[Reportage] Ziguinchor : Entre morosité, méfiance et paranoïa, voyage au coeur d’une ville isolée
Plus de deux semaines après les tensions qui ont secoué le pays suite à la condamnation du leader du Pastef, Ousmane Sonko, les activités à Ziguinchor, où il est le maire, sont au ralenti. La situation dans cette commune qui a été l’une des villes les plus touchées lors des émeutes est accentuée par les restrictions sur le transport prises par l’Etat du Sénégal. En effet, Ziguinchor est en train de ressentir l’effet de la suspension de la navette de bateau Aline Sitoé Diatta et des bus Sénégal Dem Dikk. A quelques jours de la tabaski, la capitale du sud est devenue plus que jamais inaccessible et une certaine partie de la population vit de manière anxieuse à l’approche des fêtes.
À l’approche de la Tabaski, c’est une ambiance festive qui régnait d’habitude dans la capitale casamançaise. Dans les gares routières, maritimes de Ziguinchor, les sourires des habitants, pour la plupart venus de Dakar, illuminent les lieux. On ressentait sur le visage des étudiants, commerçants et autres habitants de Zig, la joie d’avoir retrouvé leur terroir. Mais cette année les choses ne bougent pas dans cette ville du Sud du pays.
Ce vendredi 23 juin, à moins d’une semaine de la fête de l’Aïd-El Kébir, ce n’est pas le grand rush sur les lieux de débarquement des voyages. Une situation causée par les mesures de restriction sur le secteur du transport avec la suspension des rotations du bateau Aline Sitoé Diatta et des bus de Sénégal Dem Dikk. Ces mesures ont été prises lors des émeutes du mois de juin qui ont plongé le pays dans le chaos à la suite de la condamnation du Maire de Ziguinchor dans l’affaire Sweet beauté.
Parcours de combattant
Actuellement, faire le trajet Dakar Ziguinchor, à quelques jours de la fête de Tabaski relève d’un vrai parcours de combat. Les voyageurs sont obligés de se rabattre sur les bus de transport en commun et les sept places. Ces moyens de transport, qui sont loin d’être confortables sur un trajet périlleux, ne sont pas à la portée de tous. Il faut presque 15 heures de temps sur une route chaotique qui est en chantier dans cette zone après la sortie du territoire gambien jusqu’à la capitale du sud. Et avec la hausse du prix du carburant, le tarif du transport est passé du simple au double. En temps normal, il faut débourser entre 8 000 et 10 000 F Cfa de Dakar à Ziguinchor. Mais actuellement le billet de transport a doublé.
‘’Nous avons quitté Dakar depuis six heures du matin (vendredi, ndlr) et on est arrivé à Ziguinchor à 19 heures. Rien que pour nos bagages nous avons déboursé plus 20 mille F CFA sans compter les billets de transport qui ont presque doublé’’, tonne Malamine Badji accompagné de sa sœur.
Pour se justifier, les chauffeurs évoquent la difficulté de la route et la rareté des clients. En plus de ces facteurs, les nombreux check-points attirent l’attention sur les axes qui ont été marqués jadis par des décennies de conflit entre l’armée sénégalaise et le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC). Les mesures de sécurité ont été renforcées à la suite des émeutes du mois de juin.
La paranoïa et la psychose de la population
Depuis ces événements qui ont causé la mort de 16 morts dans le pays, c’est un climat de méfiance qui règne dans la capitale du sud. Beaucoup de gens évitent d’évoquer certaines questions avec les journalistes ou à des personnes qui leur sont étrangères. Une atmosphère de paranoïa règne dans la ville et renforce le sentiment de méfiance.
‘’Il y a des gens qui viennent nous espionner pour avoir des informations avant de nous balancer à la Justice. C’est pourquoi nous avons peur de parler de certains sujets. Chaque jour, quand je sors, ma mère me prévient par rapport à ça. Pardonnez moi mais je ne veux pas parler de cette question’’, lance une commerçante installée devant l’entrée de la gare maritime.
Il est rare de trouver quelqu’un qui ose se prononcer sur certaines décisions de l’Etat. Même les étrangers qui vivent dans la commune ne veulent pas se prononcer sur la situation socio-politique tendue, à l’image d’un Britannique, la quarantaine, rencontré devant l’entrée du port. ‘’Je reste neutre dans cette affaire même si j’aime beaucoup le Sénégal. Je travaille ici depuis plusieurs années. Même un des mes enfants est né ici, mais je reste neutre’’, répond-il.
Omerta des autorités municipales
Face à cette situation qui a impacté plusieurs secteurs d’activités, les autorités municipales optent, elles aussi, pour le mutisme. Nos nombreuses tentatives de s’entretenir avec eux sont restées vaines. Un parmi les proches collaborateurs du maire Ousmane Sonko finit cependant par céder à notre insistance. Mais il n’a pas voulu être filmé ni enregistré.
‘’L’absence de Sonko n’a aucun impact sur le travail. Il a délégué des pouvoirs et nous sommes en train de faire le travail comme il se doit. Mais il faut le dire, nous avons la crainte d’être espionné parce que n’importe quelle personne vient ici et nous sommes dans l’obligation de l’accueillir. Nous craignons aussi que nos téléphones soient sous écoute et cela pourrait avoir des impacts sur le travail parce qu’on se méfie. Je pense que l’État doit faire la part des choses. Il doit savoir faire la différence entre les politiques et l’autorité administrative municipale’’, confie-t-il.
L’ombre de Sonko plane sur la mairie de Ziguinchor
Ce vendredi 23 juin, vers 13 heures, les dernières personnes qui sont venues chercher des papiers administratifs quittent l’hôtel de ville de Ziguinchor avec leur document en main. Malgré l’absence du premier magistrat de la ville, bloqué à son domicile à Dakar, les activités semblent aller bon train. Mais son absence est sur toutes les lèvres. Si les conseillers municipaux esquivent la question, la population réclame la levée du blocus chez Ousmane Sonko à Dakar.
‘’On aimerait voir notre maire ici dans sa commune, même si malgré son absence, les choses marchent. Certes cela ne devrait pas impacter sur le travail de la municipalité, mais on a besoin de lui pour certains dossiers’’, réclame Abdou Diallo, opérateur économique. Ismaila Mané abonde dans le même sens : ‘’Nous voulons que notre maire soit à côté de sa population. Je n’ai pas peur de me prononcer sur la question, parce qu’on dit la vérité. On veut seulement la paix. Le président Ousmane Sonko doit même faire un appel à la paix pour calmer les jeunes’’, soutient-il.
Depuis les manifestations du début de ce mois de juin, les activités de la capitale de la Casamance sont au ralenti. Ziguinchor est isolée du reste du pays et la peur a installé chez certaines personnes une attitude de méfiance.
seneweb
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