Deux malades du Covid-19 guéris par le Covid-Organics
Après avoir vanté la solution préventive par les plantes en tout début de crise, le président de la République malgache, Andry Rajoelina, a affirmé à plusieurs reprises par allocutions télévisées que les plantes endémiques malgaches étaient la solution curative au Covid-19.
Dans sa dernière intervention ce 19 avril, le chef de l’État dévoile le nom du remède censé changer le cours de l’Histoire : le Covid Organics. Un remède qui laisse sceptique le monde médical et au sujet duquel l’Organisation mondiale de la santé (OMS) émet des réserves.
Le lancement officiel de ce « remède traditionnel amélioré à la fois préventif et curatif » ce lundi 20 avril « suite aux travaux scientifiques des chercheurs de l’Institut Malgache de Recherche Appliquée » est organisé en grande pompe. Un mois jour pour jour après l’annonce des premiers cas de Covid-19 dans la Grande île, le voile est levé. Le remède malgache au Covid-19 se présente sous forme d’une solution à boire, à base d’Artémisia et de différentes plantes endémiques de Madagascar.
Opération de communication et distribution de potion
Pour appuyer ses dires et expliquer ce qu’est l’Artémisia aux téléspectateurs malgaches le 19 avril, le chef de l’État a lui-même lancé sur le plateau de la chaîne nationale TVM, un extrait du documentaire « Malaria Business« , réalisé par le Belge Bernard Crutzen et diffusé en janvier 2018 dans l’émission DOC SHOT de la RTBF. La séquence choisie est tournée à Madagascar.
« Madagascar possède la plus importante superficie cultivée d’Artémisia en Afrique et peut-être même dans le monde« , reprend Andry Rajoelina après la diffusion de l’extrait, avant de préciser le lendemain lors du lancement officiel de la nouvelle potion à base d’Artémisia : « Deux patients, malades du Covid-19 ont déjà été guéris par le Covid Organics. L’une des deux patientes guéries n’est autre que ma tante« .
En présence des ambassadeurs de Chine et de Corée du Sud, des membres du gouvernement malgache, et de nombreux journalistes invités à couvrir l’événement organisé sur le site de l’Institut Malgache de Recherches Appliquées, le président de la République invite tous les convives à goûter la tisane dans une bouteille de 33 centilitres au packaging coloré, arboré du drapeau blanc-rouge-vert. Comme un air de communion solennel, avant de poser pour les photographes, le sourire aux lèvres malgré la légère amertume avouée de la solution.
« Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que nous avons de bons résultats avec cette potion. Elle est notre gilet pare-balles dans cette guerre contre le coronavirus. Nous allons la distribuer gratuitement à tous les Malgaches, à commencer par les cas contacts identifiés« , poursuit le président de la République.
« Nous aussi, ici, nous allons trinquer tous ensemble, nous allons tous en boire« , affirme-t-il avant de revendiquer la première place mondiale dans cette course au traitement contre le Covid-19 : « Nous sommes les premiers à avoir trouvé le traitement contre le Covid-19. Ça ne veut pas dire que nous sommes les meilleurs, mais seulement que nous avons mieux anticipé que les autres« , se targue le chef de l’État dans la version malgache de son discours.
Suite à l’annonce présidentielle, le directeur de l’IMRA, questionné par la presse nationale et internationale, tempère quelque peu : « Il est encore trop tôt pour conclure, mais les deux cas de Covid-19 guéris sont encourageants. Cela dessine une tendance, soyons positifs. La première fonction du Covid Organics est de stimuler le système immunitaire, il est donc tout à fait approprié dans le cadre préventif. La réussite de la recherche dépend de la confidentialité. C’est pour cela que nous gardons le secret de la composition« .
Tous les bénéfices des ventes, seront reversés à l’IMRA. Car le traitement malgache sera bien commercialisé en pharmacie et stations-service à partir de ce mercredi 22 avril. Il en coûtera environ 6 euros pour 7 jours de traitement. Mais là encore, le président de la République rassure, les populations les plus vulnérables devraient pouvoir en bénéficier gratuitement.
L’institut malgache de Recherches Appliquées : l’élu de la présidence
« L’État finance les recherches« , affirme le président de la République face à un parterre de journalistes. Charles Andrianjara, le directeur de cette entité privé reconnue d’intérêt publique, à ses côtés.
Centre de recherche médical et pharmaceutique fondé en 1957 par le professeur Albert Rakoto-Ratsimamanga, l’IMRA a le statut de Centre régional de recherche par l’Organisation de l’unité africaine. « Les chercheurs ont été sollicités par le président pour lutter contre le Covid-19. A l’IMRA, on avait déjà de nombreux médicaments validés scientifiquement pour la grippe, pour la toux, la fièvre… Une quarantaine de médicaments au total. C’est grâce à nos connaissances des plantes que nous avons pu choisir celles qui permettraient de combattre le Covid-19« , retrace le directeur de l’IMRA.
« En 1975, le Pr. Albert Rakoto Ratzimamanga (le fondateur de l’Institut, ndlr), a introduit l’Artémisia à Madagascar. A cette époque, on l’utilisait pour soigner le paludisme. Mais les campagnes gouvernementales pour lutter contre cette maladie ont préféré généraliser l’utilisation de la chloroquine et de la nivaquine, et les distributions de médicaments à base d’Artémisia ont cessé suite à cette décision. A l’époque, lorsque nous avons fait les premières expérimentations avec les extraits d’Artémisia, nous avons constaté que cela pouvait soigner également la grippe, la toux, la fièvre, la pneumonie… Et le plus important : cela tuait les virus. »
« Nous avons comparé nos études avec d’autres études existantes dans le monde et nous avons décidé d’associer des plantes endémiques de Madagascar pour renforcer, optimiser les effets de l’Artémisia. C’est cette association qui a donné le Covid Organics que l’on souhaite partager avec tous les Malgaches, en tant que préventif et curatif.« Depuis le centre de commandement opérationnel de Tananarive, sur le plateau où les membres du gouvernement malgache se succèdent depuis la détection des premiers cas de Covid-19 sur la Grande île le 20 mars dernier, le Directeur de l’IMRA s’est défendu sur la rigueur et les méthodes qui ont abouti à cette découverte : « A l’IMRA, on réalise la convergence entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne. On ne sous-estime pas la médecine traditionnelle, elle est à l’origine de notre concept« .
« Si nous sommes arrivés jusqu’ici, c’est parce que nous avons été soignés par les plantes traditionnelles malgaches d’antan. Les médicaments faits de molécules synthétiques sont arrivés après. Et d’où viennent-elles ces molécules ? 60% d’entre elles viennent des plantes ! »
« Notre expérimentation se base sur la plante pour aller vers les techniques modernes. Nous faisons des tests de toxicité sur les rats. Nous possédons un département médical, un hôpital, pour vérifier l’efficacité des traitements. Nous respectons toutes les étapes scientifiques avant la mise sur le marché et donc la consommation par le patient. »
Vives réactions du monde de la médecine
Le président de l’Académie nationale de médecine de Madagascar n’a pas tardé à réagir par voie de communiqué : « Il s’agit de médicament dont les preuves scientifiques ne sont pas encore élucidées et qui risque de porter préjudice à la santé de la population, en particulier à celle des enfants. La loi malgache stipule que seuls les professionnels de santé au sein des formations sanitaires et non des structures administratives, sont habilités à distribuer des médicaments« .
Dans ce texte, largement partagé sur les réseaux sociaux, le professeur Marcel Razanamparany rappelle les fondamentaux au nom des enseignants-chercheurs en médecine, en pharmacie, des universités, des chercheurs et enseignants, des présidents des Ordres nationaux des médecins, des pharmaciens, mais aussi des sociétés savantes.
Le professeur Stéphane Ralandison, doyen de la faculté de médecine de Tamatave, la seconde plus grande ville du pays, n’a pas tardé à s’exprimer lui aussi : « En tant qu’enseignant et chercheur, nous savons bien la valeur de la médecine fondée sur des preuves. […] Aussi, quand on dit que l’on a trouvé le médicament contre ce virus, à nous de nous poser les questions et de trouver nous-même les réponses« .
« Je vous épargne des données pharmacodynamiques, poursuit-il, car on est soi-disant dans l’urgence et que les remèdes traditionnels ne s’exigent pas de telles règles. Mais au moins, où étaient-ils testés ces médicaments ? Sur quels profils de patients ? Quels étaient les effets attendus puis obtenus ? Par quels moyens les a-t-on mesurés ces effets ? Car si les effets recherchés sont cliniques sur des patients peu ou asymptotiques, et bien… Et si les effets recherchés sont biologiques, je vous lance le défi de pouvoir justifier cela au stade où nous sommes actuellement à Madagascar au vu de nos plateaux techniques. […] Avouez que ce n’est pas bien scientifique tout cela ! »
De l’espoir et des ventes
Jusqu’ici, le remède aurait été proposé aux patients volontaires, malades du Covid-19. La production à grande échelle est désormais lancée. Le Covid Organics sera distribué à la population scolaire en préparation d’examen, selon l’annonce présidentielle. Les candidats au baccalauréat et au BEPC doivent reprendre le chemin de l’école ce mercredi 22 avril, dans le cadre du déconfinement progressif en cours dans le pays.
« La différence entre le médicament et le poison, c’est le dosage« , prévient Erica Rafanoharana, cogérante d’une société distributrice d’une marque bien connue à Madagascar, spécialiste de l’aromathérapie. « Il y a le savoir-faire ancestral, et il y a la vérification en laboratoire. Je travaille dans les plantes depuis plus de 10 ans et, personnellement, j’y crois. Ça donne de l’espoir cette annonce de la présidence à propos du fait qu’on a trouvé un remède au coronavirus grâce aux plantes médicinales de Madagascar. » De l’espoir, chacun en a besoin en cette période d’incertitudes.
« Je pense que le président n’aurait pas pu faire une telle annonce à la télévision s’il n’était pas sûr de l’avancée de ces recherches. S’il affirme qu’un traitement malgache peut être la solution, c’est qu’il a la certitude que c’est le cas. J’ai confiance et j’espère que ça marchera« , assure Zacharia Ahmed, habitant du quartier de Madirokely.
En attendant les résultats définitifs des essais cliniques en cours, les huiles essentielles à base de plantes endémiques de Madagascar, particulièrement celles qui possèdent des vertus antivirales, sont plébiscitées sur les étals de fortune et dans les magasins spécialisés en aromathérapie.
Ravintsara, Niaouli, Eucalyptus, Saro… Les remèdes ancestraux ressurgissent avec la crise et les annonces présidentielles n’ont fait qu’accroître le nombre de convaincus.
« C’est la première fois que j’achète le Ravintsara sous forme d’huile essentielle« , annonce Danielle, une habitante de Nosy Be, sur le point de payer son flacon à la caisse. « D’habitude, nous les Malgaches, on le consomme plutôt sous forme d’inhalation, après avoir fait bouillir les feuilles. Mais en ce moment, elles sont vraiment difficiles à trouver. J’en ai vu au marché, mais elles étaient trop chères, à un peu plus d’un euro la petite poignée, c’est trop. Et puis avec cette huile essentielle, ça durera plus longtemps. »
L’OMS émet des réserves
« À l’heure actuelle, nous n’avons aucune plante médicinale qui a fait preuve de son efficacité concernant la lutte contre le coronavirus. Nous émettons donc des réserves puisque vous savez que l’OMS ne peut émettre ce genre de recommandation que lorsqu’elle détient des évidences, des preuves factuelles scientifiques qui permettent de le faire« , recadre Charlotte Ndiaye, la représentante de l’Organisation Mondiale de la Santé au micro de Sarah Tétaud, correspondante pour Radio France Internationale à Tananarive.
« Cependant, l’OMS encourage et soutient au niveau africain ces recherches faites vers l’utilisation de ces plantes médicinales. En ce qui concerne Madagascar, nous pensons que c’est louable de s’orienter dans la recherche dans le cadre de la protection contre ce coronavirus. »
Multiplication des produits contrefaits et interdiction des exportations
C’est la petite annonce qui accompagne la grande : les plantes endémiques de Madagascar restent désormais à domicile. La recherche nationale en a besoin pour parvenir à produire la solution rempart contre le Covid-19.
« La demande est forte, mais le président de Madagascar – à mon avis à juste titre, pour éviter soit la spéculation sur les matières premières, soit une utilisation incomplète – a bloqué toutes les exportations des plantes endémiques de Madagascar« , explique Patrick Omet, le gérant d’une enseigne spécialisée dans la vente d’huiles essentielles, basé à Nosy Be.
« Depuis le début de la crise, malheureusement, il y a beaucoup, beaucoup de production, beaucoup de consommation, on a décuplé les ventes de Ravintsara. Il faut vérifier la provenance de ces produits, car l’occasion faisant le larron, nombre d’entre eux ne sont ni analysés, ni contrôlés, en termes de qualité et pouvoir médicaux, et sont mis sur le marché de façon informelle. »
Un mois jour pour jour après le début de sa crise de Coronavirus démarrée le 20 mars dernier, Madagascar recense sur son sol 121 cas confirmés, dont 80 cas actifs en cours de traitement et 41 guéris.
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