Royaume du Niani: Symbole du refus et de la convergence ethnique

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Royaume du Niani ! Une simple évocation de ce nom suffit pour plonger plus d’un dans les annales de l’histoire du Sénégal. Cette localité, connue pour être une zone de refus, fut également un point de convergence d’une foultitude d’ethnies venues de plusieurs régions du Sénégal et de pays limitrophes.

Chantée par des musiciens traditionnalistes sénégalais de renom avant d’être reprise par la jeune génération, l’histoire de Niani continue de défier le temps plus de deux siècles après. Niani «Royaume insoumis», Niani «Terre d’accueil». Ces attributs renseignent à suffisance sur le caractère historique de cette localité qui fait partie des rares endroits n’ayant pas connu de domination coloniale. Derrière cette victoire, se cache une autre histoire qui reste une marque de fabrique pour le Niani. Il s’agit de la convergence ethnique notée dans cette localité où beaucoup de communautés se sont implantées progressivement au fil du temps.

André Sarr est historien et géographe de formation. Il assure les fonctions de proviseur du Lycée Bouna Sémou Niang de Koumpentoum. Président de la commission scientifique du Festival Pencum Niani, M. Sarr fait partie des auteurs qui ont retracé l’histoire de Niani dans les volumes publiés dans le cadre du projet de réécriture de l’Histoire générale du Sénégal (Hgs). D’après lui, le peuplement de Niani est très ancien. En illustre l’existence de vestiges comme les mégalithes de Thiékène ou de Douba qui datent de la protohistoire.

Dans l’article qu’il a rédigé avec Abdoulaye Camara, ancien directeur général de l’Ecole nationale d’administration (Ena), André Sarr soutient que les Mandingues du Niani viennent de l’empire Mandé. En effet, les deux auteurs expliquent qu’au XIIIe siècle, le Mandé était secoué par des crises, suite à la révolution menée par Soundiata Keita qui vainquit le roi de Sosso Soumangrou Kanté, à la bataille de Kirina, en 1235. Ces crises avaient été à l’origine de vastes mouvements migratoires. Toutefois, deux sources différentes renseignent sur l’itinéraire des Mandingues du Niani. La première, explique-t-il, avance que les Mandingues seraient passés par Tambacounda, puis par Koumpentoum où il y avait eu d’autres vagues migratoires. Certaines étaient parties à Kaataba et à Kouokoto (vers le fleuve Gambie), tandis que d’autres s’établissaient à Koungheul (…).

 Des Mandingues originaires de Mandé

 Une deuxième source enseigne que les Mandinguess du Niani, en majorité les Camara, seraient venus de l’empire Mandé, plus précisément du village de Niani qui se situe en République de Guinée, près de la frontière avec le Mali. Leur émigration était intervenue suite à un mouvement de désobéissance. Au XIVe siècle, ils quittèrent le Mandé et s’installèrent au Gaabu. Ensuite, ils traversèrent le fleuve Gambie, s’établirent successivement à Kouo, Koumbidian et Koungheul, avant que les deux frères, Kansia et Mansaly, les ancêtres des Camara du Niani, ne se séparèrent à Koungheul. L’un des frères, Kansia, fut le fondateur de Koumpentoum. S’agissant du nom, André Sarr indique que le choix n’était pas fortuit parce que les Mandingues auraient conservé le nom de leur localité d’origine.

Outre les Mandingues, d’autres communautés ont élu domicile à Niani qui a fini par devenir un véritable lieu d’attraction. Il a enregistré l’arrivée des Peuls en provenance du Boundou. «Il y a une relation historique entre ces deux communautés, qui ont cohabité de manière fraternelle. Même si certaines sources soutiennent qu’elles sont venues ensemble. Quoi qu’il en soit, Niani était devenu un terroir d’accueil», souligne l’historien. Il relève également la présence de Peuls dans le Niani, qui sont venus du Macina. Il s’agit, précise-t-il, des compagnons de Koli Tenguéla Ba qui instaura la dynastie animiste des Dénianké au Fouta (XVIe–XVIIe siècle). A ces deux ethnies, s’ajoutèrent d’autres venues du Ndoucoumane (les familles Ndao, Kobor…de Kouthia Gaidy), du Fouta (les familles Sall, Ndome de Malème Niani) et du Jolof qui s’établissent dans le Niani Kalounkadougou. Les chercheurs du «Pencum Niani» notent aussi la présence, certes récente, des Koniaguis, des Bassaris et des Sérères dans le Niani. Les activités du train qui ont commencé dans les années 1920 ont aussi contribué au peuplement avec l’arrivée des Bambaras. Au fil du temps, Niani est devenu un creuset culturel. Aujourd’hui, on dénombre une douzaine d’ethnies : Mandingues, Peuls, Wolofs, Sérères, Bambaras, Laobés, Konianguis, Dialonkés, Peuls Fouta, Maures et Diakhankés.

Mansa Kimintang Camara, l’insoumis

Figure emblématique de l’histoire du Niani, le roi Mansa Kimintang Camara (Kimintang le Grand) fut un personnage respecté et grand défenseur de son terroir et de ses valeurs. Pour André Sarr, ce leader est méconnu au Sénégal. Ses œuvres sont plus appréciées en Gambie. «C’est grâce à lui que cette partie du Sénégal n’est pas tombée entre les mains des colons anglais», rappelle le proviseur du Lycée de Koumpentoum. Il opposa un niet catégorique en refusant la domination que les Anglais, les Français et Lat Dior voulaient lui imposer. Dans la partie de leur contribution consacrée à ce roi, Abdoulaye Camara, ancien directeur général de l’Ecole nationale d’administration (Ena) et le professeur d’histoire André Sarr soutiennent que Kimintang Camara a combattu et chassé les colons anglais de Mac Cathy (Jan-Jan Bouré).

Creuset de croyances religieuses…

Dans leur contribution parue dans le livre Tome III – volume 1/A intitulé «1817-1914, les années d’épreuves, de luttes armées, de renouveau religieux et culturel, de refus de la domination et de la consolidation du pouvoir colonial», de l’Histoire générale du Sénégal (Hgs), André Sarr et Abdoulaye Camara rappellent l’histoire religieuse de Niani avec toutes ses spécificités. Selon eux, l’animisme était la religion la plus répandue au sein de la population qui vénérait les «jalans» (lieux de culte traditionnel). L’utilisation mystique des forces surnaturelles comme les abeilles était très propagée et le lait caillé le plus souvent utilisé comme offrande (…). Lors des rites funéraires, un ou plusieurs bœufs étaient sacrifiés, selon la richesse de la famille du défunt ou de la défunte. «Mais, le Niani a toujours accueilli et protégé les musulmans en leur assurant la liberté de culte. Plus tard, la religion islamique gagna beaucoup d’ethnies. Ce qui modifia notablement les us et coutumes», indiquent les auteurs.

Et de rites…

La société du Niani célébrait différentes manifestations culturelles qui permettaient la formation des jeunes garçons et filles. En effet, dans leur document, André Sarr et Abdoulaye Camara précisent que l’initiation était pratiquée de manière périodique pour une durée de trois mois. Les mêmes rites sont pratiqués, aussi bien chez les Peuls que chez les Mandingues. La circoncision était effectuée, en même temps, dans chaque province par des forgerons dotés de pouvoirs surnaturels. Ces «chirurgiens» étaient appelés «ngaamano», et ils étaient sous la tutelle du roi (…). Chez les hommes, tous les candidats (âgés de 16 à 20 ans) des provinces du Niani pratiquaient l’initiation en même temps. Celle-ci avait lieu en brousse. Chez les femmes, l’initiation avait lieu dans le village. Les candidates étaient âgées de 13 à 16 ans. La protection des initiées était assurée par la «ngaamano» ou exciseuse, une femme forgeron.

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FESTIVAL «PENÇUM NIANI» OU LES PALABRES DE NIANI

Une vitrine pour promouvoir le capital culturel du terroir

Initié depuis 2015 par le Conseil départemental de Koumpentoum, le «Pencum Niani» ou les Palabres de Niani est une manifestation culturelle qui se fixe comme objectif principal de revisiter l’histoire et la tradition du Niani et du Wouly. L’autre but est de discuter avec les populations pour que chaque communauté se voit à travers sa culture et constate en l’autre sa différence. Il s’agit donc d’organiser, tous les ans, trois jours de festivités, de rencontres, de réflexions et de communion, à travers des activités culturelles. Le secrétaire général du Conseil départemental de Koumpentoum, Tidiane Tine, explique qu’en tant que cadre d’analyse, de réflexion, de proposition et de raffermissement des liens de solidarité et de fraternité, ce festival permet d’organiser des rencontres avec les populations sous forme de foras ou d’audiences publiques en définissant les modalités d’échange sur les questions majeures du moment. «Au lieu de nous éloigner les uns des autres et d’établir les rideaux identitaires, nos différences culturelles constituent un vecteur d’intégration et de coexistence culturelle (…)», a indiqué Tidiane Tine. En 2019, lors de la 5ème édition, Koumpentoum avait vibré pendant trois jours au rythme de la diversité culturelle du Niani, avec 12 communautés ethniques qui rivalisaient entre meilleur masque et meilleure prestation.

D’après le secrétaire général du Conseil départemental, la convergence des idées novatrices et fécondes du Niani a permis aussi de disposer d’une monographie complète du département, d’une étude sur les Mandingues du Niani ainsi que sur les Peuls Haboobé du Niani.

La communauté Wolof à l’honneur de l’édition 2020

Le comité scientifique du festival «Pencum Niani» a proposé cette année de travailler sur la communauté Wolof. L’édition précédente était dédiée aux Peuls Habbobé. La 6ème édition, prévue du 25 au 27 décembre 2020, sera l’occasion manifeste pour les organisateurs de consolider les acquis des évènements passés. Cela, par la présentation des entreprises culturelles créées grâce à ce festival ainsi que la mise en œuvre de projets innovants et structurants. Sans oublier que ces industries et entreprises culturelles et artisanales produiront des objets et des œuvres de qualité́.

Le Soleil

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