L’AUSTERITÉ BUDGÉTAIRE RATTRAPE LA DIPLOMATIE
Le président Macky Sall a récemment annoncé une modification de la carte consulaire du Sénégal. Des suppressions de bureaux économiques et de consulats que certains diplomates analysent pour “EnQuête’’
Bien avant que l’Assemblée nationale ne valide le projet de loi sur la loi de finances rectificative sanctionnée par une baisse de 83 milliards de francs Cfa sur la loi initiale, le président de la République avait annoncé des réaménagements sur le réseau diplomatique du Sénégal. L’annonce de la suppression de la quinzaine de bureaux économiques de la carte diplomatique sonne comme un effort de rationalisation dans l’une des niches les plus dispendieuses pour les finances publiques sénégalaises.
Mieux ou pis, les quatre consulats généraux du Sénégal devraient trépasser chez Marianne, à savoir ceux de Paris, Bordeaux, Lyon et Marseille. Enfin, une réduction du personnel de l’ensemble de la représentation diplomatique (ambassades et consulats confondus) est prévue. Une diète draconienne dans la diplomatie sénégalaise démontrant la volonté des autorités à donner un exemple pratique que cette cure d’austérité budgétaire ne sera pas uniquement supportée par les consommateurs. Cette mesure rentre dans le cadre d’une stratégie de redressement budgétaire qui ne devrait épargner aucun secteur, en principe : allègement de l’architecture gouvernementale qui se déleste de huit ministères, suppression de la primature, le contrôle des factures téléphoniques de l’Administration…
Pour l’ancien ambassadeur et diplomate de carrière, Excellence Zilkarnaïny Guèye, les choses sont remises à l’endroit. ‘‘La création des bureaux économiques était inutile, car un ambassadeur a comme collaborateurs un conseiller pour les affaires économiques, un conseiller pour les affaires culturelles et un conseilleur pour les affaires consulaires. C’était tout à fait inutile, d’autant plus qu’à l’époque, c’était les douaniers qui s’étaient battus pour prendre ça, comme les journalistes s’étaient battus pour les bureaux d’attaché culturel. Il suffit que le Sénégal nomme des diplomates de carrière qui sont en mesure d’aider l’ambassadeur dans le domaine économique’’, a-t-il expliqué à “EnQuête’’.
Excellence Zilkarnaïny Guèye, ancien ambassadeur : ‘‘Cette suppression n’aura aucune conséquence’’ Pour ce tour de vis budgétaire dans les Affaires étrangères, l’ancien ambassadeur pense qu’il sera sans conséquences. Alors que le Sénégal s’apprête à l’exploitation du pétrole et du gaz dans le premier semestre de 2022, les investissements pourraient souffrir d’une sous-représentation économique. A titre de comparaison, démesurée certes, l’Hexagone, c’est 962 décisions d’investissements étrangers générant 33 682 emplois qui ont sanctionné l’efficacité de la diplomatie économique française, en 2015. Pour le Sénégal, les statistiques sont inexistantes sur l’impact de ces missions. Mais l’ancien diplomate en poste à Washington estime que c’est l’inverse qui devrait se produire pour le Sénégal. ‘‘Cette suppression n’aura aucune conséquence. Au contraire, cela va nous faire des économies.
Diplomatiquement, un ambassadeur a plusieurs fonctions dont celle de renforcement de la coopération aussi bien entre les deux Etats qu’entre les deux secteurs privés’’, analyse Excellence Zilkarnaïny Guèye. Les prévisions économiques peu engageantes expliquent la direction prise par le président Sall, en ce quinquennat débutant. Le début d’ébullition du front social, avec les enseignants demandant le respect des engagements préélectoraux sur une révision de leurs salaires, pousse les pouvoirs publics à donner les gages que tout le monde fait des efforts. ‘‘Il est primordial qu’on ne sente pas que certains se serrent la ceinture plus que d’autres’’, nous explique-t-on. Même si les dépenses de fonctionnement ont haussé et s’élèvent à 911 milliards de F Cfa (+1,7 %) pour la présente loi de finances rectificative, il est clair que l’Etat opte pour une respiration économique et une exécution de certains projets inscrits dans la loi initiale. A ce titre, ‘‘c’est inenvisageable de continuer à supporter certaines dépenses’’. Ces niches asséchées vont servir à renflouer les caisses. D’ailleurs, cet autre diplomate, qui a requis l’anonymat, ne comprend pas qu’on ait mis autant de temps ‘‘à mettre un coup dans cette fourmilière noyautée par l’entrisme politique qui n’était là que pour profiter des franchises diplomatiques et consulaires’’. Il est d’avis, également, que les indemnités versées aux conjoints ou conjointes, louables sur le principe, doivent être révisées.
Renoncement
Par cette cure d’austérité, le Sénégal renonce clairement à développer une diplomatie d’influence et s’apprête à réduire sérieusement sa diplomatie économique. Résultat : seule la diplomatie politique sera valorisée. Les futurs ex-chefs de mission de ces bureaux économiques devraient être redéployés en tant que premiers secrétaires dans des ambassades, d’après les informations qu’on a obtenues. Dernière raison de se ‘‘féliciter’’ d’un tel dégraissage, Excellence Zilkarnaïny Guèye, fidèle à son analyse, est d’avis que ce poste superflu développait des risques de cumul de fonctions où les diplomates de formation étaient concurrencés et parfois même court-circuités par des non-diplomates. ‘‘Les bureaux économiques ont pris une telle ampleur qu’ils étaient pratiquement autonomes et traitaient directement avec d’autres ministères, alors que tous les agents des ambassades doivent traiter exclusivement avec le ministère des Affaires étrangères. Dans l’ensemble, c’est une bonne chose. Moi, j’ai été ministre conseiller à Washington ; je me suis occupé des affaires économiques pendant 5 ans. Puis, on a nommé un douanier à qui j’ai passé le relais, alors que chaque conseiller ou ministre conseiller qui travaille avec l’ambassadeur peut jouer ce rôle. La création des bureaux était un gaspillage’’, a-t-il conclu.
ENQUETE
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