QU’EST-CE QUI FAIT DONC COURIR MACKY ?

Pourquoi ces rencontres au pas de course avec les responsables de son camp ? A l’évidence, le président mijote quelque chose et a un projet ou une idée derrière la tête – Pour ne pas dire qu’il cache quelque chose aux Sénégalais

Le professeur Moussa Diaw de l’Ugb et le journaliste Ibrahima Bakhoum répondent à cette question.

Après l’annonce de la suppression du poste de Premier ministre le samedi 6 avril dernier pour, dit-il, aller très vite dans sa politique — une volonté d’accélération résumée par son désormais fameux slogan « Fast-track » —, le président de la République a entamé des séries de rencontres avec les responsables de son parti, les députés de la majorité présidentielle et les alliés. Des actes qui poussent beaucoup à se demander ce qui fait… courir le président de la République si réellement il effectue son dernier mandat à la tête de notre pays.

Après la proclamation de sa victoire par le Conseil constitutionnel, le président Macky Sall a prêté serment le 2 avril dernier. Quatre jours après, le samedi 6 avril 2019, il a reconduit Mahammad Boun Abdallah Dionne qui annonce à la surprise générale sa nomination comme ministre d’Etat et secrétaire général chargé de préparer… la suppression prochaine de son poste. Le Président voudrait en effet monter en première ligne, supprimer le niveau intermédiaire de décision que constituait la Primature et être responsable devant les Sénégalais. Le tout est résumé dans le mot anglais de « Fast-track ».

Après la formation de son gouvernement composé de 32 ministres et de 3 secrétaires d’Etat, Macky Sall enfile ses habits de politicien et entame une série de rencontres. D’abord avec le secrétariat exécutif national (Sen) de son parti, l’Alliance Pour la République (APR) le lundi 15 avril dernier. Puis, le lendemain mardi 16 avril, avec les députés de sa majorité. Il devrait rencontrer ce jour les alliés de la majorité présidentielle. Pourquoi la suppression du poste de Premier ministre ? Pourquoi ces rencontres au pas de course avec les responsables de son camp ? Pourquoi cette volonté d’aller si vite, d’accélérer la cadence comme disait son ancien Premier ministre Aminata Touré ?

A l’évidence, le président Macky Sall mijote quelque chose et a un projet ou une idée derrière la tête. Pour ne pas dire qu’il cache quelque chose aux Sénégalais. Que nous concocte-t-il au juste ? Nous avons posé la question à un professeur de sciences politiques et à un journaliste. Pour le professeur Moussa Diaw, enseignant chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, les motivations présidentielles peuvent s’appuyer sur la nécessité de préparer un dauphin, quelqu’un qui va le remplacer et qui va assurer la continuité de sa politique. Mais, ce qui pose quand même une interrogation est, selon M. Diaw, que Macky Sall a gagné les élections confortablement et s’est engagé dans un resserrement du gouvernement tout en comptant mettre en œuvre la méthode fast-track pour aller plus vite, épuiser les dossiers et exécuter les projets de l’exécutif avec beaucoup d’efficacité. « Donc, cela, c’est l’argument qui a été développé. Mais, en réalité, est-ce que cela ne cache pas d’autres motivations, d’autres ambitions ? Il y a certainement des motivations cachées et on le saura d’ici quelque temps. Parce que si c’est pour l’efficacité, il pouvait procéder autrement en gardant le Premier ministre. Mahammad Dionne a sa confiance et il l’a remercié publiquement, donc, pourquoi ne pas continuer avec lui ?

Pourquoi décide-t-il de changer le régime politique vu qu’on n’est pas dans une situation de crise ? » s’interroge l’enseignant chercheur à l’Ugb. Quant au journaliste Ibrahima Bakhoum, il pense que Macky Sall veut certainement marquer le coup comme cela se fait dans beaucoup de pays en Afrique. Cela veut dire qu’il va actionner des leviers avec des gens qui vont manifester un peu partout en disant qu’il nous faut encore ce président-là « parce qu’il a beaucoup travaillé et tout ». « Vous avez entendu Ismaïla Madior Fall, son actuel ministre d’Etat, dire qu’ « en principe » le Président ne va pas se représenter. Ce « en principe »-là ouvre tous les principes. Je préfère ne pas donner l’exemple du président tchadien qui aurait dit qu’il voulait partir mais que c’est la France qui l’a empêché de partir. Donc, on ne serait pas surpris d’entendre Macky Sall dire que je voulais partir mais c’est les Sénégalais qui m’ont demandé de rester.

L’autre chose est que même indépendamment de se présenter, il y a eu autant de problèmes lors des législatives. Il y a eu lors de la présidentielle : inscription, sous-inscription, réinscription, désinscription, non-inscription, sur-inscription sur les listes électorales. Donc, cette présidentielle a été entachée par ces points-là. Alors, il a besoin que, s’il va aux locales, sa coalition arrive en tête. Donc, mettre un peu d’ordre en promettant à ses troupes quelque chose lors de cette élection. Toutefois, on a entendu le Premier ministre Mahammad Dionne dire qu’on ne peut pas avoir deux élections en une seule année. En outre, le Président est en train de se précipiter et d’évacuer des points dont il ne voudrait pas parler lors du dialogue. Parmi ces points, la suppression du poste du Premier ministre », explique le doyen Ibrahima Bakhoum.

Des propos relativisés par le Pr Moussa Diaw qui estime qu’il n’y a pas une opposition forte actuellement qui pourrait empêcher Macky Sall de dérouler convenablement ses stratégies. Il se demande donc pourquoi se risquer à changer de régime politique. C’est cela la vraie question, selon lui. Parce qu’avec la suppression du poste de Premier ministre, on va, selon l’enseignant à l’Ugb, assister à une sorte de tripatouillage de la Constitution. Ce du fait qu’on va réformer encore la Constitution avec tout ce que cela engendrera comme transformations institutionnelles et politiques et la démocratie risque d’en souffrir. « Lui, il n’aura pas de problème parce qu’il a la majorité mécanique. Mais, on aura une Assemblée nationale qui n’aura plus la possibilité de contrôler le gouvernement. Il n’y aura plus de déclaration de politique générale. Il n’aura lui aussi plus la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale. Mais, après lui, quand on aura un Président qui n’est pas du même bord que la majorité à l’Assemblée nationale, qu’est-ce qui va se passer ? On pourrait se retrouver avec un blocage parce qu’il n’y a aucun levier permettant de surmonter la situation s’il y a un blocage. Donc, on s’engouffre dans l’incertitude, dans des situations politiques s’il y a blocage. C’est pourquoi sa vraie motivation, on la connait. Certainement, il y a des motivations politiques derrière tous les actes qu’il est en train de poser » soupçonne le Pr Moussa Diaw de l’Ugb.

Moussa Diaw politologue : « Si personne ne s’oppose à Macky, il pourrait se représenter en 2024 »

Ce qui fait dire à l’enseignant chercheur qu’en politique tout est possible. Raison pour laquelle, il est d’avis que Macky veut évacuer très tôt ce problème en disant qu’il ne veut plus en parler. Mais, s’il subit une pression il pourrait se présenter une nouvelle fois en 2024. Parce que rien ne l’empêche, pense-t-il, de le faire tout en sachant que le Conseil Constitutionnel va valider sa candidature s’il la déposait. « Ce, du fait qu’on a dit que les 7 ans qu’il vient de boucler ne sont pas concernés. Ce 5 ans serait son premier mandat. Pour l’instant, il peut évacuer la question. Mais, il peut y avoir une évolution politique. Il y a des pressions. Et si jamais il veut partir, il y a des proches qui l’entourent et qui ne voudraient pas qu’il les lâche. En politique, c’est juste des situations à saisir. Donc, la porte n’est pas totalement fermée. Si personne ne s’oppose à lui, il pourrait se représenter en 2024. Parce que s’il n’avait aucune autre motivation derrière la tête, il n’allait pas s’attarder sur toutes ses réformes notamment avec la suppression du poste du Premier ministre », prévient le Pr Moussa Diaw. Des propos confirmés par le journaliste Ibrahima Bakhoum qui ne serait pas du tout surpris si Macky Sall décidait de se représenter en 2024. Et de développer son argumentation: « Vous savez, il y a des choses qu’on ne dit pas. Lui, Macky Sall, depuis 2012, quand il disait aux gens que je ferai 5ans, il savait déjà qu’il était en situation de faire 7 ans. Donc, aujourd’hui, la loi telle quelle est écrite, et ce sont des juristes qui l’ont dit, lui donne l’opportunité de se représenter en 2024. Parce qu’il n’y a pas de rétroactivité. Et s’il n’y a pas de rétroactivité, il pourrait encore briguer un autre mandat. Le mandat s’appelle 5 ans. On n’a pas dit séjour. On a dit mandat. Si on avait dit séjour à la tête du pays, les 7ans en feraient partie. »

Ibrahima Bakhoum : « Je ne serais du tout pas surpris si le Président Macky Sall se représentait en 2024 »

Néanmoins, le doyen Bakhoum pense que si l’actuel président de la République fait de bons résultats d’ici 2024, il aura, au lieu de se présenter lui-même, déjà préparé son dauphin. « Plutôt que de se dire, retenez moi avant que je ne parte, il dira que ‘puisque vous êtes satisfaits, Dionne est là. Le succès a été obtenu grâce à nous deux’. Et pourquoi, on positionnerait Dionne ? C’est juste pour sécuriser ses arrières », soutient en conclusion le doyen Ibrahima Bakhoum.

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