Enquête à la frontière Sénégalo-Guinéenne : Attention, danger !
Le vol de bétail est monnaie courante en Casamance, notamment le long de la frontière sénégalo-guinéenne. Depuis des lustres, ce phénomène, devenu un véritable fléau, empêche les propriétaires de bœufs de dormir à poings fermés. Leurs bêtes sont subtilisées au quotidien. La plupart du temps, par leurs voisins de la Guinée-Bissau, en raison de la prolifération illégale des armes à feu, de la raréfaction des pâturages dans ces zones pastorales, de la porosité de la frontière. Mais aussi du fait de l’insécurité, avec la rébellion qui sévit dans la région méridionale du pays. Enquête sur un phénomène qui décime le secteur de l’élevage…
Le vol de bétail, une marque de bravoure ?
Le vol de bétail est un véritable casse-tête dans les zones pastorales entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. Ce fléau plus que jamais récurrent, a connu des proportions inquiétantes à partir des années 1970. Avec la guerre de libération qui a consacré l’indépendance de la Guinée-Bissau le 10 septembre 1974. On rappelle que le PAIGC, dirigé par Luis Cabral, mais créé par son frère Amilcar Cabral assassiné en 1973, a proclamé unilatéralement l’indépendance de cette ancienne colonie portugaise le 24 septembre 1973. Mais le pays accède à l’indépendance pleine et entière le 10 septembre 1974. La porosité de la frontière en est à l’origine. Mais aussi, du fait de la circulation illégale des armes et la rébellion qui sévit dans la partie sud du pays depuis 1982.
Comble de malheur ! Un groupe ethnique logé en Guinée-Bissau, fait du vol une valeur, une marque de bravoure pour ces voisins. Un signe de virilité. Le vol est bien ancré dans cette société et inculqué aux enfants comme valeur dès le bas-âge. Malgré la détermination des propriétaires à endiguer le fléau que constitue le vol de bétail, les malfrats persistent dans leur basse et sale besogne. Leur modus operandi varie d’une zone à une autre.
Dans certains villages du Sénégal, le long de la frontière, ils sillonnent les coins et recoins, inondent les «Loumas» (marchés hebdomadaires) de certains produits forestiers. Un beau prétexte pour localiser les troupeaux et avoir une idée sur les déplacements des bœufs et des bergers. Parfois, et bien souvent, ils opèrent en pleine journée, au moment où les paisibles citoyens sont sous l’arbre à palabre pour se remettre de la fatigue après leurs éprouvantes activités de la journée, dans les champs d’anacardes ou encore dans la palmeraie pour certains travaux.
Un fléau difficile à endiguer, malgré les comités de vigilance
A bord d’une moto-Jakarta, nous sommes ici à Marsaille (région de Sédhiou-département de Goudomp). Ce village de la commune de Yarakh Balante est à environ 8 km de la Guinée-Bissau. Le voisinage est «plus que difficile avec un groupe ethnique Balante, logé en Guinée-Bissau. Ces voisins de la Guinée ont fini de décimer leurs troupeaux. Pour préserver les rares vaches qui leur restent, les villageois mettent en place des comités de vigilance. C’est le cas à Marsaille, où les populations ont mis sur orbite une Association dénommée «Kinthy Ndia A brani Mala». Il s’agit d’une association pour la lutte contre le vol de bétail, le développement de l’élevage et l’émergence, renseigne son contrôleur, Moustapha Mansaly du village de Kossi.
Jean Séraphin Mané, originaire du village voisin de Birimine (1,5 km de Marsaille) est le président de ladite association. Il se lâche : «Nos parents de la Guinée-Bissau sont loin d’être de bons voisins. Ils circulent librement et impunément avec des armes dans la zone. Chaque fois qu’il y a vol de bétail, nous poursuivons les ravisseurs. Mais sans succès. Les autorités guinéennes refusent de collaborer avec les propriétaires des vaches», se désole-t-il. «Depuis les années 1950, date de l’hébergement du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), par les populations du Balantacounda, notre zone est en proie à toutes sortes d’insécurité, notamment le vol massif de bétail. Après l’indépendance de la Guinée-Bissau en septembre 1973, le Balantacounda souffre dans son âme, le vol de bétail a pris une ampleur inimaginable dans toute la zone.
La rébellion, facteur aggravant…
A ce grand banditisme transfrontalier se greffe la rébellion, qui sévit dans toute la zone depuis décembre 1982. «Le mouvement indépendantiste infiltre le paisible terroir du Balantacounda. Ils volent nos bétails, tuent nos enfants, inondent nos rizières et champs de sang d’innocents. Pis, ils fournissent des armes aux voisins Balantes de la Guinée, qui à leur tour, font des razzias et emportent nos vaches», regrette Jean Séraphin Mané. «Goudomp, Singher, Mangacounda, Simbandi-Balante et tant d’autres localités sont souvent visitées par les indépendantistes, mais surtout les voleurs de bétail qui nous dépouillent de tous nos biens et emportent nos troupeaux», se plaint notre informateur. «Le vol de bétail est devenu récurrent, il est même érigé en règle par nos voisins. Les bergers sont régulièrement pris en otage, malmenés et bien souvent tués à coups de kalachinkov», déplore notre interlocuteur.
Une riposte conjointe préconisée
Pour Jean Séraphin Mané, l’Armée à elle seule, ne peut pas mettre un terme à ce fléau. «Il faut une riposte conjointe, une collaboration étroite entre les populations de tous les villages frontaliers avec la Guinée, et l’Armée, mais aussi avec l’implication des comités de veille dans toute la zone pour peut-être parvenir à éradiquer ce fléau. Nos moyens sont limités pour faire face à ces envahisseurs surarmés. Nous n’avons que nos armes blanches face à des voleurs toujours armés jusqu’aux dents», nous confie-t-il. Grâce aux échanges téléphoniques, leur association a pu enregistrer des cas de vol de bétail. De Janvier 2018 à Octobre de la même année, 432 bovins ont été volés, dont 246 retrouvés dans la commune de Djibanar.
Même les petits ruminants ne sont pas épargnés
Concernant les petits ruminants (chèvres, moutons…), 290 ont été volés, dont 118 retrouvés. 22 porcs ont également été volés, toujours de janvier 2018 à octobre de la même année. «En Janvier 2019, les voleurs nous ont subtilisé 258 ruminants, dont 80 bovins retrouvés, 179 caprins volés dont 79 retrouvés. Au total, 1181 animaux (toutes espèces confondues) volés, dont seulement 523 retrouvés de janvier 2018 à mars 2019, compte non tenu des cas inconnus», relève Jean Séraphin Mané. Pour la plupart des cas dans notre zone, les malfrats viennent le jour, armés de kalachnikov. Avec d’autres armes sophistiquées, ils écument les pâturages, molestent les bergers et emportent les troupeaux. «En 2016, un berger et un chef de village de Faradiangho ont été sauvagement malmenés, en plus d’un berger, Malang Diatta, tué le 15 novembre en pleine nuit par les voleurs au milieu de son troupeau à Kossi. Une enquête a été ouverte par la gendarmerie de Samine. En vain ! Toujours pas de suite. C’est plus que du vol. Les malfrats viennent quand ils veulent, le jour ou la nuit, surarmés, dictent leur loi et prennent de force nos vaches, en proférant même des injures et des insanités de toutes sortes, avant de regagner l’autre côté de la frontière», se désole le président de l’Association pour la lutte contre le vol de bétail dans la zone de Marsaille.
Une main armée derrière les malfrats ?
Les voleurs de bétail bénéficieraient-ils d’un soutien occulte ? C’est en tout cas la conviction de notre interlocuteur. Pour Jean Séraphin Mané, les voleurs de bétail bénéficient de la complicité, voire du soutien de l’Armée guinéenne. «C’est aussi clair que l’eau de roche. Les voleurs de bétail bénéficient du soutien des militaires guinéens. Ces derniers leur fournissent des armes. Nous pensions qu’avec l’accession du Président Jomav (José Mário Vaz) au pouvoir, les choses auraient changé pour au moins un bon voisinage. Mais elles ne font qu’empirer, les voleurs sont plus que jamais opérationnels. Il nous arrive très souvent d’entrer en territoire guinéen pour rechercher nos vaches volées. Mais, peine perdue», s’offusque M. Mané. Aujourd’hui, les populations établies le long de la frontière avec la Guinée-Bissau n’osent plus laisser leurs vaches et d’autres ruminants divaguer, sauf les troupeaux à proximité des cantonnements militaires. C’est le cas ici à Marsaille, Assoumoul, Bafata, et Simbandi-Balante. Il n’y a pas assez de cantonnements militaires dans la zone. Nous n’avons que deux brigades de gendarmerie, une à Goudomp et une autre à Samine», renseigne notre informateur.
Paradoxe ? Même dans la commune de Samine, où se trouve une brigade de gendarmerie, les braquages sont légion. «C’est le cas en 2019 à Samine. Trois fois de suite, des boutiques ont été visitées par les assaillants. Le dernier braquage remonte au 15 mars dernier, des marchandises ont été emportées et plus de 250 000 F Cfa, volés en pleine nuit. Le dernier braquage en date a eu lieu après trois tentatives au marché de la commune de Samine en février 2019. C’est dire que même les localités où sont implantés des cantonnements militaires font les frais des ravisseurs, la nuit et bien souvent en pleine journée. En somme, avec ces voleurs de bétail, l’insécurité totale est la chose la mieux partagée dans le Balantacounda et tout le long de la frontière avec la Guinée-Bissau», s’émeut Jean Séraphin Mané.
Des terres spoliées
La galère des populations est d’autant plus intenable que leurs terres leur sont aussi arrachées par leurs voisins de la Guinée-Bissau. C’est le cas à Kossi, un village distant de la Guinée d’environ 06 km. Ici, en plus des vols de bétail, les assaillants occupent, de force, les terres des villageois depuis plus de quatre (04) ans. Les voisins de la Guinée leur ont arraché une grande partie des terres pour en faire des champs d’anacardes. «Outre notre bétail qu’ils volent au quotidien, cela fait bientôt cinq ans que des voisins de la Guinée nous ont dépouillés de nos terres. Ils ont franchi la frontière pour venir occuper une large partie de notre terroir. Plusieurs hectares de nos terres sont exploités par ces malfrats surarmés et prompts à riposter avec leurs armes à feu si nous réclamons nos terres», informe Seydou Mansaly, chef du village de Kossi.
L’Etat encore et toujours interpellé
Les autorités étatiques sont bel et bien informées de cette situation. Une véritable poudrière. Du moins, si l’on en croit le chef du village de Kossi. «L’Etat est informé de la situation, mais aucune réaction de la part de nos dirigeants. Des dizaines d’hectares de nos terres sont occupées de force par des Guinéens. Idem à Yarakh», rouspète Seydou Mansaly. «Nous avons saisi le Préfet de Goudomp, le Sous-préfet de Diattacounda et les agents des Eaux, Forêts et Chasse en 2018. Récemment, une délégation du village s’est rendue à Diattacounda ; les autorités locales ont promis de poser des actes après les élections. Mais jusqu’ici, les choses sont en l’état. Rien n’est encore fait. Nous avons aussi rencontré notre maire, Ousmane Mansaly de Yarakh, pour le même cas», s’indigne le chef du village de Kossi.
Les populations prêtes à sortir leur artillerie
Trop, c’est trop ! En marge de leurs troupeaux dont ils sont dépouillés, les envahisseurs les dépossèdent de leurs terres. Sous le nez et la barbe des autorités. De Kossi à Yarakh, jeunes, vieux, tous sont plus que jamais déterminés à faire face aux envahisseurs. Au prix de leur vie, si l’Etat persiste dans son mutisme. «Nous en avons ras-le-bol. Jusqu’ici, notre silence s’explique par le refus d’une effusion de sang. Ce sont nos voisins. Mais la situation commence à atteindre des proportions inacceptables. Nous interpellons encore les autorités locales et nos gouvernants, notamment le pouvoir central. Si rien n’est fait, nous n’hésiterons pas à riposter, avec toutes les conséquences qui en découleront. Il s’agit pour la plupart, des Mandingues de la Guinée, qui ont envahi et vendu nos terres», prévient Seydou Mansaly, chef du village de Kossy.
IGFM
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