Le 16 août 2003, le dictateur ougandais Idi Amin Dada disparaissait

Personne ne regrettera l’ancien boxeur, décédé le 16 août 2003 et dont les délires sanguinaires ont coûté la vie à quelque 300 000 Ougandais. À l’occasion des vingt ans de sa disparition, Jeune Afrique republie l’article annonçant sa mort après de longues années d’exil et plusieurs mois de coma.

Depuis quelques semaines, entre deux discussions sur l’émission de télé-réalité Big Brother Africa et les exploits de Gaetano, le fils du pays, l’Ouganda a vécu à distance l’agonie de son tristement célèbre dictateur, Idi Amin Dada. Un forum était même consacré à la question : doit-on ou non autoriser le retour de celui qui régna sur le pays, de 1971 à 1979 ? À toutes ses demandes, de plus en plus insistantes, le gouvernement de Yoweri Museveni a opposé une fin de non-recevoir, le tyran sanguinaire devant « expier ses péchés » ou « être jugé pour les atrocités commises ».

Le débat est clos : Son Excellence le conquérant de l’empire britannique, maréchal-docteur Idi Amin Dada, président à vie de la République d’Ouganda, commandant en chef des Forces armées, président du conseil de la police et des prisons, autoproclamé « plus grand chef d’État du monde », ne retrouvera ni sa terre natale ni sa famille. Idi Amin Dada, après plusieurs semaines de coma, est décédé le 16 août 2003 à l’hôpital du roi Fayçal de Djeddah, sur la mer Rouge.

Au nom d’une « solidarité islamique » de bon aloi, l’Arabie saoudite a accueilli, nourri, logé, blanchi Big Daddy, « l’envoyé de Dieu sur terre », pendant vingt-quatre ans, après qu’il eût été chassé du pouvoir par l’armée tanzanienne. Et le jour de sa mort, elle a enterré avec tous les honneurs le colosse à La Mecque. Le royaume des Saoud n’avait exigé en contrepartie de son asile que le silence du bouffon médiatique dont les frasques défrayèrent la chronique pendant les huit ans et trois mois où il présida aux destinées de son pays.

Délires mégalomanes

Né à Koboko, sur les bords du Nil, en 1925, Idi Amin appartenait à l’ethnie kakwa, originaire de la région d’Arua. Quasiment illettré, il quitte son village en 1946 pour s’engager dans l’armée coloniale britannique, les King’s African Rifles. Plongeur, aide cuisinier, ce géant qui dépasse les cent kilos et avoisine les deux mètres est sacré neuf fois champion de boxe de son pays, catégorie poids lourd, entre 1951 et 1960. Envoyé au Kenya lors de la révolte mau-mau en 1952, il trempe pour la première fois les mains dans le sang. Cela va devenir une habitude.

De retour en Ouganda, il poursuit ses tristes œuvres dans le Karamoja (nord-est du pays) et atteint le grade de sergent-chef, le plus élevé qu’un Noir puisse alors espérer. Malgré de nombreuses mises en garde, celui qui sera son prédécesseur et son successeur au sommet de l’État, Milton Obote, le protège. Formation militaire en Angleterre, puis en Israël. En 1969, Amin est général et chef d’état-major des armées. Il devient dangereux. Obote s’en rend compte avec un temps de retard : il suffit d’un voyage à Singapour pour que, le 25 janvier 1971, Amin s’empare du pouvoir.

Vu d’Occident, la dictature est ubuesque, les bouffonneries du « président à vie » prêtent parfois à sourire. À la reine d’Angleterre Élisabeth II, il écrit : « Ma chère Reine, j’aimerais que vous arrangiez pour moi une visite de l’Écosse, de l’Irlande et du pays de Galles pour me permettre de rencontrer les chefs des mouvements révolutionnaires qui combattent votre oppression impérialiste. » En 1976, il invite Richard Nixon à venir en Ouganda pour « se remettre des affaires du Watergate ».

Avant de proposer, en 1979, de supprimer tous les armements conventionnels et de distribuer aux nations des bombes atomiques, de manière à garantir la paix. En 1981, il envisage d’organiser un match de boxe l’opposant à Muhammad Ali, « à condition que le combat ait lieu à Tripoli en Libye, où [son] frère de sang Kadhafi servira d’arbitre, l’ayatollah Khomeiny d’annonceur et Yasser Arafat d’entraîneur ». Entre autres délires mégalomanes de plus ou moins haute volée.

Ordre de Dieu

De près, la situation est beaucoup moins drôle. Environ 300 000 Ougandais sont suppliciés, massacrés ou exécutés durant sa présidence. Tous les soirs, aux abords des geôles du State Research Bureau, on peut entendre les cris de douleur des opposants torturés à mort. En mars 1972, Amin n’hésite pas à rompre avec Israël pour s’assurer l’amitié et l’aide de Kadhafi. La même année, il expulse tous les Indiens du pays – une décision très populaire –, sous prétexte que Dieu « lui a ordonné de le faire dans un rêve », entraînant ainsi l’effondrement de l’économie.

En 1976, les caméras du monde entier se tournent vers l’aéroport d’Entebbe où un commando palestinien a détourné un avion d’Air France. Amin fanfaronne, Tsahal intervient, l’opération est un sanglant succès. En 1979, Amin envoie quelques milliers de soldats conquérir « en vingt-cinq minutes » la Tanzanie de l’ennemi juré « Mwalimu » Nyerere. C’en est trop : la riposte tanzanienne met fin au règne de celui qui se voulait « le dernier roi d’Écosse », par forfanterie envers Sa Gracieuse Majesté.

Loin de son pays, où Milton Obote maintint jusqu’en 1986 une dictature tout aussi sanglante quoique moins haute en couleurs, Amin Dada disait ne pas éprouver de remords, mais simplement de la nostalgie. En février 1981, il osait même déclarer : « Depuis que je suis parti, les droits de l’homme ne sont plus respectés en Ouganda. » Personnage fantasque et cruel, le Field Marshall a été le sujet d’un documentaire de Barbet Schroeder et de nombreux romans. Magie de l’écriture, Moses Isegawa (La Fosse aux serpents), Giles Foden (Le Dernier Roi d’Écosse) ou encore Donald E. Westlake (Kahawa) ont approché de près cet antihéros extrême. L’Afrique et le monde auraient sans doute gagné à ce qu’il ne fût qu’une fiction.

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