HOMMAGE À JEAN MEÏSSA DIOP, ADIEU MISSIONNAIRE
Il était un journaliste exemplaire à tous égards. Sa plume dense, reconnaissable entre mille, a marqué l’histoire de la presse sénégalaise
« En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. » Psaume 30
« Garde mon âme dans la paix, près de Toi Seigneur. » Psaume 130
C’est avec une profonde consternation que j’ai appris le décès du journaliste Jean Meïssa Diop, affectueusement appelé (JMD). Je ne trouve pas les mots et expressions adéquats qui puissent traduire l’ampleur et la profondeur de ma dévastation. Absent depuis un certain temps du réseau social Facebook, qui constitue notre arbre à palabres, alors qu’il avait l’habitude de nous y servir régulièrement ses posts succulents et digestes, Jean était alité. Je ne pouvais imaginer un seul instant que son absence était liée à une maladie qui, finalement, nous séparera à jamais de ce journaliste d’une dimension exceptionnelle. Les témoignages et qualificatifs qui pleuvent dans les médias et les réseaux sociaux depuis l’annonce de son décès sont unanimes. C’était un journaliste altruiste exceptionnel qui sert et servira de modèle et de référence à toutes les générations. « Le journalisme a perdu un chevalier », pour emprunter cette expression de Tidiane Kassé qui se lamentait lors du décès de son collègue Moussa Paye.
JMD était notre frère, confrère et ami. Il était un journaliste exemplaire à tous égards. Sa plume dense, reconnaissable entre mille, a marqué l’histoire de la presse sénégalaise. Son combat était beaucoup plus axé sur l’exercice professionnel du journalisme qui, de plus en plus, glisse chaque jour sur des outrances extra-professionnelles qui désacralisent ledit métier. Il était en quelque sorte le gardien du temple des médias.
Jamais, je ne ratais sa chronique hebdomadaire instructive, « Media voce » qui illuminait le journal Wal Fadjri. C’était une sorte d’observatoire des médias qui soulignait toutes les dérives des médias de tous les ordres. « Media voce »est devenu « avis d’inexpert » dans le journal l’Enquête. Sauf que l’humble expert d’« avis d’inexpert» soulevait des problématiques et les analysait avec une profondeur qui permettait au lecteur d’appréhender la quintessence de son propos. L’objectif dans ce travail infatigable de perfectibilité, c’est de nous pousser toujours vers l’exigence et la rigueur professionnelles. L’inexpertise qu’il revendiquait dans sa chronique montrait toute l’humilité de l’expert de la profession qu’il fut. Par conséquent, je garde de JMD le souvenir d’un professionnel hors pair, de quelqu’un qui a toujours donné et prôné l’information objective et rigoureuse sise sur l’éthique et la déontologie. Il s’est toujours battu avec sa belle, mais incisive plume contre ce journalisme de révérence et corrompu dont « se servent de marchepied, comme il avait l’habitude de le dire, certains escogriffes de tout poil pour arriver à leurs fins ».
Il fut l’une des grandes figures de proue de la profession, symbole de l’intégrité, de l’objectivité et de la crédibilité. Ces qualités exceptionnelles faisaient de Jean Meïssa un parangon de la profession. Dans sa pratique critique du journalisme, il ne mettait jamais de gants pour dénoncer les dérives répétitives de sa profession qui, comme il le disait avec pertinence, « mène à tout… à la gloire, comme à la déchéance ; à la promotion des causes nobles ou à celle du diable ».
Plus qu’un monument, JMD était un aigle qui a survolé le métier du journalisme. Autoflagellation, introspection, autocritique ! JMD était un homme de liberté et de vérité qui n’avait pas la langue dans sa poche. Pour lui, la remise en cause permanente de la pratique journalistique est le meilleur moyen d’aider le métier en butte à des tentations permanentes, à se perfectionner. À l’instar des Babacar Touré, Ibrahima Fall, Sidy Lamine Niass, Momar Seyni Ndiaye, Cherif El Valide Sèye et bien d’autres figures du journalisme qui nous ont malheureusement quittés, JMD était pour nous un mentor, un inspirateur qui incarnait l’élégance journalistique. Pour JMD, le journalisme est plus qu’une profession, c’est une mission, un sacerdoce. C’est pourquoi il ne cessait d’aller à la traque de cette meute d’expressions creuses, vides et violentes qui a envahi la presse. Quand certains journalistes pensent que seuls les mots violents ou salaces attirent plus les lecteurs, l’inexpert est persuadé que le message journalistique n’a pas besoin d’être enrobé dans un moule de violence, d’agressivité ou de salacité pour atteindre sa cible. Lorsque le lexique offre « des termes plus euphémiques et moins heurtés », rien n’empêche le journaliste de l’utiliser à bon escient pour diffuser son message et le rendre perceptible, accessible et crédible.
Puriste, il rédigeait toujours ses textes dans une belle langue. Ce qui charmait chez lui, c’est l’alacrité de son intelligence qui pétillait et enfiévrait la planète des lecteurs. Jean Meïssa Diop me fait pensait à un autre aussi rayonnant JMD (Jacques Moundor Diouf), jeune journaliste du Soleil décédé le 23 mai 1998 et dont la qualité de l’écriture faisait le bonheur des amoureux des belles lettres. L’enfant de Ndiaganiao affichait ce même purisme dans sa langue maternelle sérère. Au-delà du journaliste de talent se cachait un boute-en-train qui nous servait des posts désopilants. On retiendra de lui cette expression « une telle personne mérite de la cola », pour simplement dire qu’il mérite une consistante récompense. Lui, JMD, mérite la cola de tous ses confrères, de toute sa nation pour les avoir servis dans la dignité, la droiture et la rigueur. Son professionnalisme, son objectivité et son intégrité sans faille continueront de nous inspirer.
Même dans la langue de Kocc, il s’y excellait mieux que plusieurs wolofs. Dans le litige foncier qui opposait le patron de la Sedima Babacar Ngom aux populations de Ndengler, JMD dénonçait cette injustice dans une belle langue française assaisonnée d’expression et de maxime wolof. Il disait avec colère : « Lii ñaaw na (ndlr : c’est vilain) ! C’est révoltant ! C’est scandaleux ! », avant de clore par ce proverbe wolof qui avertit les croyants de tout acte commis injustement dans ce monde ici-bas : « Que Babacar Ngom n’oublie jamais cette sagesse wolof qui enseigne que « boo ragalul sa moroom, ragalal sa Boroom » (NDLR : si vous ne craignez pas votre prochain, craignez votre Seigneur) ! ».
Adieu missionnaire ! Ton existence n’a pas été inutile. Tu as pleinement rempli ta mission ! Daigne le Seigneur t’accorder à présent, la cola (récompense) promise au bon et fidèle serviteur !
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