratie. Cependant, il subsiste des insuffisances majeures qui péjorent la qualité de notre démocratie. Les populations ne sont consultées que lors des élections, ce qui fait de notre démocratie une démocratie d’exercice et non une démocratie de participation.

Ensuite, des procédures souvent nécessaires telles que le parrainage sont vécues par les acteurs comme des barrières à l’entrée, qui remettent en question l’égalité des acteurs. Il est temps, après plusieurs essais, d’évaluer cette procédure et d’envisager des filtres qui passent par des mesures qui influent sur la qualité de la démocratie. On peut penser naturellement à la sélection préalable des candidatures sur la base de la qualité des programmes, leur participation à la formation des militants, la régularité de leurs rapports d’activités, etc. C’est ici qu’il faut réclamer de l’administration plus de rigueur sur la délivrance des récépissés aux partis et mouvements politiques.

Certains dirigeants politiques n’ont manifestement ni les compétences ni les aptitudes pour servir de caution morale à une organisation politique de masse. La qualité de la démocratie ne saurait être appréciée sans la question du financement des partis politiques. Notre démocratie continue de favoriser soit des fonctionnaires qui se sont illicitement enrichis par la corruption, soit des candidats financés et contrôlés par des lobbys étrangers. C’est dire que la démocratie sénégalaise condamne les hommes politiques honnêtes et intègres. Enfin, des défis pratiques se posent à notre système démocratique tels que la sécurité des candidats lors des compétitions électorales.

Il est regrettable pour notre démocratie de voir à chaque élection, le recrutement de centaines de nervis. Il est d’usage courant de voir les hommes politiques de faible envergure s’entourer de gardes de corps comme s’ils étaient des présidents de la République. La sécurité des acteurs politiques doit être de la responsabilité exclusive de l’Etat qui doit veiller à la sécurité de toutes les parties prenantes. On peut ajouter à la longue liste des failles de notre système démocratique, l’absence de mécanismes d’arbitrage et de résolutions des conflits non encore stabilisés. Et bien entendu finir avec le déficit du débat contradictoire et le faible niveau des animateurs du débat. N’oublions pas pour finir, l’obstacle que constituent l’ignorance, le niveau de pauvreté, l’obscurantisme. La démocratie est un idéal. Il est naturel qu’en tout instant, elle conquiert de nouveaux espaces de consensus, de liberté, d’égalité …

Une majorité, Bby, s’est dégagée depuis 2012. Que vous inspire cette coalition assez large et aussi durable dans le landerneau politique sénégalais ?
Une majorité stable est toujours la condition de la stabilité et de la paix sociale sans laquelle le gouvernement ne peut conduire dans la sérénité l’action publique. La stabilité de la majorité présidentielle, c’est la stabilité du parlement, c’est la possibilité pour l’Exécutif de mener des politiques publiques durables. Cette stabilité conditionne la croissance, les investissements étrangers et l’emploi…

En face, il y a une opposition, si vous devriez la caractériser, quelle serait sa nature réelle ?

Nous devons être conscients que la qualité de notre démocratie dépend de la qualité de l’opposition et des contre-pouvoirs. L’opposition est encore une alliance instable qui a besoin de confiance entre les partis qui la composent. Elle a de la peine à offrir un projet de société crédible et réaliste. Son intérêt limité pour l’évaluation des politiques publiques réduit son action à la contestation permanente, parfois pas toujours bien fondée. Cela explique que son terrain de prédilection reste le terrain de la politique politicienne, avec des postures nihilistes et systématiquement contestataires.

Un constat de pauvreté du débat politique est fait en cette période de campagne électorale, qu’est-ce qui, selon vous, serait à l’origine de cette situation pour une démocratie comme celle du Sénégal ?

Ce constat est juste. Le débat est pauvre, agressif, et inutilement violent. Nos concitoyens observent s’en émeuvent d’ailleurs. Les causes d’un si faible niveau sont multiples. On peut citer pêle-mêle le niveau des dirigeants politiques, le niveau de conscience politique des citoyens, la fébrilité de la presse qui doit animer et arbitrer les confrontations d’idées. Tout cela dans un contexte où l’action publique est mal appréciée du fait de l’absence d’évaluations crédibles de politiques, de programmes, de dispositifs et d’objets.

Peut-on considérer le refus de débattre sur les politiques publiques comme un indice d’affaiblissement de notre démocratie ?

Bien naturellement. Un débat sur les politiques publiques constitue l’enjeu de la démocratie et il doit faire partie de la culture démocratique et faire l’objet d’une institutionnalisation comme dans toutes les démocraties majeures.

Que propose le Président de la Commission d’évaluation des politiques et programmes publics que vous êtes pour relever le niveau du débat ?

Je propose dans l’ordre la pénalisation de la violence et des agressions verbales, la formation des journalistes dans des spécialisations plus fines et plus poussées, l’instauration de normes de qualité et l’encadrement par des procédures adéquates des débats publics, l’élaboration des politiques publiques de promotion des médias privés et publics avec des quanta minima d’émissions politiques, et enfin, la mise en place d’institutions de débat public sur les grandes questions qui concernent la vie des citoyens.

emedia

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