Boubacar Boris Diop sur le Sommet « Afrique-France » : «Nous nous sentons humiliés de voir les chefs d’Etats africains piétinés»

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Le Sommet «Afrique-France» se tiendra le 8 octobre prochain à Montpellier sans les chefs d’Etat et autres autorités institutionnelles. Pendant ce temps, la société civile africaine sera à l’honneur et se positionnera comme la principale interlocutrice du gouvernement français. Mais des intellectuels africains s’insurgent contre cette manière de procéder. Parmi eux, Boubacar Boris Diop qui soutient que le traitement dégradant infligé aux chefs d’Etats africains ne peut que raviver une négrophobie. 

«De Brazzaville à Montpellier, regards critiques sur le néocolonialisme français». Tel est l’intitulé de l’ouvrage écrit par des intellectuels africains qui fustigent la manière dont le sommet «Françafrique» sera organisé le 8 octobre prochain. Le romancier et essayiste sénégalais Boubacar Boris Diop fait partie des éminences grises du continent qui ont versé leur contribution dans ce livre. Dans sa partie intitulée : «Montpellier, la Françafrique à bout de souffle», il dénonce la mise à l’écart des chefs d’Etat, la condescendance du Président français, la naïveté de certains participants issus de la société civile africaine, entre autres questions. S’agissant particulièrement de l’absence des Présidents africains, il estime qu’il y a quelque chose de déstabilisant dans la facilité avec laquelle les chefs d’État du «pré carré» revêtent le boubou de laquais de la France ou de pions qu’elle déplace quasi distraitement sur l’échiquier de sa politique étrangère.

«Pas un seul n’a eu un sursaut d’orgueil et contesté à Emmanuel Macron le droit de modifier seul et à sa guise un rendez-vous figurant en bonne place dans le calendrier international», se désole- t-il. En fait, Boubacar Boris Diop pense que leur mise à l’écart est une sanction politique. «Suspectés d’encourager en sous- main les ennemis de la France, la France juge que les Présidents africains ne méritent même plus qu’on leur parle.» Telle est la conviction du romancier et essayiste sénégalais. «Il ne s’agit nullement pour Paris de lâcher prise ; mais d’exorciser les fantômes de son passé colonial et de son présent néocolonial».

«Mais voilà : ces chefs d’Etats africains ont beau être ce qu’ils sont, nous avons beau les détester, le fait est que nous nous sentons humiliés de les voir ainsi piétinés. Le traitement dégradant qui leur est infligé, au vu et au su de tous, ne peut que raviver une négrophobie – mais peut-être devrait-on parler d’afrophobie – qui a tendance à devenir presque universelle», souligne Monsieur Diop. Cela dit, il se demande si les intellectuels africains qui seront à Montpellier ne ressemblent pas à ces Présidents qu’on critique souvent. «Si le sommet de Montpellier nous embarrasse tant, c’est aussi parce qu’il nous met brutalement en face de cette cruelle vérité. Que Macron ait cru pouvoir décider tout seul du jour, du lieu, des modalités et des acteurs de la joute verbale à venir est la preuve qu’il tient pour quantité négligeable des intellectuels africains franco- phones qui ne lui ont jamais fait ombrage», soutient Boubacar Boris Diop. Poursuivant, il affirme que c’est Achille Mbembe lui-même qui rapporte avec une surprenante candeur cette audience à l’Élysée au cours de la- quelle son illustre hôte se fait presque suppliant : «On ne me met pas assez la pression ! Mettez-moi la pression !» En somme, c’est le maître qui se plaint que l’esclave ne râle pas assez, souligne-t-il.

«Beaucoup refusent de se laisser impressionner par ces décisions, y subodorant de vulgaires manœuvres de diversion. Ils ont sans doute raison de soutenir que c’est le moins que Macron pouvait faire. Mais il l’a fait», déclare Monsieur Diop. Il ajoute qu’au-delà du contexte général et des probables motivations politiciennes du futur candidat à sa propre succession, per- sonne ne peut lui dénier la paternité de gestes assez forts en eux-mêmes. «Le petit bémol, c’est qu’on aura tout de même relevé qu’aucun de ces dossiers ne porte sur les questions brûlantes de l’heure. Rwanda. Algérie. Patrimoine africain ancien. Cela signifie qu’il ne s’agit nullement pour Paris de lâcher prise aujourd’hui et maintenant, mais d’exorciser les fantômes de son passé colonial et de son présent néocolonial…», relève en définitive le romancier sénégalais dans l’ouvrage : «De Brazzaville à Montpellier, regards critiques sur le néocolonialisme français » qui sera publié pour informer et sensibiliser l’opinion africaine sur l’état des relations entre la France et ses anciennes colo- nies.

 

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