MACKY DANS UN DILEMME CORNÉLIEN
Le fast-track, qui doit impulser avec célérité, diligence et efficacité la mise en œuvre du PSE II, est encore coincé par la bataille des places et les logiques bassement alimentaires qui minent le parti présidentiel
Après le casting gouvernemental effectué le 7 avril dernier, un vent de contestation souffle de plus en plus dans la mouvance présidentielle. Certains militants pur jus de l’Alliance pour la République (APR), qui pensaient entrer enfin dans un gouvernement, ont fait vite de déchanter. Résultat : depuis le 8 avril dernier, les frustrés, comme s’ils s’étaient passé le mot, étalent toute leur amertume dans les médias et réseaux sociaux. Sans doute pour donner un coup d’arrêt à ces agitations qui prennent les allures d’une fronde, le président de l’APR a convoqué une réunion d’urgence ce lundi pour remettre les pendules à l’heure.
« La seule quête qui vaille pour un homme public est le jugement de ses concitoyens. Ne jamais laisser la place aux médisants et aux comploteurs. Les actes que posent les autres méritent réflexion et réaction en vue de prendre le meilleur cap pour agir. Je suis très honoré par les encouragements de mes concitoyens qui me reconnaissent dans la rue, ou qui m’appellent en me disant de continuer de persévérer. Le temps est venu pour moi de mener une vraie introspection au sortir de laquelle je définirai ma ligne de conduite. Merci à tous ceux qui m’ont porté un témoignage d’affection, à ceux qui soutiennent mes activités politiques, à ceux qui me contredisent aussi pour poser le débat citoyen. Le destin est implacable. Le choix d’agir pour le réaliser est un acte de dévotion. Le Sénégal mérite l’expression plurielle car c’est de cela que jaillira le meilleur des avenirs ».
C’est le post qui, 10 avril dernier, a été publié dans la page Facebook de Mame Boye Diao, directeur des services fiscaux des impôts et domaines, par ailleurs responsable apériste à Kolda. Quant à l’avocat Me Ousmane Sèye, leader de la Coalition pour l’émergence (CPE), après le remaniement ministériel, il crache des propos peu amènes pour montrer toute sa déception d’avoir été laissé en rade : « Je constate seulement qu’il y a certaines coalitions qui ont du mérite et qui ne sont pas représentées au gouvernement. Elles se sont battues avec le Président et ne sont malheureusement pas représentées. C’est toujours l’Afp, le Ps et le PIT qui sont représentés dans tous les gouvernements de Macky Sall… Au sein de la CPE, il y a des personnalités, des ressources humaines de qualité qui ont fait leurs preuves dans leurs domaines personnels et politiques. C’est malheureux pour la CPE qui s’est battue avec le gouvernement, avec le Président ».
De son côté, le député d’Oussouye, Aimé Assine, exprime, dans le journal « Les Echos » du 9 avril dernier, toute sa déception après l’absence constatée d’un fils de son département dans le Macky II. « Depuis sept ans, rappelle-t-il, nous n’avons eu aucun ministre pour Oussouye, aucun directeur, aucun envoyé spécial. Pas même un chargé de mission. Et pourtant, tout le monde sait que le département mérite d’avoir un portefeuille ministériel. Au moins, un ministre originaire d’Oussouye. Parce que dans le concert de la Nation, c’est ça l’unité ». Last but not least dans ce concert de lamentations, l’ex-secrétaire d’Etat Youssou Touré n’a pas manqué lui aussi d’indexer, dans le même journal (Les Echos du 13 avril) ce qu’il appelle « l’ingratitude du président Macky Sall coupable d’avoir zappé les fondateurs de l’APR dans l’actuel gouvernement : « un gouvernement restreint oui, mais qu’on n’oublie pas qu’avant tout cela, il y avait des femmes et des hommes qui étaient là. Que les gens comprennent que s’ils sont à certaines stations, c’est qu’il y a eu des gens qui ont les graines de cette belle moisson ! »
Depuis la formation du gouvernement Macky II ou Dionne III, dans la nuit du dimanche 07 avril dernier, un vent de contestation souffle de plus en plus au sein de la coalition présidentielle Bennoo Bokk Yaakaar (Bby). Notamment, ils sont plusieurs responsables apéristes de premier plan à vitupérer les choix de leur leader. Leur levée de boucliers exprime toute leur colère et tout leur désappointement après la formation du nouveau gouvernement et mettent aujourd’hui à nu le malaise qui sévit au sein du parti présidentiel ainsi que dans les rangs des formations alliées. Ces nominations, il faut le dire, ont été faites au détriment des responsables de l’APR bon teint qui se sont toujours battus courageusement pour porter haut et fort le flambeau de la lutte de leur parti. Le constat est patent que le Président Sall se défait de plus en plus de ces femmes et hommes qui ont bravé toutes les tempêtes et intempéries pour mener à bon port la barque beige-marron et faire de l’APR ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Au nombre de ces militants de la première heure et fondateurs de l’APR, on peut citer Alioune Badara Cissé, Abdoulaye Ndour, Mbaye Ndiaye, Abou Abel Thiam, Abdourahmane Ndiaye, Ibrahima Ndoye, Abdoulaye Badji voire Abdou Mbow, tous zappés de la nouvelle équipe gouvernementale. La liste est loin d’être exhaustive.
Les soubresauts auxquels on assiste ne sont pas encore une fronde, mais la grogne monte et commence à s’amplifier au sein de la mouvance présidentielle. Et l’indignation croissante des râleurs et des grognards désabusés commence à inquiéter ou à exaspérer le Président Sall. Plusieurs Sénégalais ne sont pas surpris de constater que des cadres apéristes, militants de la première heure, qui se sont donné corps et âme pour l’accession de Macky à la magistrature suprême, sont sortis de leur réserve ou de leurs gonds pour dénoncer les choix présidentiels de récompenser les derniers venus au détriment des militants des années de braise. Ils ne peuvent plus accepter de continuer d’être écartés depuis 2012 de la sphère décisionnelle des affaires de l’Etat. En tant que militants de premier plan qui se sont battus pour mettre en place ce régime qui se déroule « sans eux », ils tiennent à rappeler qu’ils méritent, à juste raison, des maroquins ministériels. Ils ne supportent plus chez Macky Sall que des militants de la 25e heure et autres alliés, ralliés, transhumants soient promus et chouchoutés au détriment des militants pur sucre de l’APR qui se sont sacrifiés de 2008 à 2012 lors de la traversée du désert parti. Pour ces inconditionnels apéristes de la première heure, victimes du spoil system mackyste, il n’est plus question de se résigner à subir la prédominance avérée des militants et alliés de la 25e heure. Plus question de se voir relégués au rang des citrons pressés et ou de mouchoirs Kleenex jetés après utilisation. Par conséquent, le temps n’est plus à la résignation ou à des silences à la limite de l’hypocrisie. Il faut gueuler et dénoncer les choix du chef pour se faire une place au soleil gouvernemental et goûter aux voluptés du pouvoir.
La fronde de ces membres fondateurs cheminant avec Macky Sal ; depuis la coalition « Dekkal Ngor » en 2019 est d’autant plus justifiée que l’actuel président de la République est entouré de nouveaux lieutenants pour la plupart inconnus au bataillon des années de braise. Où étaient Boun Dionne, Amadou Bâ, Abdoulaye Diouf Sarr, Sidiki Kaba, Ismaïla Madior Fall, pour ne citer que ceux-là quand Abdoulaye Wade défenestrait Macky Sall de l’Assemblée nationale en 2008 ? Certains avaient subrepticement préféré s’exfiltrer pour aller se la couler douce dans des ambassades ou se prélasser dans des organismes à l’étranger. Le manque de considération et l’ostracisme dont sont victimes les militants de la première heure sont devenus une normalité au sein de l’APR. Et cette situation, Me Djibril War l’avait courageusement dénoncée dans ces mêmes colonnes en janvier 2017 avant de se faire rabrouer sans aménités par le chef de l’APR. Le fast-track déjà en panne Juste après la formation du gouvernement de Macky Sall, le grand espoir du peuple sénégalais de voir Macky Sall amorcer, avec la procédure fast-track, les changements tant attendus, commence à céder le pas au scepticisme. Tout le monde soutenait avec certitude que le Président Macky, après avoir gagné les élections, a les coudées franches pour conduire avec sérénité son dernier mandat surtout qu’il n’est pas hanté par une réélection. Mais que nenni ! La convocation d’une réunion d’urgence de son secrétariat exécutif national (Sen) ce lundi pour remettre les pendules à l’heure montre que ce quinquennat risque de ne pas être de tout repos. Soit il utilise le bâton en faisant preuve d’absolutisme pour tenir à carreau définitivement les rouspéteurs et grognards, soit il leur promet la carotte pour calmer leurs ardeurs et apaiser leurs tensions.
Face à cette situation de plus en plus mouvementée dans son parti, Macky Sall doit faire la bonne lecture de la pente glissante sur laquelle il s’est engagé. En tout état de cause, il se trouve dans un dilemme cornélien : satisfaire ses militants et ses alliés de la première heure en leur confiant des directions ou agences juteuses ou bien les sacrifier sur l’autel de considérations subjectives, voire objectives et courir le risque de voir une fronde sourdre dans son parti. Il est permis de préjuger que les remous et les grognes et rognes au sein de la majorité présidentielle ne s’estomperont pas tant que des responsables apéristes pur sucre verront des militants de la 25e heure, ralliés et transhumants truster les places qui, politiquement, leur reviennent de droit. En tant que chef de l’Exécutif et de l’APR, il faudra à Macky Sall assumer pleinement toutes ses responsabilités et rechercher l’équilibre entre le bâton et la carotte. En tout cas, le fast-track, qui doit impulser avec célérité, diligence et efficacité la mise en œuvre du PSE II, est encore coincé par la bataille des places et les logiques bassement alimentaires qui minent le parti présidentiel.
Seneplus
Les commentaires sont fermés.