LE LAC ROSE REVIT, POUR COMBIEN DE TEMPS ?
Après avoir viré au vert suite aux inondations de 2022, le célèbre plan d’eau reprend vie, ramenant avec lui touristes et paludiers. Mais alors que les amas de sel réapparaissent, un projet de 18 000 logements menace déjà son équilibre précaire
Après deux années et demie de couleur verte, le lac Retba, plus connu sous le nom de « lac Rose », a retrouvé sa teinte caractéristique en mars dernier. Ce changement marque un tournant pour l’économie locale, fortement dépendante du tourisme et de l’exploitation du sel.
Située à une trentaine de kilomètres à l’est de Dakar, cette étendue d’eau a été rendue célèbre par le rallye Paris-Dakar, qui y faisait son arrivée finale pendant près de trois décennies, jusqu’à sa délocalisation en 2009 en raison de l’insécurité au Sahel.
Selon Ibrahima Mbaye, président de l’association environnementale Ar lac Rose et gérant du Gîte du lac, le retour de la couleur emblématique s’est produit précisément « le 8 mars ». Cette réapparition a fait sensation à Niague, principal village bordant le lac, dont l’économie dépend largement des visiteurs.
La disparition de la teinte rose remonte à août 2022, quand « les autorités ont ouvert les vannes des bassins de rétention pour éviter une catastrophe dans des zones densément peuplées », explique M. Mbaye. Ces inondations dans la grande banlieue de Dakar ont doublé le volume d’eau du lac, faisant disparaître sa couleur caractéristique qui dépend de la forte concentration de sel sédimenté au fond.
Les conséquences ont été immédiates : les touristes ont déserté le site et « les milliers de paludiers venus du Mali, du Burkina Faso et de Guinée sont repartis en un claquement de doigts », se souvient Ibrahima Mbaye.
La coloration particulière du lac est due à des algues vertes (Dunaliella salina) qui « libèrent des pigments rouges sous l’effet de fortes chaleurs et lorsque la salinité est suffisamment élevée », explique El Hadji Sow, enseignant-chercheur à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, cité par Le Monde. Inversement, « lorsque la salinité de l’eau baisse, la coloration vire au vert ».
Face à cette situation, les riverains se sont mobilisés pour sauver leur gagne-pain. « On a réussi à faire retomber la profondeur de six à trois mètres », se félicite Ibrahima Mbaye, en utilisant des motopompes activées jour et nuit. Des analyses chimiques réalisées fin avril ont confirmé un retour de la salinité à environ « 300 g par litre », un niveau suffisant pour reprendre l’exploitation du sel.
Une reprise progressive de l’activité économique
Aujourd’hui, les amas de sel réapparaissent sur la rive sud du lac. Toutefois, « seule une poignée d’exploitants sont revenus », note Maguette Ndiour, président de la coopérative des exploitants de sel, qui attend encore les fortes chaleurs nécessaires à une production plus importante.
Parmi eux, Ousmane Dembélé, originaire de Mopti au Mali, témoigne des changements : « Avant, c’était beaucoup plus facile. Je n’avais pas besoin d’aller aussi loin dans le lac. Sur les berges, nous n’avions qu’à nous pencher pour récolter le sel. » Maguette Ndiour rappelle qu’auparavant, le site accueillait « 3 000 exploitants pour près de 60 000 tonnes de sel vendues » dans les meilleures années.
Du côté du tourisme, « la reprise est palpable », affirme Hassan Ndoye, 38 ans, patron d’une entreprise de location de quads, qui attend désormais l’été « avec impatience, puisque c’est le pic de [son] activité ». Il souligne l’importance de préserver ce lac pour l’économie locale, notant que « dans cette zone, il n’y a eu aucun départ en mer de jeunes pour émigrer ».
Malgré cette reprise, une inquiétude plane sur l’avenir du lac : un projet de ville nouvelle comprenant 18 000 logements, porté par le groupe égyptien Orascom. Selon Amath Wade, membre du conseil départemental de Rufisque, « si ce mégaprojet voit le jour, le lac va mourir ».
Prévu pour s’étendre sur « trois kilomètres le long de la plage et deux du côté du lac », ce projet signé en 2018 sous la présidence de Macky Sall devrait débuter ses travaux début novembre, d’après un cadre d’Orascom cité par Le Monde.
Pour Amath Wade, « c’est une aberration écologique de faire une telle ville dans cette zone fragile et menacée de toutes parts, déjà, par la bétonisation ». Les tensions sont palpables, au point que le préfet de Rufisque aurait menacé certains habitants d’interpellation s’ils s’opposaient à une opération de reboisement menée par Orascom.
Si le lac Retba a retrouvé sa couleur rose, l’horizon semble ainsi s’assombrir pour les communautés qui en dépendent.
seneplus
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