Les bonnes feuilles du livre d’Ousmane Sonko
L’inspecteur des impôts et domaines, radié de la fonction publique, organise aujourd’hui à Paris la cérémonie de dédicaces de son ouvrage : « Pétrole et Gaz du Sénégal, Chronique d’une spoliation ». L’auteur, qui est également leader du parti Pastef, passe au peigne fin la gestion des ressources pétrolières et gazières et décrit l’ampleur du pillage en soulignant la part de responsabilité des différents acteurs. « L’As » a parcouru le livre pour vous et vous en délivre quelques extraits.
Ousmane Sonko veut innover dans la manière de faire la politique. Loin des invectives et querelles de bas étage, le leader de « Pastef-les patriotes » enfile le manteau d’un investigateur pour, dit-il, éclairer l’opinion sur la très problématique gestion des ressources pétrolières et gazières du pays. Sur 253 pages, Ousmane Sonko traite globalement de l’historique de la recherche pétrolière au Sénégal de 1952 à maintenant ; du cadre légal, réglementaire et contractuel de l’activité ; de la pratique étatique au regard des dossiers Petrotim, Ovidiu, Fortesa…; du rôle des acteurs dans ces affaires : président de la République, ministre de l’Energie, ministre de l’Economie et des Finances, Frank Timis et Aliou Sall…; des pistes d’actions citoyennes et judiciaires pour le recouvrement des avoirs pétroliers indûment octroyés; des propositions d’améliorations du cadre légal et institutionnel pour une gestion profitable des ressources.
Farouche opposant du régime du Président Macky Sall, l’inspecteur des Impôts et Domaines ne met pas de gants en parlant de la question des ressources naturelles. Serviteur de l’État jusqu’à sa radiation, il fait étalage de ses connaissances des rouages et des textes régissant l’administration sénégalaise. Et dans la deuxième partie du livre, il relève tous les manquements. D’emblée, il attire l’attention sur l’incapacité de la société Petro-Tim à respecter les termes du contrat qui la liait à l’État du Sénégal.
« En signant le 17 janvier 2012, le contrat par lequel l’État du Sénégal lui octroie des droits de recherches d’hydrocarbures, Petro-Tim s’engageait à affecter à ces opérations tous moyens techniques, tous équipements et matériels ainsi que tout personnel nécessaire à leur réalisation. (….) En plus des clauses techniques, Petro-Tim s’était engagé à un investissement financier de 96 millions de dollars soit 48 milliards Fcfa », a-t-il constaté. Il estime cependant qu’il était manifeste avant la signature des deux décrets que la société Petro-Tim, contrairement à ses engagements contractuels, n’avait pas les capacités ni techniques ni financières pour mener à bien les opérations de recherche.
Selon lui, la raison est simple, cette société n’existait pas au moment des négociations et de la signature du contrat. « Elle ne pouvait pas en conséquence disposer de références ni techniques ni financières », ajoute-t-il. D’après lui, la société censée s’être engagée avec l’État du Sénégal a été créée le 19 janvier 2012 dans les îles Cayman soit deux jours après la signature du contrat.
Ousmane Sonko demeure convaincu donc que le contrat est illégal. Et pour camoufler « cette première forfaiture » et parachever « le montage délictuel », il est nécessaire, selon le sieur Sonko, de se réfugier derrière une société mère comme bénéficiant d’expérience requise. C’est ainsi que, dit-il, « Petro Asisa » a été créé à Hong-kong, 45 jours après la signature entre Petro-Tim et l’État du Sénégal du contrat de recherche et de partage de production.
En conséquence, le leader de Pastef indique qu’il est tout à fait normal de s’interroger sur les motivations de Macky Sall en signant les décrets d’approbation sur la base d’un « contrat entaché et douteux ». La responsabilité de Macky Sall Ousmane Sonko réserve tout un titre au Président Macky Sall avec des faits accablants. A partir de la page 105, l’auteur essaye de démontrer que le Président Sall savait pertinemment ce qui était dans le dossier en signant les décrets d’approbation du contrat entre l’État du Sénégal et Petro- Tim.
« L’affaire PETRO-TIM est certainement le premier de la longue série. Elle intervient quasiment au lendemain de sa prestation de serment et constitua le premier test grandeur nature du passage du slogan à l’acte : « gouvernance sobre et vertueuse » « patrie avant le parti » (a fortiori famille) ».
Ousmane Sonko rappelle que Macky Sall a occupé par le passé de nombreux postes dans le secteur des mines et des énergies, chef de division banque de données puis Directeur général de Petrosen, avant d’atterrir à la tête du ministère de l’Energie, des Mines, de l’Hydraulique, de l’Equipement et des Transports. Il a été également conseiller du président de la République chargé de l’Energie et des Mines.
« D’ailleurs, ses anciens camarades du Pds, devenus adversaires à partir de 2008, ne lui reprochaient-ils pas, à tort ou à raison, des fautes de gestion à la tête de ce ministère et des accointances douteuses, notamment avec l’américain FORTEZA sur le gaz de Gadiaga ? », écrit-il avant de relever la nébuleuse autour « de la signature des deux décrets d’approbation le 19 juin 2012 à peine deux mois après sa prestation de serment, et en toute connaissance de cause des irrégularités ci-dessus expliquées. »
C’est que, d’après Sonko, le contrat signé sous la Présidence d’Abdoulaye Wade ne conférait aucun droit. « Seul un décret d’approbation du président de la République consacre des droits et des obligations pour les parties signataires. Et Sous le Président Wade, aucun décret d’approbation n’a été signé et publié. C’est le Président Macky Sall qui a signé les deux décrets ayant conféré des droits à Petro- Tim Limited. »
Autre grief, le leader de Pastef estime que le chef de l’État ne pouvait pas ignorer le fait que son frère Aliou Sall était lié à cette affaire. « En sus des liens filiaux et politiques qui le lient à Aliou Sall, le processus qui a conduit à l’attribution des blocs en toute logique ne pouvait être conduit et négocié que par l’administrateur général de Petro- Tim qu’est ce dernier. »
Disparition du dossier fiscal de Petro-Tim
Ousmane Sonko a fait également des révélations sur l’implication du ministère des Finances dans ce ce dossier. « Les cessions de titres et droits miniers de Petro- Tim et Timis et probablement entre ce dernier et Kosmos sont sous le coup de la loi fiscale sénégalaise. Or le 12 avril 2015, j’ai adressé une lettre ouverte au Dg des Impôts et des Domaines (Dgid) lui demandant de réclamer à Petro-Tim et Aliou Sall l’argent des Sénégalais en régularisant leur situation fiscale ».
Mais, souligne-t-il, cette publication a eu l’effet de panique. « Le dossier fiscal de Petro-Tim aurait été transféré illico presto du Centre des services fiscaux de Ngor- Almadies où il était domicilié jusqu’alors vers le très stratégique Centre de grandes entreprises. Là ou il aurait mystérieusement disparu des tablettes de la gestion courante, certainement bien conservé dans les armoires « confidentielles » d’un de ces bureaux feutrés. De toute évidence, la stratégie de la Dgid était d’étouffer l’affaire par le silence et le mépris. »
Ovidiu Tender et Fortesa : « Des dossiers sur la table et contre l’intérêt national »
Par ailleurs, Ousmane Sonko a demandé aux Sénégalais de prêter attention à des dossiers qui sont sur la table et qui sont toujours contre l’intérêt national. Selon lui, les micmacs autour du pétrole et du gaz sénégalais ne se limitent pas au seul cas de Petro- Tim et des deux blocs de Saint- Louis et Cayar Offshore.
« Des pratiques similaires à celles dénoncées plus haut ont été reconduites, à des degrés et sous des formes variables, pour la passation d’autres contrats tels ceux accordés au roumain Ovidiu Tender et à l’américain Fortesa », a-t-il indiqué.
Procès contre les élites administratives et politiques
Le leader de Pastef s’est défoulé, par ailleurs, sur les élites administratives et politiques. Il regrette le fait que les contrepouvoirs ne jouent pas leur rôle face à cette « nébuleuse » sur le pétrole et le gaz. Ceci étant, il s’est d’abord désolé du fait que les enjeux sont colossaux et les risques énormes alors qu’un élan populaire et une masse critique d’ « initiés » engagés tardent à se mettre en place.
De la page 239 à la page 241, l’auteur affirme que les principaux auteurs et promoteurs des forfaitures et agressions contre les intérêts du peuple, ce sont les élites administratives et politiques du pays. Toujours selon l’auteur, l’administration est devenue plus que jamais une passoire politique, gangrénée par le népotisme, le clientélisme, la corruption de ses élites dirigeantes et le conservatisme ».
En réalité, soutient-il, toutes les problématiques abordées et traitées dans cet ouvrage qu’elles soient d’ordre juridique, pratique ou institutionnel ne peuvent trouver voie de règlement qu’auprès du peuple. « Sous nos cieux, les politiques publiques se font toujours sans et souvent contre le peuple. La représentation nationale n’y étant qu’une fiction, la séparation et (surtout) l’équilibre des pouvoirs une accommodation politicienne autour des préoccupations de partage du gâteau étatique, tout un boulevard s’ouvre pour la commission et la perpétuation d’actes de gouvernance « sombre et vicieuse ». Il s’est désolé ensuite du mutisme de ce qui fait office de législature actuelle à l’Assemblée nationale.
Pourtant, affirme-t-il, « la Constitution du Sénégal lui reconnait de très larges pouvoirs de contrôle avec des moyens d’actions tels que les questions orales, les questions écrites et la convocation en commissions permanentes des Premiers ministres, ministres ou directeurs généraux ; ou la mise en place de commission d’enquête parlementaire. Mais il est clair qu’il ne faut pas compter sur une majorité robotique pour mettre en pratique ces prérogatives », dit-il.
Des fleurs à Nafy Ngom Keïta, des pierres à la Justice malade
En ce qui concerne les organes de contrôle, il indique qu’ils sont sous l’autorité et à la merci du président de la République. « Ils ont fini d’éprouver et de prouver leurs limites : soit ils ne sont pas du tout saisis et instruits pour connaitre des dossiers ; soit ils en connaissent, livrent un rapport classé sans suite, selon la coloration politique du client ; enfin s’il se trouve des « téméraires » pour résister aux instructions népotistes, ils passent tout simplement sous la guillotine présidentielle, telle la brave Nafi Ngom Keita éjectée de la tête de l’Ofnac justement à cause du dossierPetro-Tim. Il lui est alors reproché de s’être trop « intéressée » aux petites combines du prince républicain, frangin du Président Macky Sall. »
Quant à la justice, il la qualifie de « grande malade institutionnelle » qui « s’est tellement soumise aux velléités hégémoniques de l’exécutif, tellement aplatie face aux coups de boutoirs et aux agressions répétées de ce dernier que c’est devenu un amusant euphémisme d’entendre quelques vaillants magistrats disserter sur l’indépendance de la justice ».
Il soutient que les belles et principielles théories de la « justice rendue au nom du peuple » d’impartialité » de « célérité », des « droits de la défense » finissent par compter pour du beurre.
« La seule et unique chance de succès d’un combat de principe, tout patriotique soit-il et quelles que soient les qualités intrinsèques de ceux qui le portent ; relève d’une seule et unique condition : l’appropriation populaire et massive des citoyens. Mais avec quel peuple ? », s’est interrogé en définitive Ousmane Sonko.
L’As
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