RESTITUTIONS D’OEUVRES D’ARTS, UN NID À POLÉMIQUES ET UN DOSSIER QUI S’ENLISE
Trois ans après le discours à Ouagadougou d’Emmanuel Macron, qui souhaitait à la jeunesse africaine d’avoir accès à son patrimoine, la restitution des objets d’art volés pendant la colonisation en Afrique et exposés dans les musées français se heurte à de nombreuses difficultés et reste minime.
Le rapport des universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, remis en novembre 2018, appelait à de vastes restitutions des œuvres arrivées en France pendant l’époque coloniale. Mais aujourd’hui, seul un sabre – un objet européen – a été rétrocédé au Sénégal et vingt-six objets le seront d’ici à un an au Bénin.
Ces totems et sceptres, pillés lors de la mise à sac du palais d’Abomey par les troupes coloniales en 1892, restent au Musée du quai Branly tant qu’un musée au Bénin n’est pas prêt pour les accueillir.
Une loi, permettant des dérogations au principe d’« inaliénabilité »des œuvres dans les collections publiques, a permis ces transferts, parce qu’ils avaient fait l’objet de pillages caractérisés.
Le rapport Sarr-Savoy dressait un calendrier de restitutions et un inventaire des dizaines de milliers d’objets que les colons ont ramené d’Afrique. Il proposait un changement du code du patrimoine pour faciliter leur retour quand les Etats africains en feraient la demande.
Dans les limbes
Mais à part quelques pays menés par le Bénin, la mobilisation des gouvernements africains sur les restitutions reste faible. Dans plusieurs pays, les priorités sont autres que les objets d’art pour lesquels les équipements manquent, selon une source proche du dossier.
Quant au projet d’Emmanuel Macron d’une rencontre entre partenaires européens (Belgique, Royaume-Uni, Allemagne principalement) et africains pour définir une « politique d’échanges », il semble être tombé dans les limbes.
Au moins 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne sont dans les collections publiques françaises. Quelque 70 000 d’entre eux au Quai Branly, dont 46 000 arrivés durant la période coloniale.
Selon le rapport Savoy-Sarr, la plupart des œuvres dans les musées français proviennent de butins de guerre, de pillages ou ont été acquis à des prix dérisoires. Des experts contestent ces conclusions. Selon eux, la grande partie des objets africains ont été achetés, offerts, échangés et troqués, mais pas pillés.
« C’est un cri de haine contre le concept même de musée », avait lancé Stéphane Martin, qui a piloté la création du Musée du quai Branly avant d’en prendre la tête, jusqu’à la fin 2019.
« Ce rapport est intéressant à lire attentivement. Un peu virulent mais il fallait l’être », estime auprès de l’AFP le galeriste et collectionneur d’art africain, Robert Vallois.
Des dépôts longue durée
Pour le nouveau président du Musée du quai Branly, Emmanuel Khasarherou, « un mouvement a été donné » par le rapport Sarr-Savoy, qui « nous a enjoints à une sorte d’examen de conscience ».
La difficulté est de retracer l’itinéraire des œuvres. Certaines sont passées entre plusieurs mains : des administrateurs, médecins, militaires ou leurs descendants en ont fait don aux musées. D’autres ont été offertes à des religieux, acquises par les collectionneurs d’art africain au début du XXe siècle, ou encore ramenées lors d’expéditions scientifiques.
Trois problématiques complexifient l’affaire : les changements de frontières après l’indépendance des colonies qui rendent difficiles l’attribution d’une œuvre à un pays, les conditions de conservation des œuvres une fois rendues, et le cas d’objets d’art qui « disparaissent » une fois qu’ils ont été restitués à leur pays d’origine.
Les dirigeants des musées prônent la « libre circulation » pour que les Africains puissent voir les œuvres : organiser des dépôts de longue durée, des prêts, des expositions tournantes. Avec une aide financière à la rénovation ou à la construction de musées.
Du côté des collectionneurs privés, le galeriste Robert Vallois a créé un collectif de marchands d’art pour financer le nouveau musée de la Récade au Bénin, où sont exposées des œuvres africaines tirées de leurs collections. « Ça n’a coûté rien à personne, à part à nous », précise-t-il.