DANS L’IMBROGLIO JUDICIAIRE

Quels sont les effets du non-respect du règlement n°5 de l’Union économique et monétaire ouest-africaine ? A cette même question, Malick Lamotte, Demba Kandji et Magatte Diop ont donné trois réponses discordantes, selon nombre de spécialistes

À quel juge se fier ? La question mérite d’être posée, en ce qui concerne l’application du règlement n°5 de l’Uemoa. Sur cette question, il y a désormais autant de décisions que de magistrats dans les affaires Khalifa Ababacar Sall et Thione Ballago Seck. Selon que le magistrat se nomme Lamotte, Kandji ou Diop, ou bien selon que le prévenu s’appelle Khalifa ou Thione Ballago, la décision diffère. La confusion, à en croire cette robe noire, va bien au-delà de ces deux affaires. “On a vraiment intérêt à ce qu’il y ait une harmonisation de la jurisprudence sur cette question. Tantôt c’est jaune, tantôt c’est bleu. Ce n’est pas rassurant pour les justiciables’’, tempête-t-il. En effet, dans l’affaire de la caisse d’avance, les avocats de la défense avaient crié sur tous les toits que la procédure devait être annulée, parce que leur client n’avait eu droit à la présence de son avocat aux premières heures de l’interpellation, conformément audit règlement.

En première instance, le président du tribunal de grande instance, Malick Lamotte, avait dit niet. Il bottait en touche cet argument et continuait son procès, comme si de rien n’était. Finalement, il prononça une peine de 5 ans de prison ferme contre l’ancien maire de Dakar. Mécontents, Khalifa et ses avocats interjettent appel et, en même temps, avaient porté l’affaire devant la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Pendant que les juridictions nationales tergiversent, le tribunal communautaire prônait, sans équivoque, une application du règlement, dont la sanction du non-respect est la nullité de la procédure. Forts de cette décision, les avocats de la défense reviennent à la charge et exigent l’annulation de la procédure contre leur client. Contrairement à Lamotte, Demba Kandji, Président de la Cour d’appel, bénit la décision de la Cedeao, mais partiellement.

Le procès-verbal est ainsi annulé, mais la procédure a continué, au grand dam des conseils de l’ancien édile de la capitale. Or, à en croire ces derniers, tous les actes subséquents devaient être annulés et Khalifa Ababacar Sall libéré. Les conseils s’étaient plus tard pourvus en cassation, mais sans succès. Le verdict rendu en première instance fut confirmé et le débat sur le règlement n°5 jeté aux calendes grecques. Plusieurs mois après cette affaire de la caisse d’avance de la mairie de la capitale, revoilà le même tribunal de Dakar qui rend une décision un peu aux antipodes de ce qui avait été décidé par le juge Malick Lamotte. Ironie de l’histoire, c’est l’assesseur de ce dernier qui vient de faire un revirement à 180 degrés, si l’on en croit les avis des experts. Motif invoqué : le même règlement n°5 de l’Uemoa. Maitre Bamba Cissé a eu la chance de vivre les deux expériences de l’intérieur. Avocat et de Khalifa et de Thione, il refuse de faire tout parallélisme entre les deux affaires. Se bornant à saluer la décision rendue au bénéfice de son client. Acculé, il finit par admettre que les arguments avancés par la défense ont été les mêmes et que les positions des juges ont varié. Pourquoi ? “Moi, je suis resté constant et ce sont des arguments de droit qui ont, à chaque fois, été avancés. Mais comprenez que je ne peux pas commenter les décisions qui ont été rendues dans ces deux affaires’’.

ÉCLAIRAGE

À en croire cette source judiciaire, “s’il y a une constance, quelque chose qui est claire, c’est que la conséquence du non-respect du règlement n°5 est la nullité de la procédure’’. Mais pourquoi, dans l’affaire de la caisse d’avance, il a été question d’une annulation partielle, alors qu’ici l’annulation est totale ? Notre interlocuteur déclare : “Il ne faut pas tirer de conclusion hâtive. Il faut au moins voir les motivations du juge avant de se faire une idée.’’

Poursuivant, il explique : “L’annulation de ce procès-verbal entraine normalement l’annulation de la procédure subséquente. Car celle-ci est fondée sur le procès-verbal. Toutefois, si la procédure est fondée, entre autres, sur le Pv et sur d’autres pièces, l’annulation peut se limiter au Pv, mais à condition que les autres pièces puissent justifier cette poursuite de la procédure.’’ Il semble, selon l’expert, que dans le dossier Khalifa Sall, le juge d’appel avait considéré que le rapport de l’Inspection générale d’Etat, qui était à la base des poursuites, pouvait justifier la poursuite de la procédure, nonobstant l’annulation du Pv. Or, analyse-t-il, dans cette affaire du musicien chanteur Thione Ballago Seck, il se pourrait que les poursuites soient uniquement basées sur le Pv. Dans tous les cas, il y a lieu de mettre de l’ordre dans ce qui ressemble à une pagaille qui conforte l’idée d’une justice à plusieurs vitesses.

Seneplus

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