Niger – mendier et défier le Covid-19 ou se confiner et affronter la faim

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A Niamey en dépit du Covid-19, les personnes démunies sont toujours dans les rues en quête de pitance. Elles ne peuvent se permettre de respecter les mesures restrictives. Elles préfèrent braver l’interdit.

Le « coronavirus est synonyme de faim au Niger… la faim est même plus virulente et tue plus que le Covid-19 ». C’est ainsi que l’humoriste nigérien, R. Kelly, vivant au Togo, tournait en dérision la situation de confinement depuis l’isolement de la ville de Niamey, en mars 2020.

L’audio décrivant la réalité avec ironie avait fait le buzz sur les réseaux sociaux via Whatsapp.

Le Niger, comme un grand nombre de pays de la planète fait face à la pandémie de Covid-19. Le virus y est apparu le 19 mars 2020. Au 28 décembre, il cumulait 3.159 cas confirmés, incluant 99 décès et plus de 1.700 guérisons.

Malgré les risques liés à la maladie, les personnes démunies continuent d’occuper les rues pour s’adonner à la mendicité.

Au coin d’une rue de Niamey, une jeune femme, mère de jumeaux, tend la main aux passants. L’interdiction par les textes de loi de la mendicité ne lui fait pas peur. « Non, je préfère prendre ce risque que de mourir de faim, et mes enfants avec.». En réalité, si elle est interdite dans les textes, la mendicité est largement tolérée au Niger.

A quelques encablures de là, un autre mendiant, un sexagénaire cette fois, s’invite dans la conversation : « les autorités auraient dû plutôt soulager nos souffrances que de dépenser ces sommes colossales dans la lutte contre cette pandémie. A mon avis, il faut d’abord assurer la nourriture aux plus pauvres. »

Qu’ils soient vieux, adultes ou encore moins jeunes, hommes ou femmes, souffrant d’un handicap ou pas, ils sont nombreux à s’adonner à la mendicité au Niger pour assurer leur survie. Dans la liste, on trouve aussi des enfants, communément appelés « enfants des rues » ou « enfants talibés ». Les « enfants talibés » sont supposés être des élèves dans des centres traditionnels d’enseignement coranique, mais on les retrouve souvent dans les rues, à faire la manche.

Une étude réalisée en 2018 a recensé 86 824 enfants talibés dont 76 080 sont contraints de mendier.

La capitale Niamey enregistre à elle seule 13 420 enfants mendiants. L’étude, intitulée « Souffrance sous silence : enquête sur la mendicité forcée des enfants Talibés au Niger », a été réalisée par l’ANTD (Association nigérienne pour le traitement de la délinquance et la prévention du crime).

Pour maintenir ces populations démunies chez elles et réduire le risque de contamination au Covid-19, l’Etat du Niger a initié un programme d’aide d’urgence sur une période de quatre mois, de mai à août 2020.

Coup d’épée dans l’eau

L’opération considérée comme une bouffée d’oxygène, visait principalement les personnes les plus vulnérables, celles dont les activités ont été fortement impactées par la pandémie et les populations démunies de certains quartiers périphériques de Niamey.

Aïssa, la soixantaine, plus connue sous le sobriquet d’Altie, une ménagère du quartier « Koira Tégui » témoigne : « l’Etat et les Ong nous ont soutenus pendant des mois, au début de la pandémie. Nous avons bénéficié de masques, de vivres, notamment du mil, du niébé, le maïs, des pâtes alimentaires. Les plus vulnérables parmi nous ont même bénéficié du +cash-transfert+.»

Selon Idé Harouna, responsable du dispositif en charge de la distribution des vivres, trois des quatre phases de distribution prévues dans l’opération ont été effectuées. Des vivres d’une quantité totale de 9864 tonnes ont été distribués dans 32 villages à 330.000 personnes impactées par le Covid 19 et le déficit alimentaire. Ces personnes sont réparties dans 32.857 ménages dont chacun a bénéficié de 100 kg de vivres. Cette opération a été financée sur fonds propre de l’Etat nigérien.

Abdou Zada responsable de l’association des personnes en situation de handicap du quartier « KoiraTégui», se réjouit aussi du soutien de l’Etat et de ses partenaires : « en  plus d’avoir reçu au moins 50 kilos de riz chaque mois, 20 des 189 chefs de ménage que compte notre association, ont reçu chacun 55.000 FCFA. 33 autres chefs de ménage ont, quant à eux, reçu 15. 000 FCFA chacun.»

Le chef de quartier de « Koira Tégui » Bi Ramou Diallo, admet que le projet « Filets sociaux », un des volets de l’appui du gouvernement aux populations vulnérables, a permis à 5000 chefs de ménage de recevoir 45.000 FCFA chacun. Mais, il trouve tout cela insuffisant et en appelle à l’aide les partenaires et les bonnes volontés. « Sinon, on se retrouvera au point de départ », prévient-il, soulignant que le quartier n’a reçu que 1000 masques pour un quartier de 100.000 personnes.

Habibou Abdoulaye, Président de la Fédération nigérienne des personnes handicapées section de Niamey estime au contraire que « l’activité se déroule normalement et toutes les personnes ciblées ont reçu ce qui leur revient de droit ».

Face à la crise, d’autres organisations se sont jointes à l’effort du gouvernement nigérien.  Onu Femmes et l’Ong Karakara par exemple sont aussi venues à la rescousse des femmes de cinq arrondissements de Niamey dont les activités de restauration, de fabrication de savon liquide, entre autres, ont été affectées par le Covid-19.

Mais les difficultés du Niger datent de bien avant la pandémie. Celle-ci n’a fait qu’augmenter une précarité omniprésente depuis des années.

Précarité permanente

Selon la banque mondiale, le « Niger est le sixième au palmarès des pays qui produisent le moins de richesse en 2019, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 488 dollars, en hausse de plus de 2,2% par rapport à 2018 ».

Le PIB du Niger en 2019 était de 9,72 milliards de dollars pour 19,94 millions d’habitants (NDLR : ce chiffre a évolué et la population est aujourd’hui estimé à plus de 20 millions d’habitants). Sur ce total,  41,4 %, soit plus de 9,5 millions de personnes vivent dans une extrême pauvreté, toujours selon les chiffres de la Banque mondiale.

Ces personnes démunies sont plus exposées au coronavirus, parce qu’elles « reçoivent de l’argent des mains d’inconnus susceptibles de leur filer le virus. Et à leur tour de distribuer la maladie dans leur entourage, dans les bidonvilles de la capitale comme « Koira Tégui » ou la Ceinture verte », précise sous forme d’alerte Dr Illa Alhassane, médecin au service médical d’urgence de la ville de Niamey.

Plus loin de Niamey, les pensionnaires du Centre des handicapés de la ville de Tillabéry qui vivaient jusque-là des revenus issus de la conception de divers objets comme des draps, des habits pour enfants, se sentent menacés de précarité à cause du Covid-19. Avec le Covid-19, nous risquons de finir dans la mendicité si l’Etat et les bonnes volontés ne font rien pour nous soutenir car nous n’avons plus l’opportunité de participer aux foires et biens d’autres activités pour écouler nos produits », souligne Maïmouna Adamou, une des pensionnaires du centre.

Même son de cloche chez Alhada Djibrilla, un jeune en situation de handicap rencontré dans le même centre et qui répète exactement le même propos que Maïmouna, comme si les deux s’étaient passé  le mot.

Selon le site l’Unicef, en raison de la pandémie, « plus de 867 000 enfants ont besoin de protection en 2020, au Niger, soit 200 000 de plus qu’en 2019 ».

Selon le responsable chargé de l’opération distribution des vivres Idé Harouna, l’Etat n’a pas suffisamment de moyens pour prendre en charge toutes les populations dont les activités subissent les effets du Covid. Les opérations se sont donc en grande partie concentrées à Niamey, la zone la plus touchée.

Retour du virus et panique

Après avoir observée une période allant de juin à mi-novembre 2020, sans enregistrer de cas positifs, le Niger a dénombré 12 nouveaux cas de contamination entre les 6 et 7 novembre 2020 dans la région d’Agadez situé à environ 1000 km de Niamey. Depuis cette date le nombre de cas positifs ne cesse de croître. Ces cas sèment la peur au sein de la communauté des personnes démunies.

Dr George Abdoul Aziz, Adjoint au Directeur de l’hôpital du département de Téra (Région de Tillabéry), est du même avis. « Partout où il y a de la promiscuité, le risque de contracter la maladie est élevé. C’est malheureusement le cas dans les bidonvilles où résident les personnes démunies.»

ouetsaf

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