Covid-19 – les chiffes de l’horreur : 20 inhumations par jour à yoff, 33 à Touba, 5 à Saint-Lazare…

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Les chiffres vont crescendo. La pandémie du Covid-19 ne fléchit pas sa propagation morbide. Hier jeudi, 13 décès dus à l’infection respiratoire ont été déplorés, portant à 614 le nombre de morts depuis l’apparition de la maladie au Sénégal. Même si les tests post-mortem ne sont plus systématiquement effectués, L’Observateur a fait un tour dans quelques cimetières du pays – un échantillon assez significatif – pour constater l’augmentation du nombre d’inhumations.

Devant le cimetière musulman Bakhiya de Yoff, des dizaines d’hommes, autour d’un véhicule pick-up blanc transportant un cercueil, scandent en chœur des éloges panégyriques de Cheikh Ahmadou Bamba au Prophète Mouhamad. Avant de formuler des prières pour le repos de l’âme du défunt venu des Hlm (Dakar). L’horloge affiche 10h, un vent chaud  et humide souffle sur les lieux. Visages consternés, ces personnes accablées de douleur sont venues inhumer un des leurs décédé pour une cause qu’elles disent ignorer. Depuis l’avènement du Covid-19, le nombre d’enterrements est en hausse au cimetière de Yoff.

Yoff enregistre jusqu’à 20 inhumations par jour

Dans ce vaste espace où sont ensevelis nos morts, de nouvelles tombes sont creusées au quotidien. Un fait qui inquiète Ibrahima Diassé, gestionnaire du cimetière. Dans son bureau aménagé dans un bâtiment à l’entrée des lieux, l’homme a le téléphone scotché à l’oreille. Il parle de mort avec son interlocuteur. Sur sa table sont rangés des permis d’inhumer et des registres où sont enregistrés les noms des personnes enterrées à Bakhiya. On y voit aussi une bouteille de gel antiseptique qu’il utilise de temps à autre pour se nettoyer les mains. Sa conversation téléphonique finie, il remet son masque avant de se prononcer sur le nombre de morts qu’il reçoit au cimetière de Yoff. «Par rapport aux années 2018 et 2019, le nombre de défunts inhumés entre 2020 et 2021 a doublé. Avant le Coronavirus, on était à une dizaine d’enterrements par jour. Mais depuis l’installation de la pandémie, on enregistre jusqu’à 20 inhumations par jour», révèle avec regret Ibrahima Diassé. Qui confie que cette hausse des inhumations serait liée aux fortes contaminations au Coronavirus. Car, signale-t-il, depuis l’avènement de cette maladie, le cimetière de Yoff n’arrête pas d’accueillir au quotidien des morts en grand nombre. Même s’il précise qu’ils n’ont pas d’informations sur les causes des décès actuels. «Au début de la pandémie, on pouvait facilement identifier les morts du Covid-19, car c’est peu de personnes qui venaient pour l’enterrement. Cela n’est plus possible parce que les gens viennent en masse et ne respectent plus les mesures barrières», se désole M. Diassé. Qui apprend que la plupart de ceux qui sont enterrés à Yoff sont des jeunes. «Le chiffre des morts inhumés ici au cimetière de Yoff est inquiétant. La moyenne d’âge des personnes décédées est de 50 ans. On y voit rarement des personnes âgées de plus de 70 ans», indique le gestionnaire du cimetière.

Saint-Lazare, jusqu’à 5 inhumations par jour

Au cimetière catholique Saint Lazar, le nombre d’enterrements par jour a aussi connu une hausse. Avant le Covid-19,  Abib Sagna, gestionnaire dudit cimetière, confie qu’il pouvait passer deux à trois jours sans enregistrer une seule inhumation. Mais, de mars 2020 jusqu’à maintenant, dit-il, le cimetière enregistre chaque jour, 2 à 3 enterrements. «Avant le Covid-19, les enterrements se faisaient rarement à Saint Lazar. Je passais parfois trois jours sans recevoir de corps. Maintenant, avec le Covid-19, on peut enregistrer 2 ou 3 inhumations quotidiennes. Pendant les week-ends, on enregistre parfois jusqu’à 5 inhumations», a fait savoir M. Sagna. Qui signale que le nombre d’enterrements par jour est devenu plus inquiétant pendant cette deuxième vague du Covid-19. Depuis le début de l’année 2021, Saint Lazar enregistre parfois 5 inhumations par jour. Pour lui, cette situation est bien liée à la pandémie. «Même si ce n’est pas la cause directe, on peut dire que le Covid-19 joue beaucoup sur cette augmentation des morts. Certains malades meurent faute de respirateurs, parce que tout le matériel médical est consacré aux centres de traitement du Coronavirus. Tout ce mal est causé par la pandémie», s’est désolé Abib Sagna. 

Touba, «une moyenne de 33 corps inhumés par jour»

Bakhiya est le cimetière le plus fréquenté de la cité religieuse de Touba. Il reçoit en moyenne, 35 corps chaque jour. Et en ces temps de pandémie de Covid-19, on franchit facilement la barre des 45 enterrements, à en croire Cheikh Abdou Bakhoum, le conservateur du cimetière. Ce mercredi 27 janvier 2021, le quadra, emmitouflé dans son caftan bleu, a le téléphone collé à l’oreille. Il n’a pas de temps libre pour répondre aux différentes sollicitations. Le conservateur de Bakhiya est débordé par l’arrivée des dépouilles à inhumer. Il oriente les cortèges funèbres pour l’indication de la pelouse et du numéro d’emplacement des tombes. Le ballet des corbillards impose à Cheikh Abdou des va-et-vient incessants entre son bureau – situé à droite, juste à l’entrée des cimetières, le lieu réservé aux prières mortuaires, le site de lavage et l’intérieur des cimetières pour s’enquérir de l’activité des fossoyeurs. Un rythme très soutenu qui met à rude épreuve tout le personnel du cimetière Bakhiya. Interrogé sur la grande affluence de corps notée sur les lieux, Bakhoum s’empresse de botter en touche les affirmations selon quoi, les inhumations ont connu une nette hausse à Bakhiya à cause du Coronavirus. Le conservateur du cimetière interroge, pour étayer son propos, le nombre de morts inhumés à Bakhiya durant l’année 2020. «12 272 corps ont été inhumés ici à Bakhiya, dont 11 103 hommes, 1 168 femmes et 1 corps non identifié. Soit une moyenne de 33 corps inhumés par jour», explique-t-il. Mais il admet qu’à ce rythme, on s’achemine vers une légère hausse des enterrements au niveau de Bakhiya, à la fin de l’année. L’impossibilité pour lui de connaître les causes des décès des corps qu’il reçoit journellement est aussi un autre argument qu’il a brandi. Le conservateur relève un autre obstacle et pas des moindres qui ne permet pas de soutenir que les défunts qu’il enregistre sont morts du Covid-19. «Contrairement à la première vague où nous étions soumis au respect d’un protocole rigoureux et des délivrances d’actes de décès sur lesquels il était clairement indiqué les morts par Covid-19, pour cette deuxième vague, rien de tout ce dispositif n’est de mise. Tout cortège funèbre est soumis au règlement traditionnel en vigueur et si tout se passe conformément à cette disposition, il n’y a aucune raison de s’opposer à l’inhumation du corps.»

Rufisque, Dangou Mbélélane submergé

A l’entrée, un parterre de véhicules stationnés devant le lieu de culte, dont deux corbillards venus déposer des dépouilles. L’un appartient à la commune de Rufisque Nord et on peut lire sur l’autre véhicule «ville de Rufisque». Les deux chauffeurs discutent tranquillement de leur travail. Juste à côté, se trouve le local de l’équipe municipale en charge de la gestion du cimetière d’où s’échappe un récital de Coran distillé par un poste radio. Deux notables assis sur un banc attendent l’enterrement de deux proches. A l’intérieur, deux groupes de personnes s’attèlent à l’inhumation de leur proche, tout en évoquant le nom d’Allah. A en croire l’équipe municipale, depuis l’année dernière, le nombre d’inhumations explose dans ce cimetière le plus fréquenté et le plus représentatif de la ville de Rufisque. «Il nous arrive d’accueillir trois à cinq dépouilles par jour. Un jour, on a reçu exceptionnellement huit dépouilles. Dès fois aussi, ce sont des cas de nouveau-nés», expliquent les agents municipaux trouvés sur les lieux. Toutefois, ils ne peuvent pas confirmer s’il s’agit des décès liés à la pandémie du coronavirus. Une fréquentation explosive, selon les notables de Dangou qui se préoccupent de l’état du cimetière. «Les cimetières de Diokoul sont pleins, ceux de Thiawléne également, tout le monde investit celui de Dangou. Les gens viennent même de Dakar pour inhumer leurs morts, il ne reste que ce petit espace. Si les autorités ne réagissent pas, le cimetière sera bientôt plein», prévient François Goudia Gueye, initiateur du comité de développement du cimetière. Selon lui, deux correspondances ont été envoyées à la première dame, Mariéme Faye Sall, pour l’extension du cimetière qui est coincé entre des titres fonciers. «J’ai fait le constat et les gens ne cessent d’alerter. J’ai décidé, à travers mon émission, de faire un fort plaidoyer pour l’extension du cimetière», indique Khaza Séne, animateur à la radio locale Jokko fm. Venu participer à l’inhumation de sa tante, il est d’avis qu’il est temps de passer à l’extension de la nécropole. Tous, ils sonnent l’alerte. «A ce rythme d’inhumations, Dangou «Mbélélane» risque de ne plus accueillir de dépouilles», avisent-ils.

Louga, jusqu’à 10 corps par jour

Chapelet à la main,  le jeune homme en tenue de mécanicien, franchit la porte principale du cimetière «Toll Pérot». S’avançant lentement vers son véhicule garé sur la  route goudronnée  donnant au quartier  Thiokhna,  il s’arrête un moment et tend ses deux bras vers le ciel. Approché, celui qui venait de prier devant la tombe de son père, décédé dimanche dernier, cache mal son inquiétude : «Aujourd’hui, nous devons avoir le courage de le dire : à Louga, depuis presque un mois, les gens  meurent comme des mouches. Je ne peux attester que ces décès sont causés par le Coronavirus, mais la coïncidence est troublante. On ne reste plus une journée sans  entendre au moins 4 à 10 morts. C’est la triste réalité», se désole-t-il. Les propos de ce jeune ont été confirmés par Pape Samba Bathily, membre du mouvement «Stop Coronavirus», mis en place par des bonnes volontés lougatoises qui luttent contre la propagation de la maladie mortelle. Il dit : «Officiellement, à la date du lundi dernier, la ville de Louga enregistrait onze décès (2 à la première vague et le reste pour la deuxième). Mais à mon avis, ces statistiques ne reflètent pas la réalité, car certains malades évitent toujours d’aller à l’hôpital. Toujours est-il que les décès se multiplient. Ce qui veut dire que certains cas échappent au personnel médical. Il suffit de faire le tour des grands  cimetières de la ville, notamment  «Yeurmendé» et  «Toll Pérot», pour avoir une idée sur le nombre de morts. Ces lieux refusent toujours du monde, ce qui n’a jamais  été le cas. On peut supposer que ces décès sont liés à cette maladie. C’est pourquoi, “Stop Coronavirus” met l’accent sur la sensibilisation, surtout dans certains milieux où la maladie fait des ravages.» Pour cet vieil, il est aujourd’hui quasiment impossible de rester deux heures sans entendre une mosquée annoncer un décès.  “Cette semaine, j’ai assisté au moins à dix enterrements ici au cimetière Yeurmendé. Ceux qui sont enterrés à Toll Pérot sont plus nombreux.  Nous devons tous avoir peur, car pour le moment, l’on ne sait pas qui est malade et qui ne l’est pas», confie-t-il. Du côté de l’hôpital régional, Amadou Sakhir Mbaye,  l’on compte également  les morts.   

 

L’OBSERVATEUR

 

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