Entretien de Gorée, 700 millions d’excédent budgétaire…: la vérité derrière la taxe municipale de 500 FCFA

Dans ce dernier reportage de cette série spéciale Gorée,  une polémique liée à l’accès à l’île est abordée. Les visiteurs et touristes réguliers de cette commune ont remarqué l’imposition d’une taxe de cession de services municipaux, en plus du prix du billet de traversée en chaloupe. Cette mesure, qui concerne également les Sénégalais, suscite des débats parmi la population. Reportage.

La liaison maritime Dakar-Gorée, située au sein du port autonome de Dakar, est l’unique point de départ pour rejoindre l’île mémoire de la traite négrière, Gorée. Même en début de semaine, la société enregistre un grand nombre de clients désireux d’effectuer la traversée en mer. Cette affluence s’explique par la période actuelle, qui coïncide avec les vacances scolaires. Avant d’embarquer dans la chaloupe, les candidats à ce trajet d’une quinzaine de minutes doivent s’acquitter d’une formalité obligatoire. Mis à part le titre de transport aller-retour de l’embarcation, qui, soit dit en passant, a une tarification spéciale selon les origines, les clients doivent se rendre à un premier guichet où ils devront payer une taxe de cession de services municipaux de 500 FCFA. Il s’agit d’un papier bleu en forme de carré que visiteurs et touristes doivent obligatoirement obtenir avant d’embarquer.

La taxe municipale : une formalité controversée

Cependant, cette formalité préalable suscite souvent l’incompréhension d’une partie de la population sénégalaise, notamment sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, de nombreux utilisateurs ont déploré cette fameuse taxe, comme en témoigne cette publication sur la célèbre page « Pourquoi j’aime le Sénégal » : « Aller simplement visiter l’île de Gorée, c’est exercer sa liberté d’aller et de venir sur toute l’étendue du territoire sénégalais. Nous en appelons au sens de la responsabilité des autorités étatiques, qui doivent répondre aux différentes interpellations des uns et des autres ».

Pour en savoir davantage sur cette très controversée taxe, direction l’île de Gorée à bord de la doyenne des chaloupes, Coumba Castel. Sur place, l’ambiance est joyeuse, avec parents et enfants profitant des lieux pour se relaxer, pique-niquer ou se baigner. Ils sont en grande majorité des familles sénégalaises venues passer une journée sur l’île. C’est le cas de Racine, qui, accompagné de sa petite famille, savoure ce moment de détente. Mettant les pieds pour la première fois sur l’île, le père de famille n’oubliera pas de sitôt cette première expérience. « Je suis venu avec ma femme et mes enfants. J’étais déjà obligé de payer 4 tickets de 500 pour les taxes avant les billets. Si, je l’avais su auparavant, je l’aurais budgetisé. Si, j’étais venu sans cette somme, je serais reparti avec ma famille. Je pense qu’une bonne communication aurait fait l’affaire », déplore-t-il. Mais alors, quelle est l’origine de cette taxe qui provoque de multiples réactions contrastées, quelle est son utilité et quelles sont les retombées pour la municipalité ?

Les origines de la taxe de cession de services municipaux

Autant de questions que nous avons soumises à Djibril Seck, conseiller municipal à la mairie de Gorée. Appliquée depuis 2005 sur délibération du conseil municipal de la commune, la taxe de cession de services municipaux est née dans un contexte particulier. « Il y avait un bateau qui s’appelait Saly Line qui convoyait des touristes de Saly vers Gorée. Puisqu’il faisait un gros chiffre d’affaires, cette liaison souhaitait participer à la gestion de Gorée. Vu que l’on ne peut pas donner de l’argent à la Commune, c’est pour cette raison qu’elle a décidé de faire une délibération. Tous les touristes qui venaient par le Saly Line payaient 500 FCFA par personne. C’est quand l’Etat, sous le magistère de Me Abdoulaye Wade, a éliminé Saly Line, parce que la liaison maritime Dakar-Gorée avait perdu beaucoup de clients, que l’on a mis une guérite à Gorée. Il y avait un agent qui recouvrait cette somme dès l’arrivée de visiteurs et touristes », explique-t-il. Mais ce modus operandi, qui consistait à récolter la taxe sur l’île, ne permettait qu’un recouvrement infime de cette manne financière. Djibril Seck et plusieurs autres Goréens décident de couper le mal à la racine. Pendant des années, ils ont mené le combat pour l’insertion de cette taxe municipale dans le processus d’achat du billet de la chaloupe. Il revient sur cette période : « Nous en tant que Goréens, on était d’accord sur le fond de la taxe mais pas sur la forme parce que ça amenait tout le temps des tracasseries. On a mené le combat auprès du conseil municipal pour l’inclusion de la taxe municipale dans le ticket de la chaloupe. Après la délibération, ça a été approuvé par la commission de contrôle de la liaison maritime Dakar-Gorée qui est composée de la ville de Dakar, l’île de Gorée, l’Etat du Sénégal et le port autonome de Dakar. Mais le port ne voulait pas que ça entre en vigueur au temps de Monsieur Cheikh Kanté. On l’a relancé à plusieurs reprises mais il avait bloqué ».

Un accord historique pour la municipalité de Gorée

À l’issue d’une rude bataille menée pendant plusieurs années, la mairie de Gorée obtient finalement gain de cause en août 2022 avec la signature d’un mémorandum avec le successeur de Cheikh Kanté, Aboubacar Sédikh Bèye. En plus de l’ouverture d’un guichet pour l’achat obligatoire de la taxe municipale au niveau de l’embarcadère, cet accord permettait à la municipalité d’obtenir une subvention de 50 000 000 FCFA, d’accorder une priorité d’accès aux chaloupes et de bénéficier de plusieurs avantages sociaux, notamment en matière d’emploi des jeunes. « On a trouvé un terrain d’entente et on a fait un mémorandum. La taxe, on ne pouvait pas l’inclure dans les tickets de chaloupe parce qu’avec la trésorerie ou les décomptes, ils avaient des problèmes pour débloquer. Donc, dans le mémorandum, ils nous ont autorisé de faire un guichet à l’embarcadère avant le guichet de la chaloupe. Maintenant à l’embarcadère, tu achètes la taxe et le ticket de la chaloupe pour pouvoir embarquer. Et maintenant, c’est le bonheur pour la mairie de Gorée ».

Une source de revenus essentielle pour l’île de Gorée

Un succès qui se chiffre en millions de francs CFA. Cette taxe est une véritable poule aux œufs d’or pour la mairie, qui affiche une bonne santé financière. Pour cette année, la mairie va enregistrer un excédent budgétaire de 700 millions de FCFA. Si le combat pour l’instauration de cette taxe de cession tenait tant à cœur à la municipalité et à ses habitants, c’est en grande partie parce qu’elle représente la principale source de revenus de l’île, qui ne compte que très peu d’autres moyens de générer des fonds. « La taxe municipale représente 80% de notre budget. A part ça, les autres revenus proviennent des échoppes, les restaurants, le droit d’image et les fonds de concours de l’Etat », évoque Djibril Seck.

Avec son apport considérable au budget de la municipalité, la taxe de cession permet à l’institution de mener à bien plusieurs projets, notamment en rapport avec la préservation de l’environnement. Avec plus de 50 000 visiteurs en moyenne par mois, Gorée met les bouchées doubles pour entretenir continuellement son cadre de vie. Djibril Seck détaille l’organisation de la commune dans le domaine : « Il y a des agents qui font, tous les jours, le nettoyage de l’île par secteur. Il y a 2 collectes d’ordures par jour avec notre âne. Il y a une collecte le matin et une autre le soir. D’ailleurs, on va vers la certification de l’ISO 2014. Cette taxe municipale permet de payer ces employés pour l’entretien de l’île ».

Au regard de tous ces arguments exposés, le conseiller municipal espère que les visiteurs comprendront désormais l’importance de cette taxe pour l’île.

Venir à Gorée, c’est se replonger dans les heures sombres de l’esclavage. Un retour invitant à la méditation et au devoir de mémoire. Toutefois, cette immersion dans l’histoire a désormais un coût, qui suscite des interrogations et des débats. La taxe municipale imposée à chaque visiteur rappelle que préserver ce patrimoine mondial a un prix, mais pour certains, elle soulève aussi la question de l’accessibilité à ce lieu de mémoire universel. Une question de responsabilité partagée, entre l’entretien nécessaire de Gorée et le droit inaliénable de chacun de se confronter à son histoire.

Seneweb

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