LA FIN D’UN GRAND COMMIS
La nouvelle est tombée, hier, comme un couperet. Et comme une trainée de poudre, elle a, en un laps de temps, fait le tour du pays. Dans les voitures, les Grand Place, partout, ou presque, on ne parlait que de la disparition de l’ancien secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng. Plus même que la brillante victoire des Lions face aux Tunisiens. Alité depuis quelques mois, la nouvelle de son décès n’en a pas été pour le moins surprenant. EnQuête essaie de retracer son parcours plein d’enseignements, à travers son portrait, les témoignages de ceux qui l’ont connu, côtoyé et aimé.
PORTRAIT
Histoires d’un timonier discret
Le secrétaire général national du Parti socialiste (Ps), Ousmane Tanor Dieng, est mort hier en France. Discret, mesuré, clairvoyant, mais ayant également provoqué et subi des revers, l’homme a marqué de son empreinte la vie politique de ces dernières décennies.
“Je dis à mes camarades qu’il faut faire preuve de tolérance, de générosité, et l’histoire de notre parti est faite de scissions, de divisions, de retrouvailles. Mais malgré cela, un noyau dur reste là et convaincu qu’il faut rassembler tous ceux qui le souhaitent pour que nous nous retrouvions pour mener les combats futurs ensemble. J’appelle tout le monde, il n’y a pas d’exclusion. C’est un appel inclusif que je lance à l’ensemble des socialistes de cœur et de raison, adhérents et même ceux avec qui nous avons eu de graves problèmes. Je crois qu’il faut en discuter pour nous retrouver’’. On est le 2 avril 2019. Cet appel à la sagesse est lancé par le secrétaire général national du Parti socialiste (Ps), Ousmane Tanor Dieng, au Centre des expositions du Cicad. Macky Sall venait tout juste d’être investi président de la République pour un second mandat et Tanor appelle au rassemblement, dans ce qui sera son avant-dernière apparition publique officielle. Le surlendemain, des rumeurs de bouderie de la tribune officielle, à la fête de l’indépendance, circulent. Mais le fait est que le natif de Nguéniène (Mbour, Thiès) est malade et est annoncé dans l’Hexagone pour des soins médicaux. Un trimestre plus tard, ce lundi 15 juillet 2019, le trépas est tout venu guérir. Le successeur d’Abdou Diouf et de Senghor à la tête du Ps, rentre les pieds devant de France où il s’était rendu pour des soins. De quelle maladie souffrait-il ? Risqué de s’avancer, tellement l’homme tenait à sa discrétion, malgré une présence presque naturelle dans le paysage médiatico-politique sénégalais. Les témoignages sur cette qualité intrinsèque ayant fait sa renommée, sont d’ailleurs unanimes. Difficile de percer à jour ce sphinx de la politique sénégalaise qui a toujours su regagner ses forces, après avoir touché terre. Après le temps des adversités, interne et externe au Ps, qui a laissé beaucoup d’adversaires et d’anciens proches sur le carreau, Tanor avait dernièrement adopté une posture pacifique pour concilier les positions divergentes de l’espace politique. “Le dialogue est un impératif. De ce point de vue, l’opposition, tout comme la majorité, doivent faire un pas pour se rencontrer et toutes les questions dont on veut discuter, il faut être d’accord sur le principe qu’on devrait se voir et une fois qu’on se voit, les termes de référence vont être examinés et discutés (…) Je suis convaincu que, sur un certain nombre de questions, comme celle relative aux élections, on peut en discuter et trouver des compromis dynamiques. On l’avait fait en 1992 avec feu Kéba Mbaye. Moi, j’y étais et je crois à cela. On doit faire des efforts de part et d’autre pour nous rencontrer’’, avait-il lancé au sortir de l’investiture où il a parlé également sans tabou de son compagnon de route Khalifa Sall.
Souffleur de “verts’’
Ousmane Tanor Dieng, 72 ans, c’est d’abord une formation académique et un parcours professionnel respectables. Son poste de président du Haut conseil des collectivités territoriales vient s’agglutiner à la ribambelle de fonctions qu’il a occupées depuis 1976. Député à l’Assemblée nationale, président du groupe parlementaire socialiste, ministre d’Etat, ministre des Services et des Affaires présidentiels, directeur de cabinet, puis ministre directeur de cabinet du président Abdou Diouf, conseiller diplomatique du président Abdou Diouf, conseiller diplomatique du président Léopold Sédar Senghor, conseiller chargé des affaires internationales au ministère des Affaires étrangères (Division Afrique, Division On u, Secrétariat général)…
Otd a assurément un profil technocrate. Des qualités humaines et managériales qui ont aussi requis des calculs politiciens et une froideur de leader. Il y a sept mois, en fin d’année dernière, il présidait à l’exclusion de 64 membres du Ps, entrés en rébellion ouverte, suite à la directive majeure prise de maintenir l’alliance avec Benno Bokk Yaakaar. Khalifa Sall, le maire révoqué de Dakar, qui était pressenti pour lui succéder, a tenté d’animer un courant à l’intérieur du Ps, sans grand succès. Le défunt secrétaire général du parti a vaincu cette troisième vague de dissidence “khalifiste’’ et maintenu son autorité sur les 22 ans qu’il a passés à la barre du navire socialiste. Otd est rompu à la tâche. Djibo Ka, Modou Amar et Mbaye Diouf ont créé le premier courant, avant que l’exclusion du premier ne débouche sur la création de l’Union pour le renouveau démocratique (Urd) en 1996. Onze ans plus tard, ce qui restait de la vieille garde du Parti socialiste anime également un courant à l’intérieur du parti et oblige Otd à sortir encore une fois la cravache. Les anciens maires de Dakar et de Ziguinchor, Mamadou Diop ainsi que Robert Sagna, Souty Touré et Abdoulaye Makhtar Diop seront poussés vers la sortie. “En 2007 et en 2012, il (Ndlr : Tanor) ne se présentait pas pour être élu président le République, mais pour se construire l’image de chef du Ps. C’était plus la direction du parti que la magistrature suprême qui l’intéressait’’, commentait un analyste politique dans nos colonnes, en novembre 2016. En tout état de cause, la dissidence menée par Khalifa Sall (et Aïssata Tall Sall dans une moindre mesure) ont subi le même sort que les autres. Paradoxalement, à ses victoires internes, le score du Ps a dégringolé à chaque échéance électorale sous Tanor.
Affaibli, le vigoureux appareil socialiste d’avant 2000 a vu son score à la Présidentielle chuter de 41 % en 2000, à 13 % en 2012. Mieux, ou pire, c’est sous la dictée de Tanor qu’un fait inédit est survenu en 2019 : le Parti socialiste, membre de coalition Bby, ne présentera pas de candidat à une présidentielle. Du jamais vu depuis 1963. Etait-ce cette finalité que redoutait tant Khalifa Sall ? Etait-ce pour cette raison pour laquelle l’aile dure des “khalifistes’’ l’a littéralement agressé ce fameux 5 novembre 2016 à la maison du Parti à Colobane ? Il demeure constant que le palmarès politique de Tanor sera également balafré par la condamnation puis la révocation du maire socialiste de Dakar, Khalifa Sall, son ci-devant chargé de la vie politique au Ps. Interpellé sur la question en avril 2019 sur une probable libération de ce dernier, Tanor déclarait ceci : “Ça relève de la compétence exclusive du président de la République. Mais on ne souhaite la prison à personne, surtout quelqu’un avec lequel on a cheminé pendant longtemps. Lui, c’est le président Abdou Diouf qui me l’avait confié. C’est avec déchirement que je le vois dans cette situation.’
Modestie
Celui qui, naguère, pensait que “les victoires électorales sont des victoires techniques’’, a la particularité d’être un homme d’apparence zen, taciturne. Le calme qu’il dégage, la voix fluette, les gestes raffinés et la sympathie ou nonchalance qui en découlent ne sont pas un faux-semblant. L’ancien collégien de Gandon, à Saint-Louis, qui aimait revenir dans sa localité natale de Nguéniène (Mbour) en hivernage pour aider dans les travaux champêtres, est vraiment d’un naturel flegmatique, presque stoïque, dans un milieu où cette qualité passe volontiers pour un handicap. “Les plus grandes douleurs sont muettes’’, aime-t-il dire dans son entourage, selon Abdoulaye Willane. Un trait de caractère certainement hérité d’une ascendance maraboutique paternelle, d’un milieu sérère où l’exubérance est pratiquement péché, et d’une pratique sportive relaxante comme le yoga, la marche et les arts martiaux. “Il est jovial, agréable, d’un commerce facile, souple diplomatiquement. Il ne fait pas de calculs ou de combines. C’est un homme d’équilibre, presque introverti. Il n’est ni avare ni prodigue’’, faisait savoir M. Willane dans un portrait de Tanor publié par “EnQuête’’ en 2016. A écouter le maire de Kaffrine, on donnerait à Tanor le bon Dieu sans confession. Willane est d’autant plus ravi que la vie privée de Tanor ne pollue pas l’espace public. “Il n’y a personne qui pourrait vous dire le nom d’une de ses femmes’’, se félicite-t-il. Son protecteur bienveillant, le président Diouf, est également élogieux dans ses mémoires. “C’était un garçon méthodique, sérieux, travailleur et cultivé’’, écrit l’ancien chef d’Etat.
Facteur bloquant
Tanor a eu la chance – ou la malchance – d’avoir connu un parcours politique plutôt soft, dans un parti qu’il a intégré à partir du gouvernement, grâce à la bienveillance d’Abdou Diouf. En 1995, ce dernier, qui sortait d’une hospitalisation de la hernie discale, se rend compte qu’il est temps de passer le témoin de la direction d’un parti où les clignotants sont au vert. Désireux de dissocier sa charge présidentielle de celle de secrétaire général du Ps, il se heurte au refus de ses camarades socialistes qui l’obligent finalement à une parade. Il crée le poste de président (honoraire) du parti ainsi que le poste de premier secrétaire qui s’attellerait à gérer le parti. Un consensus se dessine autour du ministre d’Etat chargé des Affaires présidentielles Otd. L’appel d’air créé par le départ de l’influent ministre d’Etat Jean Collin est une coïncidence heureuse pour le collaborateur de Diouf. En mars 1996, trois ans après un directorat de campagne victorieux, il est installé à la tête du parti, passant par le haut de l’entonnoir et coiffant au poteau le besogneux secrétaire politique Moustapha Niasse et surtout un ambitieux secrétaire à la jeunesse Djibo Leyti Ka, alors en pleine émergence. La rencontre sera plus tard et depuis qualifiée de “Congrès sans débat’’. En plus d’une charge ministérielle plus proche d’un commissaire politique soviétique qui faisait qu’il était le Premier ministre de fait, ce fameux congrès sans débats vint le blinder comme incontestable et incontesté numéro 2 du parti derrière un Diouf qui avait “tendance à déléguer ses pouvoirs’’. “Pour Tanor bien sûr, c’est une position en or, puisqu’il était à la fois le plus proche du chef de l’Etat et le collaborateur le plus proche du chef du parti’’, a dû concéder le président Diouf dans ses mémoires, tout en se défendant d’avoir voulu le parachuter.
Traversée du désert
L’énarque aux cheveux poivre et sel qui avait dernièrement tropicalisé son dressing code, préférant la sobriété des “sabadoor’’ à la justesse des coupes anglaises, a dû agir comme tout bon politique. Il lui a fallu feindre, envoyer un émissaire au besoin, en changer, rester évasif, trouver un compromis, le dénoncer, reprendre tout à zéro, manœuvrer encore, sans vraiment rien céder sur le fond, pour arriver à ses fins. L’homme, cultivé comme tout bon “senghorien’’, qui aime se livrer à “des pérégrinations livresques’’, a dû faire preuve de génie pour sortir le Ps des abysses de l’après-défaite. Malgré un manque de charisme évident, Otd aura eu le mérite d’avoir protégé les “verts’’ durant les années de fer après l’alternance. La décennie 2000-2012 aurait pu voir le démantèlement du parti, sous les coups de boutoir libéraux. En ce temps, le parti de Senghor n’était qu’une toute petite oasis verte qu’un moment d’abandon risquait de ramener au désert, constamment à la merci de vents de sable déclenchés par “l’ennemi’’ politique héréditaire, Abdoulaye Wade, dont Otd a travaillé à sa participation au premier gouvernement de majorité présidentielle élargie, en 1995. Menacés par ce rouleau compresseur, des cadres socialistes ont dû rejoindre, de force plutôt que de gré, les prairies bleues. “Il a ramassé par morceau les débris qui restaient et avec une patience digne de Pénélope, il a constitué une carapace contre Abdoulaye Wade’’, témoigne Ablaye Willane. Le principal intéressé a avoué récemment qu’un poste de viceprésident lui a été taillé sur mesure par le “Pape du Sopi’’, qu’il a poliment refusé. Même si Otd a eu le talent de tenir le parti le plus structuré du Sénégal sous sa férule, pendant deux décennies, trois déconvenues électorales marqueront à jamais sa gestion. S’il a eu l’honneur, anecdotique, d’être le directeur de campagne perdant de la première alternance politique du Sénégal en 2000, les présidentielles de 2007 et 2012 ont prouvé que ses menées politiques n’excédaient pas la cuisine interne des “verts’’.
Après les luttes, le dégel
A cheval entre la vieille garde politique de la première génération et les jeunes loups aux dents longues nés après l’indépendance, Otd a su résister aux vicissitudes du climat politique sénégalais. Contrairement à ses deux prédécesseurs à la tête du parti, il n’a réussi ni dans la conquête, l’exercice et la transmission du pouvoir. Pis, le grand appareil électoral du Ps, hôte du grand commensal Bby, pourrait bien voir les rôles intervertis avec sa disparition. Après la Présidentielle de 2019 et la reconduction de ses deux fidèles lieutenants dans le gouvernement actuel, des contestations sporadiques ont fusé çà et là, entrainant même la démission du porte-parole adjoint du Ps, Me Moussa Bocar Thiam. Une autre vague de rébellion à laquelle le parti aurait difficilement survécu. Dans les dernières tribulations de sa vie politique bien remplie, mais frappée d’insuccès, le membre de l’Internationale socialiste, qui est allé aller jusqu’au bout, comme d’habitude, quand il s’agit de rébellion interne, a pourtant tenté le dégel après les dissensions. “Je dis à mes camarades qu’il faut faire preuve de tolérance, de générosité, et l’histoire de notre parti est faite de scissions, de divisions, de retrouvailles. Mais malgré cela, un noyau dur reste là et convaincu qu’il faut rassembler tous ceux qui le souhaitent pour que nous nous retrouvions pour mener les combats futurs ensemble. J’appelle tout le monde, il n’y a pas d’exclusion. C’est un appel inclusif que je lance à l’ensemble des socialistes de cœur et de raison, adhérents et même ceux avec qui nous avons eu de graves problèmes. Je crois qu’il faut en discuter pour nous retrouver’’, lança-til le jour de l’investiture de son allié politique Macky Sall. Etant donné qu’en politique, les bons alliés sont les alliés faibles ou affaiblis, le défunt secrétaire général du Ps aura essayé de rassembler les mille bris d’une famille socialiste qu’il a su préserver des avances libérales de Wade pour la soumettre à celles de Macky Sall. Des préoccupations de mortels qui ne sont plus siennes désormais, mais celles d’une famille entre décomposition et recomposition. Dire que son successeur sera à la peine, relève d’une évidence évidente.
Enquête
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