Accouchements dans les maternités : Confessions à charge dans les couloirs de la vie et de la mort
L’enchaînement des drames, dans les établissements sanitaires, donne raison à Alpha Blondy. Lorsqu’il entonnait : « nos hôpitaux sont malades, pas d’équipements, pas de médicaments », l’artiste musicien ne savait pas que la dame Astou Sokhna n’allait pas survivre en voulant donner la vie, elle et son nourrisson. Cet accident tragique a fait remonter, à la surface, un flot de douloureux souvenirs des victimes et des témoins. Depuis trois jours, des Sénégalais passent à la loupe les maux du système de santé.
Loin des rues, dans les couloirs de l’Hôpital Dalal Jaam de Guédiawaye, des femmes enceintes sont dans une psychose légitime. Rokhaya Diop, une dame de teint noir, d’une vingtaine d’années est croisée à la maternité de cette structure. Ici, les femmes enceintes, celles allaitantes font la queue. Rokhaya a quitté le quartier Gadaye pour son rendez-vous médical. Comme, d’autres personnes, elle partage des douleurs de l’accouchement et la perte de Astou Sokhna.
« En tant que femme et maman, je suis très touchée par le décès de Astou. Je suis sous le choc depuis l’annonce de cette mauvaise nouvelle. Lorsque j’ai vu circuler les images et les vidéos, j’ai versé des larmes. Lorsque j’ai vu sa photo avec ses mains toujours collées à son ventre, j’ai énormément pensé à cet espoir qu’elle avait sur sa grossesse et qui s’est malheureusement transformé en rêve brisé», compatit Rokhaya Diop.
La mémoire de cette femme voyage et apporte une séquence de souvenirs rappelant, à bien des égards, le scénario de la dame qui a perdu la vie à l’hôpital de Louga. « C’est l’accident de l’Hôpital de Louga qui a été médiatisé. Mais, il y a beaucoup d’actes, que d’autres femmes ont subis, durant les accouchements. Je n’avais presque pas bénéficié d’assistance, le jour de mon accouchement, il y a de cela deux mois. Je ne pourrai jamais l’oublier dans ma vie. C’est mon premier bébé. Mais je ne vous le cache pas. J’ai peur de contracter une autre grossesse à cause de ce que j’ai vécu à l’hôpital », raconte-t-elle.
Ces moments resteront gravés dans sa mémoire. Ce jour, elle et son époux arrivent, le plus naturellement du monde dans une structure sanitaire, comme le fait toute femme enceinte qui est à son terme. Mais à la surprise générale, on leur signifie qu’il n’y a pas de médecins de garde. « Je saignais, ils m’ont demandé d’attendre dans la salle d’attente », confie-t-elle. Après, elle entre salle d’accouchement. « Je me rappelle bien, il y avait quatre autres femmes qui hurlaient sans aucune assistance médicale. J’ai crié fort en disant à la sage-femme, s’il vous plaît, aide-moi. Je saigne. Je souffre. Elle m’a répondu sous un ton insolent madame, vous nous emmerdez. Quand vous faisiez l’amour, c’était avec un énorme plaisir, maintenant, ayez le courage d’assumer. Vos cris et pleurs ne serviront à rien », se remémore-t-elle. La praticienne retourne à la salle de garde de nuit pour s’allonger. L’intervention de l’époux de Rokhaya ne fait pas infléchir la sage-femme. Le mari se résigne alors à consoler son épouse et à prier, durant cette longue nuit, pour ce couple.
« J’avais souffert toute la nuit tout en saignant. Pire, vers 06 heures du matin, la sage-femme entre dans la salle pour nous dire que celles qui ont de l’argent aillent à la clinique, les autres qui n’en disposent pas de se rendre dans les autres structures sans aucune raison avancée. Après mon accouchement à la clinique, j’y ai passé 9 jours parce que j’avais perdu beaucoup de sang », rapporte notre interlocutrice. Cette nuit est comme un couloir de la mort. Et, depuis, elle refoule la phobie des établissements de santé. Et à juste raison. Ici comme ailleurs, la ressemblance des témoignages certifie, dans une certaine mesure, que la complainte est ambiante. La peur et la psychose également. A la maternité d’une structure sanitaire de Keur Massar, une dame tenant son bébé de 6 mois raconte une histoire déjà entendue ailleurs : la négligence des praticiennes coûte la vie à des patients.
» J’ai perdu ma sœur, il y a juste 06 mois, par négligence médicale. Nous sommes arrivées à minuit à l’hôpital. Nous avions trouvé trois filles accrochées à leur téléphone portable. Sans même nous guider, elles nous ont dit d’aller à la salle d’accouchement. Nous nous sommes dirigées vers la salle d’accouchement. Ma sœur y est restée presque une heure sans assistance médicale, alors qu’elle saignait », déplore cette dame. C’est par la suite qu’elle est partie insister auprès l’une d’entre elles. Sa réponse sent l’indifférence.
« Reste dans la salle. Ne viens plus frapper à la porte », rétorque la praticienne. Pendant ce temps, sa sœur se tordait de douleurs. Elle poussait des cris : « Ayez pitié », « aidez-moi ». Tout s’enchaîne. La patience de l’accompagnante se mue en impatience qui vire à l’engueulade.
« Vous êtes égoïstes et sans cœur. Venez sauver cette femme qui se trouve entre la vie et la mort. Vous avez entendu ses cris et vous savez qu’elle souffre », balance l’accompagnante qui s’est pointée devant la porte de la salle de garde des sages-femmes.
Ces récriminations laissent statiques celles qui ont juré de sauver des vies sans distinction aucune des malades. L’attente va durer de minuit à 05 heures. La femme enceinte donnera la vie, mais en perdant la sienne.
« Juste après l’accouchement, très fatiguée, ma sœur est partie à jamais par manque de sang en nous laissant ce bébé de 06 mois que je porte. A chaque fois que je regarde l’enfant, les images me reviennent. J’éprouve de la haine envers ces sages-femmes qui aujourd’hui l’ont privé de son amour maternel. Nous avons porté plainte. Mais depuis lors, il n’y a pas eu de suite. De toute façon, je ne pardonnerai jamais à cet hôpital», narre-t-elle en pleurant.
Dans les allées de cette maternité, celles qui n’ont jamais donné naissance sont plongées dans la psychose. Âgée de 22 ans et portant une grossesse de 8 mois, Bigué Sow, la tête voilée, un cure-dent coincé entre les dents, a perdu le sommeil, depuis le décès de Astou.
« Je suis tellement stressée depuis que j’ai entendu les circonstances du décès de Astou. C’est ma première grossesse et je tombe sur ça. Pour vous dire vrai, je n’arrive plus à fermer les yeux. Je ne fais que penser à mon accouchement. La dernière fois, j’ai dit à mon mari, est-ce que je ne vais pas vivre la même chose ? Il me rassure en me disant que tout va bien se passer mais, j’ai vraiment peur », confie Bigué Sow.
Ces craintes sont légitimes par ces temps qui courent. D’autant plus qu’il y a 7 mois, une jeune maman a perdu la vie parce que les agents de santé ont oublié le placenta dans son ventre. C’est vrai, l’accouchement n’est pas un acte sans risque.
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