Silence, l’école sénégalaise se meurt
Tel semble être le constat à l’analyse des résultats provisoires du Baccalauréat
millésime 2019 au Sénégal. Les faibles taux de réussite enregistrés au premier tour
traduisaient déja la longue agonie dans laquelle est plongée l’école sénégalaise depuis
des décennies. Les résultats définitifs (37,22% de réussite au niveau national) ne sont
guère meilleurs que les tendances des dernières décennies et présentent des disparités
inquiétantes selon les régions et les établissements.
En effet, aucune région du Sénégal n’atteint la barre des 50% de réussite depuis
plusieurs décennies, pire certaines régions comme Kaffrine n’atteignent même pas
25% de réussite en 2019. Avec un taux moyen de 24,03% sur l’ensemble de la région,
c’est à peine 1 élève sur 4 qui a réussi au bac 2019 à Kaffrine. Nos résultats nationaux
demeurent ainsi ridicules, en comparaison à certains pays comme le Maroc qui
affiche un taux de réussite avoisinant les 78% (plus de 3 élèves sur 4).
Notre indignation est d’autant plus grande, au regard du traitement médiatique dont
ce désastre a fait l’objet; la presse nationale préférant se focaliser sur le tee-shirt
d’untel ou sur les hypothétiques vaudous béninois au détours d’un match de quart de
finale de CAN. Ces épiphénomènes et leurs excroissances constituent des révélateurs
significatifs de l’état chaotique du système éducatif sénégalais et de ce qu’il produit
en sortie, ainsi que l’indifférence totale dont elle semble faire l’objet au sein de la
société sénégalaise. Et si nous voulons nous consoler devant cette tragédie des temps
modernes incarnée dans les résultats du baccalauréat 2019, nous ne pouvons
qu’invoquer les taux catastrophiques jamais atteints de 31,3% réalisés tout
récemment en 2014 et 2015 sous l’actuel régime de Maky Sall. L’année 2019 ne
pouvait être pire.
Cependant, la longue descente aux enfers que nous observons dans notre système
éducatif transcende les différents régimes gouvernementaux ainsi que le traitement
médiatique qui peut lui être réservé. Elle semble trouver son origine dans les aléas et
vicissitudes de la vie économique des années 80 et 90, même si la dégradation
observée ces deux dernières décennies reste profonde et spectaculaire.
Le plan d’ajustement structurel et le resserrement budgétaire qui s’en est suivi
constituent en effet les éléments déclencheurs de la crise de l’éducation au Sénégal.
Si “l’année blanche” de 1988 semblait marquer le début du coma de notre système
scolaire et universitaire; et “l’année invalidée” de 1993 venir brutalement aggraver
sa pathologie, les résultats du baccalauréat 2019 reflètent davantage l’état végétatif
dans lequel se trouve l’Education Nationale dans toutes ses dimensions.
Comment comprendre qu’un Etat puisse consacrer plus de 41% de son budget de
fonctionnement à un des secteurs névralgiques de son économie et produire en sortie
un système aussi opaque, illisible et inefficient que le système éducatif sénégalais.
L’ironie du sort réside dans le fait que nous n’arrivons même pas à obtenir un
pourcentage de réussite au baccalauréat équivalant au pourcentage du budget
national alloué au secteur concerné.
Par ailleurs, les publications annuelles de l’UNESCO sur l’enseignement montrent
que des pays comme la Cote d’Ivoire ou le Burkina Faso réalisent des taux de
scolarisation bruts remarquables au primaire et au secondaire (entre 98% et presque
100% en 2017), en y consacrant une part de leur budget national relativement
beaucoup moins importante, alors que le Sénégal atteint à peine 84% de taux de
scolarisation brut sur le même segment, accompagné d’une aggravation continue du
décrochage scolaire dans le secondaire au cours des dernières années.
En termes plus clairs et directs, comment expliquer que notre système
d’enseignement produise des élèves de 6éme qui ne savent pas écrire leurs noms ;
des enseignants qui n’ont pas les outils nécessaires pour s’approprier le programme
pédagogique qu’ils doivent dispenser ou des étudiants titulaires du baccalauréat qui
peinent souvent à distinguer un COD d’un COI?…
La liste des maux est longue et le chantier est vaste. Il serait même trop ambitieux de
vouloir résumer tous les tenants et aboutissants de la problématique de
l’enseignement au Sénégal dans une seule contribution. Cela est d’autant plus vrai
que les causes et effets de ce chaos s’imbriquent et se confondent dans une illisibilité
rendant improbable toute analyse globale.
En effet, des esprits plus aguerris et des instances mieux outillées se sont penchés sur
le “patient” mais il faut convenir que les thérapies préconisées et appliquées ça et là
se sont avérées inefficaces. De multiples initiatives ont été mises en oeuvre pour
mettre fin à la mort lente de l’école sénégalaise. Des Etats Généraux de l’Education
aux Assises de l’Education, en passant par les divers programmes type PDEF ou
PAQUET, les divers régimes qui se sont succédés ces dernières années n’ont pu
trouver dans leurs parades respectives, des solutions durables pour sortir l’école
sénégalaise de l’ornière.
Le PAQUET ( Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Équité et de la
Transparence, Secteur Education 2013/2025) est la dernière trouvaille de l’actuel régime pour réanimer un système en situation de mort clinique. Il succède au PDEF
( Programme Décennal de développement de l’Education et de la Formation) initié
sous la gouvernance Diouf puis repris et adapté par le gouvernement Wade. Ses
objectifs visent entre autres, un accès universel à l’éducation mais surtout une
amélioration de la qualité de l’enseignement et de la productivité des divers acteurs.
Mais les chiffres sont têtus et il faut convenir que le bilan de la première phase du
PAQUET (2013-2015) est très mitigé en dépit de la volonté du gouvernement de
présenter des résultats partiels positifs. Cette volonté d’enfumage tout aussi
perceptible dans d’autres secteurs de notre économie, révèle une certaine impuissance
à trouver des solutions susceptibles de remettre véritablement sur pied notre système
éducatif. Le programme PAQUET s’en trouve d’ailleurs rallongé de 5 ans par
l’actuel gouvernement, avec une deuxième phase 2018-2030 qui peine à trouver son
chemin.
Il est alors légitime de s’interroger sur la nature des réponses préconisées pour
redonner un nouveau souffle à un système visiblement sclérosé. Les différentes
réponses apportées successivement semblent conjoncturelles ou mal calibrées face à
des problématiques beaucoup plus structurelles dans leurs réalités. Au vu des moyens
engagés dans l’éducation, il apparaît évident qu’il subsiste une absence totale de
rationalisation des ressources allouées, mais aussi une mauvaise exécution des
politiques sectorielles qui trahit l’incapacité de nos dirigeants actuels à exécuter une
politique publique de l’éducation pouvant donner des bons résultats.
Nous héritons alors d’un système éducatif atrophié à tous les niveaux, dont les causes
d’échecs sont protéiformes et tout aussi préoccupantes les unes que les autres.
On peut citer entre autres problématiques :
• Des Curricula et méthodes d’évaluation des connaissances non adaptés
aux réalités que vivent nos élèves et enseignants:
▪ Programmes et méthodes pédagogiques inutilement complexifiés et
difficiles à appliquer pour beaucoup d’enseignants mal formés et peu
accompagnés
▪ Promotion du « Zéro redoublement »
▪ Méthodes d’évaluation des élèves dictées par l’Inspection
d’Académie et qui ne laissent plus aucune marge de manœuvre à
l’enseignant
▪ …
• Des infrastructures manquantes ou vétustes. A titre d’exemple, le nombre
d’abris provisoires s’élevait à la fin de l’année 2017, à plus de 6800 abris sur
un total de plus de 68000 salles de classes (10% du parc scolaire en primaire
et secondaire). Comment peut-on admettre dans notre pays, qu’1 salle de
classe sur 10 soit construite en banco, “crintin”, paille et branchages qu’il faut
très souvent reconstruire à chaque rentrée des classes parce que détruite par
les pluies hivernales, alors que des cas de corruption et de détournement de
deniers publics sont régulièrement portés sur la place publique.
• Une politique peu lisible et mal coordonnée avec plusieurs projets parallèles
au programme principal (projets LPT, RAP, poursuite de certaines méthodes
du PDEF, etc…).
• Une mauvaise allocation budgétaire par secteur et des sources de
financement mal coordonnées qui traduisent une mauvaise définition des
priorités par le gouvernement. C’est ce que suggère le projet RAP
(Renforcement de l’Appui à la Protection des enfants) financé à 4,6 Milliards
de FCFA. Ce projet vise, entre autres, à protéger une population cible de
760.000 élèves de 3 à 18 ans avec 243 ouvrages annexes (notez le bien,
annexes). Ces ouvrages annexes peuvent aller du mur de clôture dans des
établissements triés sur le volet (allez savoir comment), à des espaces
dénommés « amis des enfants » pour amuser la galerie, en passant par des
« bancs maçonnés » (allez savoir ce que c’est un banc maçonné). Alors que
dans des communes comme Kédougou, 3 salles de classes sur 5 sont des abris
provisoires en paille et banco dans lesquelles élèves et enseignants prient
ensemble tous les jours pour que la pluie ne vienne suspendre les cours.
• Une politique de l’éducation non adaptée à nos réalités sociales et sociétales
et qui affichent en toute logique des résultats contre-productifs. En exemple, il
a été rapporté que le concept de « Gouvernement scolaire » du programme
PAQUET a entraîné une dégradation des résultats scolaires de beaucoup
d’élèves du secondaire qui avaient de très bonnes évaluations auparavant.
Beaucoup de ces élèves privilégient régulièrement des activités périscolaires
mal adaptées auxquelles ils ne sont pas préparés, au détriment des vrais
enseignements dispensés en classe.
• Le manque de formation des enseignants qui représente un des plus grands
fléaux de notre système éducatif. Nous sommes sans doute nombreux à
regretter l’ancien système de recrutement et de formation des enseignants avec
l’Ecole Normale Supérieure, devenue maintenant Faculté des Sciences et
Technologies de l’Education et de la Formation (FASTEF). A l’inverse, nous
déplorons profondément le processus actuel de recrutement et de formation
des enseignants vacataires dont les quelques séminaires organisés en amont de
la prise de fonction ne suffisent guère à rendre à notre éducation ses lettres de
noblesse, au contraire.
• Les grèves récurrentes à tous les niveaux du système scolaire et universitaire
qui ont négativement impacté le processus d’acquisition des connaissances
pour plusieurs générations. Cette situation entraîne entre autres, un
développement accéléré des établissements privés sur l’ensemble du territoire national, au détriment de la qualité de l’enseignement dans les établissements
publics.
• Les détournements de fonds qui gangrènent le processus d’attribution des
marchés publics dans le secteur de l’éducation. Des cas de fraudes ont été
révélés sous l’administration du précédent Ministre de l’Education Nationale
et portés à la connaissance de l’OFNAC (l’Office Nationale de lutte contre la
Fraude et la Corruption), concernant l’attribution présumée frauduleuse de
marchés publics de constructions d’équipements éducatifs (réhabilitation des
lycées Mariama Ba et Ahmet Fall, construction de 9 collèges et de 250 salles
de classes dans les régions de Dakar, Tamba, Kaolack, Kolda, Thiès, Saint-
Louis, Kaffrine, Ziguinchor et Fatick).
• Le faible niveau de rémunération des enseignants du primaire et du
secondaire au regard de la noble mission qui leur est dévolue et de leurs
conditions de travail difficiles.
Il en découle un système éducatif quasi-censitaire qui, non seulement consacre la
rupture de l’égalité entre citoyens, mais ne propose aux plus défavorisés que la
déperdition scolaire et une dé-scolarisation précoce.
Cette liste de maux, loin d’etre exhaustive, peut constituer une base de travail pour
qui souhaite contribuer à l’ébauche de solutions durables pour la renaissance de notre
système éducatif, jadis tant convoité dans toute la sous-région.
A la République des Valeurs, nous consacrons déja et continuerons à consacrer nos
plumes et toutes nos énergies à ce noble projet de reconstruction ô combien
déterminant pour la survie de notre société, car il s’agit bien de cela.
Assane KANE & Madany TALL
République des Valeurs Diaspora – USA/France
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