DOSSIER: Ménopause, une règle…déréglée
Après la période de fécondation, place à celle de la ménopause. C’est un passage biologique obligé pour toutes les femmes. Lequel se manifeste par des bouffées de chaleur, de l’insomnie, la nervosité, la mauvaise humeur chez certaines, alors que d’autres ne ressentent rien. De plus, le passage entre les deux phases intervient à 35 ans chez certaines et 50 ans voire plus chez d’autres. La ménopause est une « règle…déréglée » pour reprendre la formule des spécialistes.
PHASE DE MÉTAMORPHOSE DOULOUREUSE
Les confessions intimes de femmes
L’interruption de l’activité ovarienne entraînant l’arrêt de la procréation n’est pas vécue de la même manière par les femmes. Beaucoup d’entre elles sont plongées dans l’incertitude, la confusion, durant cette phase de métamorphose douloureuse.
Des appréhensions, des ouï-dire ou encore de l’ésotérisme, la ménopause est caractérisée par ces paramètres déstabilisants. Le caractère physiologique se heurte à autant d’anxiété chez des femmes. Lorsque surviennent les périodes pré-ménopause et celle de la ménopause en tant que telle, beaucoup de femmes sombrent dans le doute, l’incertitude.
La ménopause fait peu matière à discussion, sauf si quelques amies décident de s’ouvrir un peu plus sur leur « mal du moment ». La cinquantaine dépassée depuis quelques mois, Arame Niang, ménagère, entendait certes parler de cette phase de la vie, mais elle n’avait aucune idée des manifestations. Sa méconnaissance de la chose ne la dérangeait outre mesure jusqu’à ce qu’elle se confronte à un mal être « indescriptible » à la veille de son 49eanniversaire. Son corps brûlant par moment et son cycle tout d’un coup irrégulier l’intriguent. Lors d’une causerie plus ou moins informelle, elle décide de faire part de son changement physique à une de ses amies. Cette dernière lui explique qu’il s’agit de la ménopause, une période qu’elles doivent redouter. « Nous devenons très agressives et nous sommes toujours malades », lui jette à la figure sa confidente. À partir de cet instant, Arame décide d’en parler à son mari qui lui explique que c’est une période « normale » et surmontable.
Mal informées
La mère de famille, rassurée par sa conjointe va se faire consulter. Si Arame a eu deux avis certes différents, Satou Ndiaye, maman de sept enfants, a juste eu un écho de cette période. « Tout est fini, il y a quatre mois environ. J’ai souffert de bouffées de chaleur toutes les nuits », commence à expliquer la dame d’un poids imposant. « Avant d’avoir nos règles à l’adolescence, nous étions sensibilisées à tel point que lorsqu’elles viennent, nous les vivons naturellement. Mais, avec la ménopause, elle survient sans que nous soyons totalement prêtes », explique-t-elle. Les bouffées de chaleur ont entraîné, selon elle, un changement de comportements. « J’étais devenue insupportable pour ma famille. Je ne dormais pas la nuit, j’étais souvent agacée et je m’en prenais aux enfants sans grande raison », se rappelle-t-elle avec un rire railleur. Le mal ressenti durant ces moments se répercute forcément sur les rapports entretenus avec les proches.
« Où avez-vous vu une personne souffrante de bonne humeur ?, s’interroge Marguérite, professeur d’anglais. La ménopause est survenue chez elle à 40 ans. Elle regrette certes la précocité de sa ménopause, mais elle est très déçue de ne pas s’être documentée sur ce sujet. « Lorsque nous ne faisons plus d’enfants, nous n’allons pas vers les gynécologues ou les sages-femmes. Ce tort nous rattrape au moment de la ménopause », reconnaît-elle.
Périodes de trouble
La ménopause cause, chez certaines femmes, des moments de fortes émotions mêlées aux douleurs. Pour Marguérite, les brûlures d’estomac, les bouffées de chaleur ont été très présentes. La compréhension de ses proches ont facilité cette phase. Elle aussi été confrontée à une sécheresse vaginale. La vie intime n’est plus ce qu’elle était. Elle devient même pénible, selon ses dires. « Je souhaite à toutes les femmes des époux compréhensifs », dit-elle.
Sur un ton de confession, Dior Seck décrit la période la plus indélicate de sa vie en ces termes : « Mon entourage pensait que j’étais folle, tout m’énervait. J’étais constamment en colère », lâche-t-elle. Les bouffées de chaleur, le manque d’appétit et de sommeil venaient s’ajouter à son lot de désarroi. Elle faisait avec puisqu’elle n’avait pas le choix. Son mari à la retraite, ignorant ce à quoi était lié ce changement de comportements brusque, le limitait à lui faire des reproches de manière quotidienne. Elle a été dans l’obligation de changer d’hygiène de vie. Un changement relatif à son alimentation. « En fait, je me sentais comme une adolescente qui avait ses règles pour la première fois en même temps, j’étais un peu lourde comme si j’étais en état de grossesse. J’avais des maux de tête, d’articulation aussi », explique-t-elle. Son corps a, selon cette quinquagénaire, mal réagi à la ménopause. Elle avait toutes les peines du monde pour se déplacer au sein même de sa maison.
Mieux vivre sa religion
Bien des femmes se plaignent de cette période pénible physiquement, mais certaines y trouvent le moment idéal pour se rapprocher de Dieu. Étant musulmane, Dieynaba Sy a toujours pratiqué sa religion avec des intermittences (arrêts de certaines pratiques durant les règles). Elle voit, en la ménopause, un moment d’épanouissement religieux. « Je peux, à présent, lire le coran, prier et jeuner autant que je veux. Je n’ai plus de période d’impuretés », confie la mère de six enfants d’âge mûr.
Malgré les douleurs aux articulations et le début d’incontinence urinaire qu’elle vit suite à un relâchement du périnée, elle entend croquer la vie religieuse à plein dents et profiter de ses petits-enfants. Cette phase lui rappelle aussi que son corps est en train de franchir un cap vers la vieillesse. « La ménopause m’a fait prendre conscience que mon corps commence à prendre de l’âge et que bientôt je serai classée parmi les personnes du troisième âge », dit la quinquagénaire entre deux gorgées d’eau. Un constat qui l’emporte dans un fou rire.
Ndèye Fatou Diery DIAGNE
PÉRIODE D’ARRÊT TOTAL DES RÉGLES
Précoce à 35 ans et tardif après 50 ans
Le gynécologue obstétricien, le docteur Sedouma Yattara apporte des éclaircissements sur la précocité et le retard de la ménopause. Avant d’entrer dans les détails, il a préféré définir ce qu’est la ménopause qui n’est rien d’autre que l’arrêt des règles chez les femmes sur une durée d’au moins un an. « C’est à partir de cette période que nous pouvons parler de ménopause », a insisté le gynécologue obstétricien. L’âge de l’arrêt total des règles peut intervenir entre 35 à 50 ans. Lorsque la femme ne voit plus ses règles à 35 ans, c’est la précocité de la ménopause alors qu’à 50 ans, on parle de retard. Mais la moyenne reste 45 ans. « Il peut arriver que la ménopause intervienne après 50 ans, on parle alors de ménopause tardive. Cependant, avant que la ménopause ne s’installe, il y a une phase dite péri-ménopause où les règles commencent à se perturber. Les règles ne sont plus régulières », informe le chef de la maternité de l’hôpital Roi Baudouin, Dr Sedouma Yattara. En effet, la pré-ménopause se manifeste par l’irrégularité des règles, leur espacement tous les deux, voire trois mois.
Abdou DIOP
GROSSESSES APRÈS 45 ANS
L’exception qui confirme la règle
Beaucoup de femmes continuent de voir leurs règles après 45 ans. Toutefois, peu d’entre elles tombent enceintes. La raison, elles n’ont pas suffisamment d’homogites qui sont utilisés durant ses périodes de menstruations. Autrement dit, elles ont de moins en moins d’éléments qui favorisent la fécondation. « C’est ce qui explique pourquoi les grossesses sont exceptionnelles chez les femmes qui continuent de voir leurs règles après 45 ans », informe le spécialiste.
Ces signes qui diffèrent d’une femme à une autre
La période de l’irrégularité des règles dure entre un an et un an et demi avant leur arrêt définitif. Toutefois, les femmes ne réagissent pas de la même manière durant cette période. En réalité, la ménopause est asymptomatique chez certaines femmes et symptomatique chez d’autres. « L’arrêt des règles est le seul signe chez les femmes asymptotiques », renseigne le chef de la maternité de l’Hôpital Roi Baudouin. Par contre, cette période est un vrai casse-tête chez d’autres femmes confrontées à de nombreux problèmes. « La bouffée de chaleur fait partie des signes les plus désagréables. Il y a aussi les céphalées, les insomnies, les troubles de l’humeur faisant que la femme est très nerveuse et ne supporte plus ce qu’elle supportait avant dans la vie ordinaire », a énuméré le spécialiste qui a allongé la liste des manifestations avec la sécheresse de la peau, la sécheresse vaginale.
DR SEDOUMA YATTARA, GYNÉCOLOGUE-OBSTÉTRICIEN
« La ménopause peut rendre la femme vulnérable aux maladies »
Le chef de la maternité de l’Hôpital Roi Baudouin, le docteur Sedouma Yattara, a expliqué pourquoi les femmes sont vulnérables aux maladies durant la période de ménopause.
Est-il possible de traiter les bouffées de chaleur ?
Oui ! Il est bien possible de traiter ces signes de la ménopause. Il y a le traitement hormonal substitutif. La femme est soumise à des pilules pendant un certain nombre de temps. Les hormones qu’elle avait l’habitude de fabriquer par les ovaires ne sont plus produites. Il suffira alors de lui apporter des hormones sous forme de pilules pour la soulager. Et les signes de la ménopause disparaîtront ou bien la femme se sentira beaucoup mieux. En dehors du traitement hormonal, il y a d’autres traitements comme la phytothérapie qui consiste à donner à la femme des recettes qui peuvent soulager les douleurs.
Est-ce que la ménopause peut rendre la femme vulnérable aux maladies ?
La ménopause peut rendre la femme vulnérable aux maladies. L’estrogène est l’hormone qui protège la femme contre beaucoup de pathologies. Il a même été dit que c’est une hormone qui protège le cœur contre des maladies cardiaques. Maintenant, à partir du moment où ces hormones ne sont plus secrétées, la femme devient plus exposée à développer des maladies parce que tout simplement, l’hormone estrogène n’est pas sécrétée.
Quelles sont les causes de la précocité de la ménopause ?
Les femmes n’ont pas toutes le même bilan hormonal. Il y a des femmes qui voient les règles très tôt et qui atteignent aussi la ménopause très tôt. Il y a aussi une explication familiale. Des femmes issues de certaines familles voient les règles plus tôt que d’autres. C’est cela qui explique que certaines femmes voient les règles plus tôt que les autres femmes.
PROFESSEUR CHEIKH IBRAHIMA NIANG, SOCIO-ANTHROPOLOGUE
« Dans nos sociétés, on ne peut pas ramener tout à la procréation »
Le Professeur Cheikh Ibrahima Niang, auteur d’une thèse sur la sexualité, la sociologie et l’anthropologie, analyse la tendance de nos familles nucléaires à restreindre les rôles et les responsabilités de la femme après la fin de la période de procréation. Le socio-anthropologue affirme que la société africaine traditionnelle cultivait la valorisation de la femme âgée.
Comment la ménopause est-elle vécue par les femmes africaines ?
La ménopause est un concept biologique. Mais ce n’est pas un principe fondateur en Afrique, c’est-à-dire que les rythmes biologiques sont inscrits dans une dynamique sociale. Les principes physiologiques ou biologiques c’est-à-dire que les rythmes biologiques sont situés dans les dynamiques sociales. Il faut donc voir, dans la dynamique sociale, quelle est la chronologie sociale qui donne le sens dans lequel la personne évolue. Cela obéit à l’évolution naturelle des individus qui va fixer un certain nombre de statuts par rapport à l’accumulation des années, donc de l’âge. Autrement dit, plus on gagne en âge, plus on gagne en crédibilité et en élévation sociale. Dans ce schéma donc, la ménopause ne pourrait être un facteur de dévalorisation sociale, au contraire. Seulement, il peut y avoir des problèmes psychologiques, comportementaux, traumatiques, lesquels peuvent aussi survenir lors des accouchements, de la circoncision, la naissance et la mort. Ce sont des phénomènes que nous pouvons gérer. C’est ainsi que nous allons voir que dans les sociétés Wolof, Sérère, en Afrique centrale et australe, les femmes ont le reflexe de se retrouver dans des cadres, des cérémonies, des rituels pour assurer le passage d’une évolution biologique ou physiologique qui leur permettent de gérer les éventuels stress pour établir un nouveau rapport entre le corps et la sexualité. Ce vécu est donc mis en cause par de nouvelles dynamiques qui caractérisent les sociétés industrielles. Dans ces sociétés, le rêve de la jeunesse est un mythe fondateur, donc la ménopause va être considérée comme un indicateur, la non-jeunesse c’est-à-dire de la vieillesse. Les jeunes étant la figure dominante qui doit tirer la société de consommation, alors si vous sortez de la jeunesse, le monde vous dévalorise. Aujourd’hui, on fait le culte de la publicité de la jeunesse. Or dans la société africaine, en vieillissant, on acquiert la responsabilité, des connaissances mystiques, médicales pour soigner des enfants et connaître les vertus des plantes médicinales.
Est-ce que la ménopause induit un changement de statut au sein de la société africaine ?
Je pense qu’il faut tenir compte de la diversité des sociétés et des cultures et des changements sociaux. Par conséquent, il est donc difficile de donner une réponse générale. Il faut présenter plusieurs cas sur le concept de la ménopause qui entre dans l’évolution naturelle des choses. Dans une société de consommation, puisque plus on gagne en âge, plus on gagne en respectabilité, on ne prend pas comme référence le biologique, mais plutôt le social et l’on est en face d’une coïncidence entre le rythme social et le rythme biologique. Dans nos sociétés, être « mame » (grand mère), être sujet de « téral » (cadeaux), c’est gagner en grade, c’est avoir un traitement particulier dans la bienséance. En conséquence, tout ne peut pas être ramené à la procréation qui n’est pas nécessairement biologique, mais aussi sociale. En fait, la reproduction peut être aussi bien biologique que sociale, car l’enfant que tu adoptes gagne le statut de ton fils et même au-delà.
Certaines femmes estiment qu’elles ne sont pas aussi considérées comme durant la période de procréation. Qu’en pensez-vous ?
Si la société se réduit à la société « famille nucléaire restreinte », les fonctions de la femme s’arrêtent au fait de s’occuper de ses enfants. Elle peut alors se sentir délaissée au profit d’une autre plus jeune qui viendrait prendre sa place. Mais dans les sociétés africaines anciennes, cette femme là devient tante, « badiène » (tante maternelle), « mame », donc elle a de multiples rôles qui dépassent le fait de procréer. L’enjeu est que nos sociétés ont tendance à se nucléariser et à restreindre les rôles et les responsabilités des femmes qui l’affaiblissent et lui font sentir la ménopause qui devient un enjeu crucial. C’est ce qui pousse les femmes à se retrouver entre génération pour échanger et pour accompagner celles qui viennent d’atteindre la ménopause. Seulement, cette question ne sera pas réglée par les conjoints, mais plutôt par la classe d’âge.
Est-ce que la ménopause est une porte ouverte sur la vieillesse ?
Il y a une coïncidence entre l’évolution physique et le statut social. Lorsque la femme atteint la ménopause, cela veut dire qu’elle change de stade de son évolution sociale. Elle est passée de « Diankh » (jeune fille) à Diek (dame) avant d’être « sokhnassi » (femme adulte), et puis « Mame » (grand-mère). Un changement de paradigme s’impose, sinon nous allons en arriver à copier le modèle occidental et amener nos personnes âgées dans les asiles parce qu’elles ne servent plus à rien. Dans nos sociétés traditionnelles, la femme âgée est revalorisée et accompagnée pour passer le cap de la ménopause.
Le soleil.sn
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